Maroc

Exportations : fini les dossiers papiers, l’ADII bouscule les usages

Le régime fiscal du drawback-énergie, permettant le remboursement des taxes sur l’énergie pour les produits exportés, fait l’objet d’une réforme avec son intégration à la plateforme numérique BADR de l’ADII. Exit les dossiers physiques à la tonne, tout se fait désormais en un clic. Zoom sur ce changement qui devrait bousculer les usages pour les exportateurs !

Intégrer la procédure du drawback-énergie à BADR va-t-il booster la compétitivité des exportations marocaines ? Les exportateurs pourront-ils gagner du temps et de l’argent avec la nouvelle procédure ? L’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) vient de franchir une étape majeure dans la digitalisation de ses procédures avec l’intégration de la gestion des dossiers de remboursement du drawback-énergie au sein de la plateforme BADR.

Cette réforme de taille, annoncée par la circulaire n°6552/313, promet de simplifier drastiquement les démarches pour les entreprises exportatrices tout en renforçant l’efficacité du traitement de ces dossiers par les services douaniers.

Rappelons que le drawback permet le remboursement des droits et taxes intérieurs grevant les consommations énergétiques incorporées dans les produits exportés ou cédés sur le territoire douanier, un régime fiscal essentiel pour préserver la compétitivité des entreprises marocaines à l’international. Sa gestion informatisée constituait jusqu’à présent un îlot au milieu du vaste chantier de dématérialisation des procédures douanières, piloté par l’ADII.

Avec cette nouvelle directive, l’administration douanière accélère sur la voie de la modernisation en intégrant cette procédure cruciale au cœur de BADR, sa plateforme phare pour le dédouanement en ligne. Un choix stratégique qui générera d’importants gains d’efficacité à plusieurs niveaux.

«Drawback-énergie» : de quoi s’agit-il ?
Comme indiqué plus haut, le «drawback-énergie» désigne le régime permettant le remboursement des droits et taxes intérieurs grevant les consommations énergétiques incorporées dans les produits exportés ou cédés sur le territoire douanier.

En d’autres termes, nous explique un analyste, «il s’agit d’un mécanisme fiscal qui accorde le remboursement des taxes payées sur l’énergie (électricité, combustibles, etc.) utilisée pour la fabrication de produits destinés à l’exportation ou à la cession locale, mais finalement réexportés. Ce dispositif vise à préserver la compétitivité des entreprises exportatrices marocaines en les exonérant des taxes sur les consommations énergétiques incorporées dans leurs produits à l’export, afin de les mettre sur un pied d’égalité avec leurs concurrents étrangers qui ne supportent pas ces taxes».

Le «drawback-énergie» fait donc partie des régimes économiques en douane au même titre que l’admission temporaire ou le perfectionnement actif, permettant de compenser les handicaps fiscaux des entreprises orientées vers les marchés extérieurs.

Simplicité d’utilisation accrue pour les entreprises
Pour les déclarants, qu’il s’agisse de sociétés exportatrices ou de transitaires, cette réforme se traduira par une expérience utilisateur nettement améliorée. Fini les allers-retours entre différentes applications avec les risques d’erreurs que cela comporte. Tout se fera désormais en une seule étape sur BADR : création, modification, édition et suivi des dossiers de remboursement. Une véritable avancée sur le plan de la simplification des process qui permettra aux opérateurs économiques d’optimiser leurs flux et de gagner un temps précieux. Le nouveau module dédié, «ergonomique et intuitif», guidera les utilisateurs à chaque étape dans la constitution des dossiers conformément à la réglementation.

Un circuit de traitement entièrement digitalisé et sécurisé
Mais la modernisation ne profitera pas qu’aux entreprises. Les services douaniers bénéficieront à leur tour d’outils plus performants pour le traitement de ces dossiers en les intégrant au circuit 100% numérique de la plateforme BADR dont la qualité n’est plus à démontrer en matière de traçabilité, de sécurité et de fluidité des échanges de données. Un atout de poids pour accélérer les contrôles et garantir un délai de remboursement optimal dans un contexte marqué par une hausse continue du nombre de dossiers à traiter, sous la pression de la demande internationale.

Transition en douceur assurée
Malgré l’ampleur de la réforme, l’ADII prévoit une transition en douceur pour les entreprises qui pourront effectuer leurs démarches de manière transparente. «Le dispositif prend en charge les demandes pour les exportations depuis le 1er janvier 2024, tandis que les dossiers antérieurs resteront traités via l’ancienne application, le temps de leur apurement», explique l’ADII. Un soin particulier sera également apporté à l’accompagnement des opérateurs souhaitant bénéficier pour la première fois du drawback, avec un processus de domiciliation amont, auprès du service compétent.

