Éducation aux valeurs. Oui, mais quoi ?

L’éducation aux valeurs, au sein des établissements scolaires, est l’un des chantiers sur lesquels devra se pencher le gouvernement dans le cadre de la mise en œuvre de la loi-cadre de l’enseignement. Une charte devra être élaborée. Mais cette mission s’annonce compliquée car il faut définir la nature des valeurs qu’on souhaite ancrer alors que la société marocaine ne parle pas de la même voix.
La loi-cadre de l’enseignement stipule l’élaboration, par le gouvernement, de la charte de l’apprenant qui précise ses droits et ses devoirs. C’est un premier pas pour contrecarrer les dysfonctionnements qui émaillent le système de l’éducation aux valeurs dans les écoles. D’aucuns soulignent qu’il est grand temps de s’attaquer à ce dossier car on assiste de plus en plus à une déliquescence des valeurs aussi bien au sein de l’école que de la société. L’éducation aux valeurs a été pratiquement négligée au cours des dernières années, et on s’est plutôt focalisé sur la transmission du savoir et des connaissances, comme le constatent les spécialistes. Or, sans valeurs, la transmission des connaissances reste limitée.
Le gouvernement a déjà été interpellé sur ce dossier suite aux cas de violences dans les établissements scolaires. On estime en effet que l’école marocaine a failli à sa mission en matière d’éducation aux valeurs. Les programmes scolaires sont pointés du doigt. À maintes reprises, le département de tutelle a été appelé, notamment au Parlement, à supprimer tout ce qui incite à la haine et à l’extrémisme. Quelques retouches ont été introduites dans les manuels scolaires après révision de la Constitution. Cependant, aucune révision de fond n’a été opérée dans les livres scolaires depuis des années. Le dossier devra être traité en se basant sur une approche scientifique. Quelques phénomènes observés devront être étudiés par des projets du programme Ibn Khaldoun d’appui à la recherche scientifique dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce sera une première qui permettra d’avoir un regard sur un volet on ne peut plus important dans le système éducatif.
Ce travail permettrait de baliser le terrain pour l’élaboration de la charte de l’apprenant et de mettre en place une véritable stratégie en matière d’éducation aux valeurs. Cette mission s’annonce compliquée bien qu’elle puisse, de prime abord, paraître aisée. Et pour cause, l’école n’est que le reflet de ce qui se passe dans la société. Plusieurs préalables sont nécessaires pour relever tous les défis, à commencer par la nécessité de préciser clairement la nature des valeurs qu’on tend à ancrer au sein de la société (valeurs religieuses, droits de l’Homme, modernisme…), d’autant plus que la société marocaine ne parle pas de la même voix.
À cet égard, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique recommande la mise en place d’un programme national et régional de mise en œuvre des propositions en associant les acteurs pédagogiques, y compris les familles, à son élaboration. Il faut définir les valeurs communes qui sont déjà contenues dans la Constitution et la législation, les objectifs et les finalités de l’éducation aux valeurs ainsi que les engagements de l’école et de ses partenaires. Cela doit servir de référentiel pour la mise en adéquation des curricula, programmes scolaires et formation universitaires, la formation des acteurs, la préparation du projet d’établissement… L’enjeu est de taille. Il s’avère aujourd’hui indispensable de remettre d’équerre le système éducatif en mettant fin aux difficultés et dysfonctionnements énumérés par les experts du CSEFRS. À leur tête, un manque de coordination d’ensemble et une capitalisation limitée des acquis des nombreux programmes dédiés à cette question.
Les documents et contenus de référence sont insuffisamment actualisés pour accompagner les évolutions législatives, institutionnelles et cognitives en cours dans le pays ou au niveau international. Des écarts sont enregistrés entre les objectifs du curriculum scolaire et la réalité des pratiques pédagogiques.
On note aussi l’incompatibilité et la faible cohérence des valeurs autour desquelles s’articulent les matières scolaires ainsi qu’une faible capacité des méthodes pédagogiques à réaliser les objectifs prescrits. À cela s’ajoute un point crucial: la rareté des partenariats entre l’école et son environnement en ce qui concerne les programmes et activités ayant trait à l’éducation aux valeurs. Plusieurs paradoxes sont relevés. Un écart croissant est constaté entre le discours relatif aux valeurs, aux droits et aux devoirs, d’une part, et les pratiques au quotidien, d’autre part. En témoignent la violence au sein des établissements scolaires ainsi que l’aggravation des comportements contraires aux valeurs. Le manque d’évaluation et de suivi des grands programmes institutionnels lancés en matière d’éducation aux valeurs induit un affaiblissement des processus de réforme et une déperdition de l’effort. En somme, l’éducation aux valeurs ne se traduit pas concrètement en comportements.