Femmes rurales : les coopératives, vectrices de l’empowerment socio-économique
Marwane El Halaissi,
Chercheur et consultant-formateur en entrepreneuriat social et économie sociale et solidaire
Depuis le début du nouveau millénaire, le champ coopératif connaît une profonde mutation au Maroc, que ce soit sur le plan quantitatif ou qualitatif. Depuis le début des années 2000, en effet, les coopératives se sont imposées sur la scène nationale en tant qu’alternative de choix, et développent différentes activités génératrices de revenus, notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l’artisanat. Le nombre de coopératives a presque doublé entre 2015 et 2019, à 27.262 unités, et celui des coopérateurs a atteint 563.776.
L’analyse de la répartition sectorielle des coopératives et leurs unions permet de relever que le secteur de l’agriculture en accapare la majorité (17.582). Le nombre de coopératives d’artisanat est de 4.939, et celles d’habitat atteignent 1.200. De 2010 à fin 2019, le mouvement coopératif marocain s’est enrichi de nouveaux secteurs (scolarisation, commercialisation électronique, services à domicile…).
Dans ce cadre, les coopératives féminines n’ont eu de cesse de se multiplier, totalisant aujourd’hui 4.524 unités et 35.000 adhérentes. Plus de 39% de ces coopératives exercent dans le secteur agricole avec 8.363 adhérentes, suivies de l’artisanat (36%) avec 7.930 membres et la filière de l’argan (plus de 17%) avec 4.952 adhérentes.
L’importance de la coopérative réside dans le fait qu’elle facilite l’insertion socioprofessionnelle de la femme rurale. En développant une activité génératrice de revenus, la femme rurale passe d’un statut de femme au foyer à celui d’actif occupé. En adhérant à une coopérative, elle développe des activités similaires aux tâches domestiques, surtout dans le cas des activités artisanales et agricoles. Elle perçoit ainsi une rémunération stable en contrepartie de tâches qu’elle accomplissait pour son ménage, sans gratification.
Construction de savoirs et de compétences
Plus que cela, la coopérative consolide la valorisation personnelle du travail de la femme, surtout en milieu rural. Prenant conscience de l’importance des tâches qu’elle effectue, la femme rurale s’investit davantage dans son travail et construit de nouvelles trajectoires de valorisation des ressources locales.
Ce genre de dynamisme pro-communautaire appuie l’autodétermination et l’empowerment de la femme rurale qui apprend par là la sociabilité du travail. Elle développe des liens de collaboration avec ses pairs, échange et s’inscrit dans de nouveaux chemins de construction de savoirs et de compétences.
La coopérative représente aussi un espace de renforcement des compétences de la femme rurale et ce, sur tous les plans (personnel, collectif, managérial). La femme rurale développe de nouveaux rapports sociaux avec divers acteurs (institutionnels, économiques, sociaux) et brise ainsi de multiples obstacles symboliques à l’origine de sa précarité.
Tremplin économique et social
Le fait d’adhérer à une coopérative permet aux femmes de s’impliquer dans la vie économique et sociale, mais aussi dans l’organisation des activités génératrices de revenus et d’emploi, dans la mutualisation des efforts et l’institutionnalisation de l’approche entrepreneuriale à portée locale. Sur le plan social, l’épanouissement de la femme se concrétise par son accès à une nouvelle position : celle de «manager» de la coopérative.
Ce nouveau statut lui permet de développer de nouvelles capabilités managériales tout en consolidant sa confiance en elle-même, au profit de son autonomisation, et lui permet de s’ouvrir sur de nouveaux horizons. La femme rurale développe de nouveaux rapports avec des acteurs institutionnels, des acteurs économiques, les collectivités locales. La femme rurale construit des conventions de partenariat avec les différentes parties prenantes au niveau territorial. Elle prend aussi part au jeu démocratique, en votant et contribuant à la construction des décisions.
La coopérative sert ainsi de tremplin à la femme rurale vers la vie citoyenne et politique. À travers sa participation à la gouvernance de la coopérative, elle consolide son autonomie sociale et économique et apprend, par son contact régulier avec son environnement, à développer des liens privilégiés avec différents acteurs, à participer à la gestion des affaires locales et à s’activer dans la vie politique. L’apport multiple des coopératives à l’autonomisation socio-économique de la femme rurale favoriserait sa participation citoyenne et politique, contribuant au passage à la mise en place d’une société égalitaire et à la consolidation de la cohésion sociale.