Maroc

FIFM : Au cœur du festival avec Mélita Toscan du Plantier

Depuis le 2 décembre, Marrakech vit au rythme du cinéma d’auteur et voyage de pays en pays à la recherche de l’inconnu grâce à la magie du 7e art. Un festival controversé certes, mais qui reste indispensable au pays. Sa directrice Mélita Toscan du Plantier se dévoile, parle des coulisses, des hauts et des bas et surtout de sa passion infinie pour le cinéma. 

Pas assez de stars», «pas assez d’avant-première», «pas assez de cinéma marocain», le Festival international du film de Marrakech est souvent sujet à la critique. À chaque année sa polémique, à chaque année sont lot de «il aurait fallu que…» sans se demander quelles sont les véritables difficultés du festival. Un des problèmes majeurs : la peur de l’autre, la peur de l’inconnu, la peur de voyager dans des pays musulmans. L’organisation du festival doit prendre en compte un nouveau paramètre désormais, avec la conjoncture internationale actuelle. «Le festival du point de vue organisation et logistique est plus facile parce que nous sommes plus rodés. Et au niveau des invités internationaux, c’est plus compliqué. Il y a eu tellement d’évènements et les gens ont peur de voyager, de prendre l’avion. On vit dans un contexte géopolitique difficile, dans un monde difficile et il faut faire avec», explique Mélita Toscan du Plantier qui se bat pour réunir un jury de 9 personnes, 9 nationalités en essayant d’équilibrer entre les hommes et les femmes, les réalisateurs et les acteurs. «On continue à se battre en espérant que les choses, mondialement, finiront par s’apaiser.

L’année dernière, on a eu beaucoup de chance d’avoir Francis Ford Coppola, il a sauvé le festival parce que les membres du jury ont pris peur après les attentats du 13 novembre à Paris, la peur est quelque chose d’irrationnelle, on ne peut pas argumenter la dessus. Il a fait un travail remarquable en apaisant les tensions et en convaincant son jury de venir quand même», avoue la maîtresse des lieux qui a dû prendre des chemins parfois invraisemblables pour convaincre les gens de se déplacer. Elle donnera d’ailleurs l’exemple de l’Australien Jason Clarks, dont elle a dû convaincre l’épouse française qu’elle connaît bien. «Les Américains ont peur de venir en France aussi. Jason Clarks par exemple a accepté tout de suite, parce que je suis passée par sa femme que je connais bien et qui est française, mais son entourage américain ne l’a pas encouragé à venir. Il y a des appréhensions de voyager en général, de voyager dans un pays arabe». Et comme si ce n’était pas assez, pour convaincre une star de venir, il faut convaincre son entourage. Un travail épuisant selon Mélita Toscan du Plantier.

Au-delà des préjugés…
Le festival essaie de donner une bonne image du Maroc, à travers l’ouverture d’esprit et les voyages que permet le 7e art. En apportant un cinéma pointu, à travers des films en compétition engagés, pointus, parfois trop durs, trop radicaux mais que le public a de plus en plus de plaisir à découvrir. Au fil du temps, les festivaliers évoluent, on voit plus de jeunes dans les salles, des gens de tout milieu social, curieux de découvrir de l’inédit. «Ce qui est magnifique dans ce festival et je suis triste que mon mari ne soit pas là pour le voir c’est que les salles de cinéma sont pleines ! Avant les salles étaient vides, les gens sortaient beaucoup. Le public a évolué, il a de plus de plus de curiosité», confie la directrice du festival qui pointe du doigt un problème qui n’est pas des moindres : le manque de respect des festivaliers «du tapis rouge» qui se lèvent avant le début du film. «C’est un vrai problème pour nous parce que lorsque les équipes de film sont dans la salle, quand un réalisateur a beaucoup travaillé sur son film, quand les acteurs présents voient le tiers de la salle partir, ça nous fait vraiment mal au cœur». La fondation avoue vouloir prendre des mesures draconiennes pour éviter ce genre de débordement les années à venir. «La presse marocaine a beaucoup évolué aussi ! Il y a 16 ans, il n’y avait presque pas de journalistes spécialisés dans la culture, encore moins dans le cinéma. Aujourd’hui, cela a beaucoup changé !». Une presse nationale, qui a d’ailleurs fustigé le festival pour la compétition qui manquait de films marocains.

