Maroc

Environnement : le Royaume en quête d’une souveraineté hydrique durable

Face à une crise de l’eau qui s’aggrave d’année en année, le Maroc se retrouve à la croisée des chemins. Entre volontarisme politique affirmé et fragmentation institutionnelle persistante, la souveraineté hydrique du Royaume vacille, menaçant l’ensemble de ses équilibres, alerte le dernier rapport de l’Institut marocain d’intelligence stratégique.

Dans un pays où le ciel tarde à pleuvoir et les nappes profondes s’épuisent à vue d’œil, l’eau devient une affaire d’État. Le Maroc ne manque ni de discours ni d’investissements, mais il risque désormais de manquer d’eau. Le dernier rapport de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS), publié en juin 2025, dresse un état des lieux sans complaisance. Derrière les chiffres se dessine un constat implacable. Sans réforme profonde de la gouvernance et de ses priorités, le Royaume pourrait franchir, d’ici 2035, le seuil critique de pénurie hydrique absolue.

Stress hydrique chronique
En un demi-siècle, la dotation en eau par habitant au Maroc est passée de 2.600 m³ par an à seulement 600 m³. À trajectoire constante, elle devrait chuter sous la barre des 500 m³ d’ici 2040. Ce basculement vers la pénurie absolue n’est pas seulement le fruit du changement climatique, même si l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée dans le pays.

Il découle aussi de choix de développement intensif en eau, en particulier dans le secteur agricole. Les auteurs soulignent que cette crise n’est pas uniquement climatique. Elle est aussi le résultat de «choix de développement intensif en eau, qui ont profondément déséquilibré le cycle hydrologique national».

Parmi les causes les plus critiques figure la priorité donnée à une agriculture fortement consommatrice, avec plus de 85 % de l’eau prélevée utilisée pour l’irrigation. Des cultures très gourmandes comme l’avocat ou la pastèque prospèrent encore dans des zones arides, alors même que certaines nappes phréatiques affichent des baisses de plusieurs dizaines de mètres, comme à Chtouka-Aït Baha où le niveau a reculé de 30 mètres en 45 ans.

Une vision freinée par les limites du système
Le Roi Mohammed VI a fait de la question de l’eau une priorité nationale. Le discours d’octobre 2022, appelant à une rupture avec «toutes les formes de gaspillage ou d’exploitation anarchique», a marqué un tournant. Depuis, des projets structurants ont été lancés ; transferts interbassins, généralisation du dessalement à Casablanca, Agadir et Dakhla, ou encore création d’un corridor hydraulique entre Sebou et Bouregreg. Mais cette volonté politique se heurte à des limites institutionnelles bien identifiées.

Le rapport rappelle que «la multiplicité des organes (département de l’Eau, agences de bassin, ONEE, ministère de l’Agriculture, collectivités, EEP) entraîne des chevauchements de compétences et une dilution de la responsabilité».

Cette fragmentation est aggravée par «l’inactivité chronique des organes de coordination», comme le Conseil supérieur de l’eau et du climat, qui ne s’est pas réuni depuis 2001.

Concernant l’ONEE, le rapport indique qu’il «fait face à des défis de soutenabilité financière et à une transition organisationnelle complexe avec la montée en puissance des SRM». Les agences de bassin hydraulique, de leur côté, «manquent de moyens, de pouvoir coercitif et de coordination avec les autres acteurs». À ces failles s’ajoute un déficit majeur sur le plan de l’information.

Selon l’IMIS, «le manque d’un système d’information fiable et accessible sur les ressources en eau» constitue un obstacle de fond. L’absence de données partagées rend impossible tout arbitrage éclairé entre usages concurrents. Sans données fiables, il devient impossible de piloter la transition hydrique, d’anticiper les crises ou d’arbitrer entre des usages concurrents. C’est ce que dénonce le rapport, en soulignant le vide informationnel qui entrave l’action publique.

Les dix commandements de l’IMIS

Face à l’ampleur des déséquilibres, l’Institut marocain d’intelligence stratégique avance dix recommandations concrètes qui appellent à renforcer la gouvernance, à mieux maîtriser la demande et à diversifier les sources d’approvisionnement. Tout d’abord, le rapport appelle à mettre en place «un Système national unifié de la donnée hydrique doté d’une interface publique», condition essentielle pour fiabiliser les diagnostics et anticiper les crises.

Sur le plan agricole, il recommande de «plafonner les prélèvements par bassin» et de conditionner les subventions à «la restitution d’une partie de l’eau économisée». Les aides devraient être réorientées en fonction de la valeur ajoutée créée par mètre cube, afin de favoriser les cultures sobres comme les légumineuses ou l’olivier pluvial. La maîtrise de la demande passe aussi par «une tarification progressive et différenciée», qui protège les ménages vulnérables tout en renchérissant les usages excessifs.

L’IMIS plaide également pour le renforcement de la police de l’eau et la mise en œuvre de «contrats de nappe» impliquant les usagers et les collectivités autour de quotas et de calendriers de recharge.

Concernant les ressources non conventionnelles, l’institut propose d’accélérer le recours au dessalement et à la réutilisation des eaux usées, avec l’objectif d’atteindre un milliard de m³ d’eau alternative à l’horizon 2030, en s’appuyant sur «des obligations vertes et des partenariats public-privé». Le rapport insiste aussi sur l’importance d’un changement culturel.

Il suggère de déployer «une culture de la sobriété hydrique par l’éducation et la formation», en renforçant notamment le programme Éco-Écoles, déjà actif dans plus de 5 000 établissements. Enfin, il appelle à «imposer l’empreinte eau comme critère préalable d’investissement» pour tout projet industriel, touristique ou agricole, et à créer un observatoire académique «Nexus eau-énergie-agriculture-écosystèmes» afin de mutualiser les données et de former la prochaine génération de décideurs hydriques.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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