Un nouveau jalon vers davantage de compétitivité
Avec cette intégration réussie d’une procédure comme le drawback-énergie, l’ADII confirme la pertinence de sa feuille de route pour la transformation numérique des principaux services douaniers. Une avancée qui contribuera à muscler la productivité et la compétitivité des entreprises exportatrices marocaines sur les marchés internationaux en rendant le remboursement des taxes énergétiques plus fluide, rapide et accessible. Un signal fort envoyé aux investisseurs quant à la détermination des autorités à faciliter les échanges commerciaux et à améliorer l’environnement des affaires au Maroc, en phase avec les objectifs de la stratégie nationale de développement du commerce extérieur.

Croissance exponentielle des remboursements du drawback, malgré des volumes en berne
Le remboursement du drawback, ce régime fiscal clé pour stimuler les exportations, semble prendre une nouvelle dimension au Maroc. Selon les dernières données de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII), les montants remboursés aux entreprises au titre du drawback-énergie ont plus que doublé entre 2020 et 2022, passant de 30 à 65 millions de dirhams. Une hausse spectaculaire de 116% en seulement deux ans, qui tranche pourtant avec la baisse du nombre de requêtes traitées sur la même période, passant de 9.438 à seulement 828. Une évolution a priori paradoxale qui mérite une analyse approfondie.

Compenser l’impact de la hausse des coûts énergétiques
La première explication de cette envolée des remboursements tient au contexte énergétique mondial marqué par une flambée historique des cours des hydrocarbures et de l’électricité depuis 2021. Face à cette hausse massive des coûts de production, le régime du drawback joue pleinement son rôle en permettant de compenser l’alourdissement de la facture énergétique pour les produits exportés.

Concrètement, chaque dossier de remboursement représente aujourd’hui un enjeu financier nettement plus élevé pour les entreprises, qui ont logiquement davantage sollicité ce levier fiscal crucial pour leur compétitivité internationale. Un coup de pouce bien accueilli dans un environnement économique dégradé, où les marges se sont considérablement réduites sous l’effet combiné de l’inflation importée et du ralentissement de la demande mondiale. Le maintien d’un délai moyen de traitement court de 1,2 jour reflète par ailleurs les efforts de l’ADII pour absorber cette hausse des volumes financiers à traiter malgré des effectifs probablement contraints.

Une concentration des exports sur un nombre restreint d’acteurs ?
Parallèlement à cette dynamique de compensation, la chute vertigineuse du nombre de demandes de drawback pourrait révéler un effritement du tissu exportateur national ces dernières années. Une hypothèse crédible au regard du fort ralentissement du commerce extérieur marocain, plombé depuis 2020 par les répercussions économiques de la crise sanitaire mondiale.

«Face aux contraintes logistiques, aux ruptures d’approvisionnement et à l’envolée des coûts, de nombreuses PME exportatrices ont renoncé ou réduit leur activité à l’international», note un analyste.

Le régime du drawback pourrait alors s’être paradoxalement concentré sur un nombre plus restreint de grosses entreprises, mieux armées pour affronter ces vents contraires et disposant de volumes d’exportation suffisants pour que la valorisation des remboursements énergétiques devienne un enjeu stratégique décisif. Une hypothèse corroborée par le mouvement de consolidation à l’œuvre actuellement dans de nombreux secteurs exportateurs marocains, des leaders étendant leur part de marché au détriment d’acteurs plus fragiles.

Améliorer durablement l’attractivité du drawback, un impératif

Quelle que soit l’explication, le double mouvement de hausse des remboursements et de baisse du nombre de dossiers souligne l’importance vitale de poursuivre les efforts pour faciliter toujours plus l’accès des entreprises à ce mécanisme de soutien fiscal. La récente intégration de la gestion du drawback-énergie à la plateforme numérique BADR constitue indéniablement une avancée majeure en termes de simplicité et d’efficacité pour les usagers comme pour les services douaniers. Mais elle ne doit être qu’une première étape vers une refonte globale de ce régime fiscal essentiel.

Au-delà de la poursuite des efforts de modernisation, une réflexion de fond doit être menée sur les conditions d’éligibilité ainsi que sur les modalités de calcul des remboursements, régulièrement pointées du doigt par les fédérations professionnelles pour leur manque de lisibilité et leur caractère inadapté aux réalités industrielles. Car au-delà des enjeux de compétitivité pour le présent, le drawback sera un levier décisif pour préparer l’avenir en permettant aux entreprises industrielles qui en bénéficient d’investir dans la transition énergétique et le développement de procédés plus sobres en consommations fossiles. Un impératif pour relever le défi de la décarbonation de l’économie dans les années à venir.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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