Maroc

Hydrogène vert : un bond en avant mesuré

L’annonce de six nouveaux projets d’hydrogène vert dans les régions du Sud du Maroc, portés par cinq investisseurs nationaux et internationaux, marque une étape décisive pour le Royaume. Avec un investissement de 319 milliards de dirhams, ces projets s’inscrivent dans la stratégie nationale visant à faire du Maroc un acteur incontournable sur ce marché émergent. Mais si cette dynamique suscite l’enthousiasme, des experts soulignent la nécessité d’une approche pragmatique.

L’annonce de la sélection de cinq consortiums pour la réalisation de six projets d’hydrogène vert constitue une avancée significative pour le Maroc. Les groupes retenus, parmi lesquels le consortium émirati «Taqa» et espagnol «Cepsa», ou encore l’allemand «Nordex» aux côtés des Américains d’«Ortus», sont des leaders dans le domaine de l’hydrogène et de la transition énergétique.

L’ambition est claire : développer une infrastructure robuste pour la production et l’exportation de l’hydrogène vert. Le gouvernement, à travers son «Offre Maroc», met en avant un cadre réglementaire attractif et un accès facilité au foncier avec des assiettes de 30.000 hectares par projet.

Cette dynamique vise à renforcer la compétitivité du Maroc sur un marché mondial en pleine expansion, tout en garantissant un développement durable et équilibré.

Une approche pragmatique nécessaire
Avec un investissement total de 319 milliards de dirhams, ces projets suscitent des interrogations sur leur faisabilité. Said Guemra, expert en management de l’énergie, souligne que «pour savoir si le montant est réaliste, il va falloir transformer l’investissement en hydrogène».

En prenant comme référence le projet Neom en Arabie Saoudite, il estime que la puissance totale des six projets marocains avoisinera les 15 GW, soit environ 1 million de tonnes d’ammoniac produites par projet et par an. Toutefois, ces projets restent de taille modeste par rapport aux ambitions initiales.

«Nous ne sommes plus dans la logique des grands projets de 8 à 12 GW», précise Guemra.

Cette stratégie permet de mieux maîtriser les risques avant d’envisager une expansion à plus grande échelle.

«Les développeurs vont commencer par la campagne de mesure des performances vent et soleil, pour une durée minimale de 12 à 18 mois, avant de commencer les dimensionnements du pilote de production de l’hydrogène à 0,4 GW».

Le coût de production toujours en question
L’une des interrogations majeures reste le coût de production de l’hydrogène vert. Alors que certains avaient avancé un prix de 2 dollars par kilogramme, Said Guemra rappelle que «le processus de production de l’hydrogène vert n’est pas encore bien maîtrisé, et que nous ne sommes plus dans l’euphorie de 1 $/kg».

Selon lui, «avec la stabilité apportée par les batteries, on peut prévoir un coût de production entre 2,8 et 3,8 $/kg».

Cependant, le Maroc dispose d’un atout considérable. «Les investisseurs qui vont réaliser leurs projets à Guelmim, Laâyoune et Dakhla seront agréablement surpris en raison de l’harmonie qui existe entre énergie solaire le jour et énergie éolienne la nuit», explique l’expert.

Cette particularité permettrait de limiter les besoins en batteries et d’améliorer la stabilité de la production. Le coût des électrolyseurs reste un frein majeur. En 2024, les prix de ces équipements avaient augmenté de 50%, rendant la rentabilité des projets plus incertaine. Il faudra donc surveiller l’évolution des technologies pour espérer une baisse significative des coûts d’ici la mise en service effective de ces unités marocaines.

Quel financement pour ces projets ?
Les investissements prévus sont colossaux et suscitent des interrogations sur leur financement. Said Guemra distingue deux aspects : les projets destinés à la consommation locale, qui pourraient bénéficier de partenariats public-privé, et ceux destinés à l’export, financés essentiellement par des banques et fonds internationaux.

«Ce financement ne concerne pas le Maroc», précise-t-il.

«Les développeurs de cette taille ont leurs propres sources de financement, et elles sont très nombreuses.» Les institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement, suivent de près l’évolution du marché de l’hydrogène et pourraient jouer un rôle clé dans le financement des infrastructures nécessaires.

L’importance d’un projet pilote pour consolider la stratégie
Pour garantir le succès de ces investissements, l’expert plaide pour le développement d’un projet pilote, notamment à Dakhla, qui permettrait d’affiner les modèles de production et de réduire les incertitudes sur les coûts.

«La data est la clé de voûte de ces projets», insiste Guemra, rappelant que «c’est la mesure du coût de production qui peut débloquer une décision finale d’investissement».

D’autres analystes s’accordent sur cette nécessité. L’absence de projet pilote empêche aujourd’hui de valider les projections optimistes de certains acteurs du marché. La mise en place d’un démonstrateur permettrait d’attirer davantage d’investisseurs en leur offrant des garanties sur la faisabilité des projets à grande échelle.

Vers une réglementation adaptée ?
Si l’offre marocaine encadre les investissements, il reste encore du chemin à parcourir pour une réglementation complète de l’hydrogène.

«Il est clair que nous n’avons pas aujourd’hui une réglementation qui puisse permettre à un camion hydrogène de circuler sur nos routes et autoroutes», souligne Said Guemra.

Toutefois, les premiers projets offriront «une précieuse courbe d’apprentissage» pour définir les meilleures orientations juridiques et infrastructurelles. Ces six projets constituent un véritable tremplin pour le développement de l’hydrogène vert au Maroc.

«Le signal fort de ces projets, c’est qu’ils sont petits, réalistes, et ils prennent un risque très mesuré», conclut l’expert.

Avant d’envisager des projets à plus grande échelle, le Maroc doit «patienter pour au moins deux ans», le temps de consolider sa stratégie et de réussir cette première étape.

À terme, la capacité du Maroc à structurer une véritable filière industrielle autour de l’hydrogène sera déterminante. La production locale d’équipements et la formation de compétences spécialisées pourraient faire du Royaume un acteur clé de la transition énergétique en Afrique et au-delà.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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