Enseignement de l’amazigh : Aucune nouveauté pour cette rentrée

L’enseignement de la langue amazighe ne semble pas une priorité pour le ministre de l’Éducation nationale ; du moins pour cette rentrée scolaire qui ne connaîtra visiblement aucune nouveauté en la matière. Une étude est en cours de finalisation pour déterminer les besoins et la manière de généraliser cette langue tel que stipulé par le projet de loi organique sur l’amazigh. Le recteur de l’IRCAM, Ahmed Boukous, déplore «l’exclusion» de l’amazigh de la politique de l’Éducation nationale.
La généralisation de l’enseignement de l’amazigh est-elle une priorité pour le système de l’Éducation nationale qui est miné par plusieurs maux ? En tout cas, l’enseignement de cette langue ne connaîtra manifestement aucun changement au cours de cette rentrée scolaire. Aussi, les activistes amazighs ainsi que l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) tirent-ils la sonnette d’alarme, appelant à la nécessité d’implémenter les dispositions de la Constitution, mais tant que la loi organique sur l’officialisation de l’amazigh n’a pas encore été entérinée par l’institution législative, la situation reste stagnante. Le texte prévoit une généralisation progressive de l’enseignement de l’amazigh à tous les cycles sur quinze ans. Bon nombre de voix critiquent les appels à la généralisation de l’amazigh alors que le Maroc a d’autres priorités au niveau de la réforme du secteur de l’Éducation nationale. Les études ont démontré que bon nombre d’élèves du primaire ne maîtrisent même pas la deuxième langue étrangère, voire l’arabe. Une situation on ne peut plus compliquée, néanmoins qui ne semble pas dissuader le recteur de l’IRCAM, Ahmed Boukous, qui défend la promotion de l’enseignement des langues étrangères au même titre que celles nationales, à savoir l’arabe et l’amazighe.
Aujourd’hui, l’enseignement de la langue amazighe n’est visiblement pas en tête des priorités pour le département de Mohamed Hassad ; du moins pour cette rentrée scolaire. Il faut dire que les desseins escomptés nécessitent de grands moyens aussi bien financiers qu’humains. Beaucoup de paramètres sont, en effet, à étudier. Le responsable gouvernemental a souligné récemment au Parlement que son département était en train de finaliser une étude pour définir les besoins en matière de généralisation de l’enseignement de cette langue au niveau du collège et des lycées mais aussi la manière d’atteindre cet objectif. À titre d’exemple, faut-il mettre en place des enseignants spécialisés dans l’enseignement de l’amazigh pour prendre en charge plusieurs classes ou former des professeurs polyvalents capables d’enseigner outre l’amazighe d’autres disciplines ? Une interrogation qui reste, pour le moment, en suspens.
En tout cas, l’IRCAM, qui entend dès cette rentrée mener un lobbying auprès du ministre de l’Éducation nationale, ne compte pas lâcher du lest en vue de donner un véritable coup de fouet à l’enseignement de l’amazigh dès l’année scolaire prochaine. De grands efforts sont à déployer pour pouvoir généraliser cet enseignement, à commencer par la formation des ressources humaines. De 2003 jusqu’en 2012, le gouvernement formait chaque année des enseignants avec le concours de l’IRCAM, mais cela fait cinq ans que le département de tutelle a mis fin à ce programme de formation. «Pire encore, un certain nombre d’enseignants de l’amazigh ont été réorientés vers d’autres langues et matières», se désole Ahmed Boukous qui estime le nombre d’enseignants de la langue amazighe au Maroc à 5.000 alors que Hassad avait signalé au Parlement l’existence de quelque 2.111 professeurs qui enseignent l’amazigh à 211.000 élèves du primaire sur un total de 2,4 millions, soit moins de 9% de l’effectif global.