La place du Maroc…
Pourquoi n’y a-t-il aucun film marocain en compétition ? Une question que l’on devrait se poser, oui, mais pourquoi attaquer le festival ? Il faut s’attaquer au Centre cinématographique marocain, à la production marocaine, aux réalisateurs du pays. Un faux débat qui ferait mieux de se réorienter vers les causes d’un tel échec que l’échec en lui-même. Comment expliquer que les 13 films présentés à la commission n’aient retenu l’intérêt de personne ? Le cinéma marocain est-il faible à ce point ? «On ne va pas prendre un film marocain juste pour sa nationalité. Cette année, la commission a estimé que les films marocains étaient plus faibles. Il n’y a pas de films italiens dans la compétition alors que c’est un grand cinéma, on a eu des années sans films français. Ce n’est pas plus grave que cela. Je pense que c’est même respecté le cinéma marocain. Si on montre un cinéma faible car il y a des années plus faibles que d’autres, que va penser le jury ? Il va penser qu’on met un film marocain juste pour la nationalité. Cela fait perdre de la crédibilité au festival», continue Mélita Toscan du Plantier qui explique aussi que le rendez-vous Cinécole doit être retravaillé car il n’a pas fait ses preuves. Les jeunes réalisateurs primés ne font rien après le festival, c’est pour cela que la fondation va trouver un autre moyen pour aider les étudiants.

Pour l’amour du cinéma
Finalement, le Festival international du film de Marrakech, malgré toutes les failles qu’on peut lui trouver, reste essentiel au Maroc. Un travail de longue haleine, la directrice du festival confie que c’est une bataille sur l’année, à l’affût des meilleurs. «Je ne peux jamais prévoir comment va s’entendre le jury ! Il y a eu des années où il y a eu des clans au sein du jury. Cette année, ce sont des personnes à la fois indépendantes, assez zen, ils s’entendent bien». Un jury qu’elle commence à constituer au mois de juin, tel un puzzle qu’elle va construire pour faire rêver. Et le rêve, Mélita Toscan du Plantier connaît. Celle qui a grandi dans un orphelinat, a été sauvée par la magie du cinéma, fascinée par un tournage d’un film japonais avec des acteurs français, qui est venu à elle, lorsqu’elle était encore enfant. Attachée de presse à Paris, assistante, elle est allée en Australie où elle a travaillé pour le Festival du film français, avant de travailler pour Unifrance. Aujourd’hui, elle dirige un festival tout en continuant d’être une spectatrice souvent éblouie par le cinéma d’auteur, et une productrice qui défend ce cinéma.

Elle a d’ailleurs produit un film indien et s’apprête à co-produire le nouveau film du réalisateur allemand d’origine turque Fatih Akin avec en vedette Diane Kruger dans un grand rôle de femme. Mélita Toscan du Plantier a dit oui à Benoit Jacquot également pour un film avec Isabelle Huppert et Gaspard Ulliel. «Les films qui me touchent sont ceux qui vont réveiller en moi des sentiments enfouis. Je peux être touchée par des films moins bons cinématographiquement mais qui ont suscité en moi une émotion», continue-t-elle, se disant souvent bouleversée par le cinéma russe auquel le festival a rendu hommage cette année. Un cinéma qu’elle connaît bien puisque son mari a eu la «chance de produire Tarkovski, un des plus grands cinéastes du siècle».  Mélita Toscan du Plantier a de nombreux noms en tête, plusieurs personnes qu’elle tient à ramener à Marrakech. Elle pense à la grande Meryl Streep,   qu’elle a approchée à plusieurs reprises mais dont l’emploi du temps ne permet pas de se mobilier aussi longtemps aussi loin. Elle n’hésite pas à utiliser ses contacts, à se servir des invités qui viennent chaque année comme carte de visite pour le festival». Les gens qui repartent sont à 100% enchantés. C’est vraiment un festival atypique. Je les utilise souvent pour convaincre d’autres stars» parce que, selon elle, une chose est sûre : «Ce festival doit continuer, persister, ne jamais s’arrêter même s’il y a des années qu’on peut appeler plus faibles, il ne doit pas s’arrêter. Il est la démonstration même de l’ouverture du Maroc».



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