Maroc

Inflation : panier alimentaire sous tension

À l’approche du mois sacré, la flambée des prix des denrées alimentaires met à rude épreuve le pouvoir d’achat des ménages. Fruits, légumes, viandes et poissons atteignent des niveaux inédits, alimentant un sentiment d’impuissance face à l’absence de régulation efficace.

Cette année, l’approche du mois de ramadan promet d’amputer sérieusement le pouvoir d’achat des ménages, déjà sensiblement affaibli. Si, à l’accoutumée, le mois sacré s’accompagne d’une flambée générale des prix, les spécialistes s’accordent cette fois-ci à dire que la hausse dépasse largement les seuils habituels.

Sur les étals, les prix des fruits et légumes connaissent une hausse soutenue. Comme en témoignent les prix des tomates à 10 DH le kilo, les oignons à 8 DH, les pommes de terre à 6 DH, les bananes à 15 DH, ou encore les œufs vendus 2 DH l’unité.

La viande et le poisson deviennent inaccessibles pour de nombreux foyers. La viande bovine excède 90 DH le kilo, l’ovine est à 122 DH, tandis que la volaille atteint un niveau inédit de 40 DH.

Certains poissons voient également leurs prix s’envoler, à l’image du turbot à 189 DH le kilo, de la sole entre 100 et 120 DH, des crevettes roses à plus de 70 DH. Cette flambée des prix n’épargne pas les produits de première nécessité. Seule exception, les agrumes, notamment les citrons et les oranges, qui enregistrent une légère baisse.

Pouvoir d’achat en détresse
L’envolée des prix constatée relève davantage de la spéculation que d’une simple hausse des coûts de production.

«Nous observons chaque année une augmentation des prix la semaine précédant ramadan, qui se prolonge durant les premiers jours du mois sacré avant une relative stabilisation», analyse Ouadie Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC).

Mais cette année, la flambée est inédite. «Les prix atteignent des sommets, bien au-delà du pouvoir d’achat des ménages. Nous parlons ici de produits essentiels, notamment fruits, légumes, viandes et poissons, tous connaissent des hausses anormales», alerte-t-il.

L’essor de la demande en début de ramadan accroît la pression sur un marché déjà fragilisé. Loin d’un simple phénomène conjoncturel, cette flambée s’inscrit dans une érosion plus profonde du pouvoir d’achat.

Depuis plusieurs années, la pression inflationniste s’accentue, pesant sur des niveaux de vie marqués par de fortes disparités. Selon la dernière enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages, la consommation a progressé à un rythme soutenu entre 2014 et 2022, avant d’être freinée par la crise sanitaire et les turbulences économiques.

D’après le Haut-Commissariat au Plan, la dépense annuelle moyenne par ménage est passée de 76.317 dirhams en 2014 à 83.713 dirhams en 2022, soit une hausse réelle de 1,1% par an. Une progression en trompe-l’œil, masquant des ajustements forcés, qui se traduit dans l’évolution des postes de dépenses. La structure des dépenses traduit ces arbitrages.

L’alimentation, dont la part diminuait, repart à la hausse et représente 38,2% du budget en 2022, contre 37% en 2014. À l’inverse, les postes consacrés aux loisirs, à l’équipement et à la culture reculent. L’inflation touche prioritairement les produits de base, limitant la capacité des ménages à absorber ces hausses.

D’après le HCP, cette dynamique n’affecte pas les catégories sociales de la même manière. Entre 2014 et 2022, le niveau de vie des 20% les plus modestes a progressé de 1,1%, tandis que celui des 20% les plus aisés a augmenté de 1,4%. La classe moyenne, en revanche, subit un ralentissement marqué, avec une progression limitée à 0,8%, voire une stagnation depuis 2019.

L’indice de Gini, qui mesure les inégalités, repart à la hausse, atteignant 40,5% en 2022 après une décennie de repli. L’écart de revenus se creuse, particulièrement dans les centres urbains, où la situation devient préoccupante.

Absence de contrôle
La hausse persistante des prix des produits alimentaires s’accompagne d’une opacité persistante dans la formation des prix. Faute de régulation efficace, les écarts de marges restent opaques. «Les marges des intermédiaires restent incontrôlées, faisant grimper artificiellement les prix, tandis que le consommateur se retrouve livré à lui-même», souligne Madih.

Dans les marchés de gros comme dans les commerces de proximité, l’absence d’un affichage systématique complique toute régulation. Ce manque de transparence alimente la spéculation et renforce la vulnérabilité des ménages face aux fluctuations du marché. Au-delà des mécanismes traditionnels de l’offre et de la demande, le contrôle des prix demeure l’un des angles morts du dispositif actuel.

«Les lois existent, mais leur application sur le terrain reste insuffisante. Les abus se multiplient et le consommateur reste le premier perdant», précise Ouadih Madih.

Pourtant, les instruments de contrôle ne manquent pas. Une refonte du cadre législatif des marchés de gros, couplée à un renforcement des dispositifs de surveillance, permettrait d’atténuer ces hausses récurrentes et de rétablir un minimum d’équilibre dans la formation des prix. À défaut, la spéculation prospère, et l’État peine à enrayer un dérèglement dont il détient pourtant les clés.

Niveau de vie en trompe-l’œil

Alors que l’inflation pèse sur les ménages, le niveau de vie moyen a pourtant progressé ces dernières années. Selon l’Enquête nationale sur le niveau de vie des ménages 2022-2023 du Haut-Commissariat au Plan, la dépense annuelle moyenne par ménage est passée de 76.317 dirhams en 2014 à 83.713 dirhams en 2022, enregistrant une hausse de 1,1% par an en termes réels.

Cette évolution masque cependant de profondes disparités. Les 20% les plus aisés ont vu leurs revenus progresser plus rapidement que le reste de la population, tandis que la classe moyenne peine à suivre le rythme. L’indice de Gini, qui mesure les inégalités, a bondi de 38,5% en 2019 à 40,5% en 2022, confirmant un creusement de la fracture sociale.

Dans le même temps, les arbitrages budgétaires sont devenus plus contraints. L’alimentation, qui représentait 37% des dépenses en 2014, en absorbe désormais 38,2%, signe d’une pression accrue sur les besoins essentiels. Pour de nombreux observateurs, cette hausse des dépenses s’avère davantage une adaptation forcée à la flambée des prix qu’une amélioration réelle du niveau de vie.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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