L’IRCAM estime à 7.000 le nombre nécessaire d’enseignants de l’amazigh au niveau du primaire pour atteindre la généralisation souhaitée. En ce qui concerne l’enseignement collégial et qualifiant, l’estimation n’est pas encore faite car elle dépend de bon nombre de paramètres. Au niveau de l’enseignement supérieur, l’espoir est de créer des départements de langue et de littérature amazighes dans les universités à l’instar de ce qui existe pour les autres langues, en vue de former des cadres qui seront en mesure de promouvoir l’enseignement de la langue amazighe. Sur le plan pédagogique, les manuels et les guides d’enseignants ainsi que des supports parascolaires (versions papier et numérique) existent pour les six premières années du primaire depuis 2004. Il s’avère aujourd’hui nécessaire de développer les programmes au niveau de l’enseignement collégial et qualifiant. L’IRCAM a déjà travaillé sur la question pour le collège.
«Le manuel de l’amazigh sera absent du marché»
Ahmed Boukous
Recteur de l’IRCAM
Les Inspirations ÉCO : Auriez-vous espéré des nouveautés pour l’enseignement de l’amazigh au cours de cette rentrée ?
Ahmed Boukous : La présentation faite par le ministre de l’Éducation nationale lors de la session du Conseil supérieur de l’éducation et de la formation indique clairement qu’aucune nouveauté n’est envisagée pour l’amazigh au cours de cette rentrée scolaire. La situation restera ainsi la même que lors des années précédentes. Malheureusement, aucun progrès ne sera enregistré quant au nombre d’élèves, d’écoles, de classes…Pire encore : il semble, d’après les professionnels du livre scolaire, que la liste établie par le ministère de l’Éducation nationale ne comprend pas le livre d’enseignement de l’amazigh. Aussi, le manuel de l’amazigh sera-t-il absent du marché, ce qui risque de poser de sérieux problèmes. En effet, l’enseignement de l’amazigh ne pourra pas se faire sans manuels.
Quid de la concertation de l’IRCAM avec le ministre de l’Éducation nationale sur la promotion de l’enseignement de l’amazigh ?
Une dizaine de jours après la nomination du ministre de l’Éducation nationale, l’IRCAM lui a adressé une note faisant le point sur l’enseignement de l’amazigh durant l’année 2016/2017. Le recteur qui représente l’Institut au sein du Conseil supérieur de l’éducation et de la formation, après avoir écouté attentivement le discours du ministre et constaté que l’amazigh n’y était pas mentionné, a signalé cette question tout en précisant que cette occultation est contraire aux dispositions de la Constitution qui fait de l’amazigh une langue officielle au même titre que l’arabe. On ne comprend pas les raisons de l’exclusion de l’amazigh de la politique de l’Éducation nationale. D’après le ministre, l’enseignement de l’amazigh ne connaîtra aucun changement et aucune nouveauté. C’est l’absence des manuels scolaire du marché qui aggrave plutôt la situation.
Le Maroc est appelé à renforcer l’enseignement des autres langues dont le niveau est faible parmi bon nombre d’élèves. Que pensez-vous de l’argument de la nécessité de s’atteler plutôt à la promotion de l’enseignement d’autres langues comme l’anglais au lieu d’insister sur la généralisation de l’amazigh ?
Les deux choses ne sont pas contradictoires. L’enseignement de l’anglais existe dans le système éducatif marocain depuis toujours. Aujourd’hui, on assiste à un renforcement de l’enseignement de l’anglais et il s’agit d’une excellente mesure car c’est la langue du monde moderne ainsi que de la technologie et de la science moderne. Nos enfants ont besoin de maîtriser la langue anglaise pour s’insérer dans le marché du travail, pouvoir faire de la recherche et communiquer avec l’étranger. Cela n’est pas contradictoire avec l’enseignement de l’amazigh qui est actuellement enseigné à raison de trois heures par semaine alors que l’anglais et le français sont à cinq heures et l’arabe à davantage. Les enfants ont la compétence d’apprendre n’importe quelle langue. Il faut commencer dès le préscolaire. Tout l’avenir de l’élève est déterminé par la qualité du préscolaire.