Maroc

Industrie pharmaceutique : un casse-tête nommé TVA ! (VIDEOS)

Le Projet de loi de Finances 2024 crée des tensions dans l’industrie pharmaceutique nationale avec des mesures fiscales qui favorisent les importations au détriment de l’industrie locale. L’exonération de la TVA pour les médicaments importés et la non-déductibilité de la TVA pour les industriels locaux sont vivement contestées.

Le sujet est on ne peut plus d’actualité et les enjeux qu’il implique sont des plus cruciaux. En effet, le Projet de loi de finances 2024 propose l’exonération de la TVA sur la valeur ajoutée, relative aux médicaments importés, et la non déductibilité de la TVA pour les industriels locaux. Une mesure qui suscite l’inquiétude de l’écosystème de l’industrie pharmaceutique, en raison des répercussions qu’elle pourrait avoir sur la compétitivité du secteur et sa résilience. C’est du moins ce qu’expriment les industriels depuis quelques semaines, allant jusqu’à publier un communiqué de presse pour faire part de leurs craintes en plus de prendre attache avec des parlementaires afin d’attirer leur attention sur ce sujet. C’est dans ce contexte que le quotidien Les Inspirations ÉCO a tenu à décrypter la situation et débattre de la portée des mesures fiscales proposées par le projet de budget. Pour cela, le quotidien a réservé sa dernière rencontre en date du Cercle des ÉCO à ce dossier chaud, invitant ainsi Mohamed El Bouhmadi, président de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP), Mohamed Houbachi, président de l’Association marocaine du médicament générique (AMMG) et Mohamed Boughaleb, expert-comptable et commissaire aux comptes. Placé sous le thème  :

«Mesures du PLF 2024 : impact sur l’industrie pharmaceutique», le débat a été animé par Hicham Bennani, DGD en charge du volet éditorial du groupe Horizon Press.

L’exonération de la TVA en question
«La dimension stratégique de ce secteur devrait être aussi traduite dans les faits», estime Mohamed El Bouhmadi, en faisant allusion aux mesures actuellement proposées dans le projet de budget. Justement, le point nodal autour duquel s’articulent aujourd’hui les craintes des opérateurs se trouve être celui de la non-déductibilité de la TVA sur les achats effectués par ces entreprises.

À ce sujet, les représentants de l’industrie pharmaceutique ont tenu des réunions au Parlement, en début de semaine, afin de faire entendre leur voix. «Nous avons été surpris de cette exclusion de l’industrie pharmaceutique», explique Houbachi. Aujourd’hui, poursuit-il, l’industrie pharmaceutique marocaine, qui milite pour la fabrication locale, a pris un élan extraordinaire. En 2012, grâce au précédent contrat-programme et à l’activation des écosystèmes et en 2016 dans le cadre du plan d’accélération industrielle, et grâce aussi à la deuxième version du contrat-programme, qui accorde une place clé au médicament générique.

«En janvier 2023, la ministre de l’Économie et des Finances s’est personnellement engagée sur la neutralité de la TVA», affirme Mohamed Houbachi.

D’après lui, l’assurance donnée au climat d’investissement dans le secteur a été secouée par cette proposition apportée par le PLF 2024, concernant la non-déductibilité de la TVA.

«Nous avons fait des écrits, nous avons rencontré des parlementaires de la première chambre, mais la mesure a tout de même été votée. Depuis quelques jours donc, nous avons pris attache avec les partis politiques de la majorité et de l’opposition», explique Houbachi.

Du côté de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique, Mohamed El Bouhmadi tient à souligner que la concertation a manqué au processus de conception de cette mesure. «Sur le principe de l’exonération de la TVA pour les médicaments, nous sommes pour, car nous estimons que le patient ne devrait pas payer la TVA de 7%, et ne devrait pas être doublement taxé à la fois par la maladie et par la TVA», estime le président de la FMIIP. En contrepartie, signale-t-il, «nous sommes des industriels, des investisseurs et nous devons être traités comme tels. Nous assumons par ailleurs entièrement nos responsabilités en tant qu’entreprises citoyennes». Le président de la FMIIP est clair : pour se faire entendre, les opérateurs «ne vont pas se lancer dans des grèves. Il n’est pas permis de prendre le patient en otage. Nous avons rencontré des parlementaires de la deuxième chambre ainsi que les membres de la Confédération patronale pour expliquer l’impact et les effets collatéraux de la non-déductibilité de la TVA».

El Bouhmadi admet que le fait que le médicament soit exonéré est acceptable. «D’ailleurs, il était déjà partiellement exonéré, puisqu’en 2019, certains médicaments ont été exonérés (anti-diabétiques, anti-cancéreux, traitements de l’infertilité ou encore de la sclérose en plaques…), y compris ceux dont le prix PFHT dépasse les 588 DH. Restait la TVA concernant d’autres produits, sachant que celle-ci générait quelque 583 millions de DH par an. Aujourd’hui, on veut exonérer cette partie et c’est tant mieux, mais il ne faudrait pas sacrifier l’industrie et l’investissement industriel en contrepartie», déclare le président de la FMIIP. Et de souligner que de nombreux laboratoires ont aujourd’hui des crédits TVA, à savoir que sur une série de compartiments comptables, la taxe sur la valeur ajoutée est appelée à augmenter ce qui risque de grever les finances des industriels.

