Maroc

Irrigation : pourquoi nos modèles de gestion de l’eau échouent

La fourmi avait un plan. Barrages en amont, forages en aval, et bientôt le salut par le dessalement. Modèles à l’appui, elle croyait pouvoir gérer la rareté. Pendant ce temps, la cigale observait les cycles, les retards, les effets de seuil — et posait la vraie question : et si le problème n’était pas l’eau, mais la manière dont on la pense ? Au Maroc, alors que les approches classiques montrent leurs limites, Ayoub Guemouria, ingénieur en hydroécologie et chercheur à l’Institut international de recherche en eau de l’UM6P, sous la direction des professeurs Abdelghani Chehbouni et Lhoussaine Bouchaou, défend une autre lecture : celle de la dynamique des systèmes, une méthode qui remet au centre les interactions, les rétroactions et les comportements humains. Une façon nouvelle de comprendre — et peut-être d’anticiper — l’avenir de l’eau.

Aujourd’hui, la gestion hydrique repose sur des outils qui fournissent de précieuses simulations des flux et des bilans hydriques (Weap, Modflow, Swat). Ces modèles ne sont pas faux, mais ils sont incomplets, car ils n’intègrent pas des variables comme : la méfiance d’un agriculteur, le cycle de réélection d’un maire ou encore un marché informel des eaux souterraines.

Aucun de ces éléments ne s’intègre parfaitement dans une courbe d’offre et de demande, mais tous influencent le résultat. Conventionnels, ces outils révèlent leurs limites : ils sont conçus pour des relations connues, et non émergentes; pour des systèmes en équilibre, et non turbulents. Autrement dit, ils simplifient ce que la réalité s’obstine à compliquer. C’est là qu’intervient la dynamique des systèmes : elle modélise des variables.

La pensée systémique a d’abord été proposée à MIT, dans les années 50, par J. W. Forrester et appliquée dès les années 80 sur les analyses hydroélectriques à petite échelle, rappelle Ayoub Guemouria, hydraulicien et juriste marocain, dans l’article publié par Journal of Urban Management : «Utilisation de la dynamique des systèmes pour éclairer la planification des scénarios : Application au bassin de Souss-Massa, Maroc» (A. Guemouria, A. Chehbouni, S. Belaqziz, D. Dhiba et L. Bouchaou, 2025).

«La situation hydrique critique de cette région illustre de manière paradigmatique l’obsolescence des modèles traditionnels fondés sur la mobilisation de l’offre et l’optimisation technique», explique Guemouria.

L’étude des 27,800 km2 de la région, entre 2007 et 2020, révèle la boucle dangereuse qui se cache dans les projections traditionnelles, actuelles et essentielles à la résilience systémique. Il ressort de cette simulation que la continuité des régimes de subventions actuels, bien que plus efficaces, entraîne une extension des cultures, une utilisation accrue des terres et, de facto, une augmentation des prélèvements aquifères.

C’est le statut quo, le pire scénario baptisé : business as usual. Bien qu’ambitieux, plans et politiques publics (le Plan national de l’eau 2020–2050, le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020–2027 et les stratégies agricoles Plan Maroc Vert 2008, puis Génération Green 2020–2030) donnent des résultats contre-productifs.

Ainsi, les aquifères du Souss et de Chtouka-Ait Baha affichent un déficit annuel allant jusqu’à 370 millions de m³. Les projections climatiques annoncent des hausses de température de 3 à 6 °C d’ici la fin du siècle, avec des précipitations en baisse pouvant atteindre 120 mm/an.

Le barrage Youssef Ibn Tachfine pourrait perdre jusqu’à 80% de sa capacité d’ici 2050 dans les scénarios climatiques les plus pessimistes (RCP 8.5). La recharge naturelle des nappes pourrait chuter de 54% à 80%, selon les scénarios.

La pensée systémique… et globale
Malgré ces alertes, la gestion de l’eau reste fondée sur des modèles techniques classiques, souvent linéaires et compartimentés. Les approches actuelles supposent que les problèmes ont des causes simples. Or, cette vision réductionniste ne tient pas compte de la complexité des interactions entre climat, agriculture, économie, législation et comportements humains. Résultat : des effets contre-productifs.

Exemple : la tarification de l’eau incite les agriculteurs à rationaliser… mais seulement ceux qui dépendent de l’eau de surface. Ceux qui accèdent aux nappes souterraines continuent à pomper sans contrainte.

Dans ce contexte, les terres agricoles jugées «adaptées» pourraient baisser de 23% d’ici 2050, constate Ayoub Guemouria. Et le chercheur de rappeler l’intérêt de cette étude : la nécessité de repenser globalement l’usage de l’eau, non comme un secteur mais comme un système… holistique.

La dynamique des systèmes : CQFD

La dynamique des systèmes est une approche qui permet de comprendre le comportement de systèmes complexes au fil du temps, en utilisant des boucles de rétroaction, des diagrammes de stock et de flux, et des équations différentielles.

Au lieu de se concentrer sur des causes et des effets isolés, elle révèle les boucles de rétroaction qui peuvent créer des effets imprévus, comme le fait qu’une solution à court terme puisse aggraver un problème à long terme. C’est un outil pour explorer les conséquences de nos décisions et concevoir des stratégies plus efficaces et durables.

La dynamique des systèmes n’est pas un modèle, c’est une façon de penser. Appliquée à l’hydrologie, cette méthode considère l’eau non pas comme un stock à gérer, mais comme un flux façonné par les institutions, les comportements et le temps. Contrairement aux outils conventionnels, la dynamique des systèmes ne cherche pas à aplanir la complexité, elle l’intègre.

Grâce à des boucles de rétroaction, elle saisit comment une intervention aujourd’hui engendre de multiples conséquences demain, certaines se renforçant, d’autres s’équilibrant, toutes interdépendantes. Elle permet de cartographier et de simuler les mécanismes réels de l’échec et de la réussite des politiques.

Mounira Lourhzal / Les Inspirations ÉCO



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