«Aujourd’hui, on parle de souveraineté nationale, d’emplois et aussi du positionnement du Maroc à l’export. Tous ces enjeux se trouvent maintenant altérés par ce projet, d’autant plus qu’à la lecture de cette mesure, on perçoit une mise en condamnation de l’industrie locale. Un produit importé va payer zéro et va être payé à zéro, donc aucun impact. En revanche, un produit fabriqué localement subira d’office 20% de TVA supplémentaire non déductible. Nous sommes donc à l’opposé de tous les objectifs de neutralité et de compétitivité prônés. Il y a une erreur qu’il faudra absolument corriger», lance fermement Houbachi.

Sans détours, El Bouhmadi signale que la TVA telle que pensée dans le Projet de loi de Finances 2024, vient directement impacter le coût de revient des industriels et réduire leur compétitivité. De plus, si cette mesure venait à être activée, les opérateurs réfléchiraient à deux fois avant d’investir, chaque achat risquant d’être soumis aux 20% de TVA. Le tableau étant dressé, Mohamed Boughaleb estime clairement que les dispositions portées par le PLF 2024 sont de nature à favoriser l’importateur par rapport à l’industriel marocain. «Ceci pose un souci de souveraineté. Néanmoins, je conçois bien que l’on soit en train de demander à l’industriel marocain de faire un effort, mais pour quelle contrepartie ?», s’interroge l’expert-comptable. Sommairement déjà, la question est de savoir pourquoi cette mesure ne touche que l’industrie pharmaceutique, réplique Houbachi, soulignant que dans le même PLF, d’autres secteurs vont se voir exonérés, avec un droit de déduction, tels que l’enseignement privé, l’industrie photovoltaïque, les logements sociaux, les engrais, la construction navale, l’aéronautique.

«Probablement dans la foulée de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire, on s’est basé sur le fait que l’exercice 2024 sera celui d’une progression des volumes», suppose Boughaleb.

Un état de fait à nuancer, de l’avis de El Bouhmadi, puisque depuis la crise de la Covid, la flambée est quasi-générale, quand les prix des médicaments continuent à baisser.

«Nous avons demandé à ce que les produits à bas prix, coûtant moins de 50 DH, ne baissent plus. Nous n’avons pas été entendus. Notre rentabilité est aujourd’hui remise en cause», déplore-t-il.

«Nous serons obligés à terme d’arrêter la production de certains produits, et même pour cela, nous avons besoin de l’autorisation du ministère de tutelle», lance-t-il.

Le président de la FMIIP confie que les opérateurs acceptent même parfois «de commercialiser des produits à perte, partant du fait que le mix-produit nous permettra de continuer à exister». Concrètement, la validation d’une telle mesure serait synonyme de gel des investissements et des recrutements. Plus encore, «souvent, nous faisons de la sous-traitance dans le cadre de la promotion et de la vulgarisation autour de médicaments étrangers. Lorsque nous faisons appel à des prestataires à cette fin, nous les rémunérons sur la base d’une TVA à 20%. Si nous ne pouvons pas déduire ce budget, cela nous imposera d’internaliser ces fonctions», explique le président de la Fédération marocaine de l’innovation et de l’industrie pharmaceutique. Même sur le volet fiscal, Houbachi tire la sonnette d’alarme en affirmant que «moins d’activité, c’est moins de chiffre d’affaires et donc moins d’IS. Cette mesure est donc anti-économique même pour les finances publiques. Ce qui est problématique, c’est que l’on veuille effacer, d’un trait net, le crédit de TVA».

2024, année faste ?

Un tournant majeur est attendu en 2024 ! La généralisation de l’assurance maladie obligatoire et les millions de nouveaux bénéficiaires qui en découlent sont une manne porteuse pour le secteur de l’industrie pharmaceutique. Partant de cette perspective d’évolution potentielle du marché, l’expert-comptable et commissaire au comptes, Mohamed Boughaleb, estime qu’il est important de quantifier l’impact de la controversée mesure fiscale à l’aune des opportunités possibles l’année prochaine. Il souligne par ailleurs que le secteur bénéficie d’avantages fiscaux tels que l’exonération d’IS pendant les cinq années suivant la création de l’entreprise.

«Les mêmes perspectives nous ont été promises en 2014 et elles se sont avérées fausses», répond du tac au tac Mohamed Houbachi. « Les génériqueurs n’ont rien vu», déplore-t-il.

Figurant parmi les branches stratégiques de l’économie nationale, conformément aux orientations royales, le secteur pharmaceutique au Maroc représente tout bonnement la deuxième industrie chimique de l’échiquier économique marocain, après la branche des phosphates et dérivés. Elle compte 53 établissements pharmaceutiques, dont 47 disposent d’un site de production, ce qui permet de répondre à près de 52% des besoins en médicaments, en valeur, et 78% en volume. Ce volume a légèrement régressé puisqu’il couvrait, il y a quelques années, 80% des besoins. Notons que le Maroc compte aussi 12.000 pharmacies et officines et 65 répartiteurs. La FMIIP, c’est un groupement de 35 laboratoires pharmaceutiques, pesant près de 85% du chiffre d’affaires global.

«C’est dire que cela représente de nombreux membres et autant de sujets d’actualité à gérer, ce qui est un challenge en soi», souligne d’emblée Mohamed El El Bouhmadi. Le secteur engrange un chiffre d’affaires d’environ 20 MMDH, dont 15 réalisés par le secteur privé et les 5 milliards restants dans les appels d’offres.

Modeste Kouamé & Meriem Allam / Les Inspirations ÉCO



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