Maroc

Économie bleue : l’algoculture, le maillon faible

Loin d’avoir atteint sa vitesse de croisière, la culture des algues à des fins alimentaires ou pharmaceutiques peine encore à s’affirmer au Maroc. Le désintérêt persistant pour cette filière à haut potentiel nourrit la frustration des investisseurs et bailleurs de fonds. La Banque mondiale, largement représentée lors du Dialogue national sur l’algoculture, n’a pas manqué d’exprimer son désarroi face à la lenteur des avancées.

L’économie bleue est souvent réduite à ses dimensions les plus visibles, la pêche industrielle, le transport maritime ou encore l’énergie offshore. Mais cette lecture demeure injustement simplificatrice de la réalité. À côté de ces piliers traditionnels, la culture des algues, ressource plus discrète, suscite un intérêt croissant, tant auprès des investisseurs que dans les milieux scientifiques.

Réuni à Rabat sous l’égide de l’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture (ANDA) et du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime, le Dialogue national sur l’algoculture est venu conforter cette prise de conscience en rassemblant responsables publics, experts scientifiques, opérateurs privés et bailleurs de fonds.

La Banque mondiale, largement représentée, a pesé sur les échanges en insistant sur le fait que l’exploitation des algues à des fins alimentaires ou pharmaceutiques ne saurait être considérée comme un segment de niche et qu’elle doit désormais être reconnue comme une filière stratégique.

Potentiel intact
Fort d’un littoral de 3.500 kilomètres, le Maroc dispose d’atouts indéniables. Les projections conjointes de l’ANDA et du ministère de tutelle estiment le potentiel de production à 100.000 tonnes d’algues. Ces perspectives nourrissent l’idée d’un cluster côtier intégré, capable de transformer une ressource naturelle abondante en levier industriel et économique. Mais il faut dire que ces ambitions contrastent avec l’état actuel de la filière.

Certes, le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime revendique, dans un communiqué diffusé en marge de la rencontre, ses réalisations en matière de projets autorisés. La tutelle met en avant un total de soixante-dix projets, soit environ 22% de l’ensemble des autorisations délivrées, sans préciser l’horizon temporel retenu.

Sur le plan de la production, ses représentants assurent que «la filière confirme son rôle stratégique dans l’offre aquacole».

Pourtant, les constats exprimés lors de la rencontre viennent nuancer ce bilan. Sur le papier, le potentiel de l’algoculture au Maroc demeure significatif. La filière compte déjà soixante-dix fermes identifiées, pour une production cible annuelle estimée à près de 92.000 tonnes. Ce potentiel se traduit également par des débouchés multiples. Les biofertilisants et biostimulants agricoles offrent une alternative durable aux intrants chimiques.

L’industrie textile explore de nouveaux usages en associant fibres d’algues pour renforcer sa compétitivité et alléger son empreinte carbone. Le secteur agroalimentaire constitue lui aussi un débouché porteur, qu’il s’agisse de substituer une partie des importations par des produits locaux ou de se positionner sur des marchés d’exportation où la demande en additifs et ingrédients issus des algues ne cesse de croître. Sans oublier la cosmétique et la pharmacie, qui ouvrent des perspectives de valorisation à forte valeur ajoutée.

Goulets d’étranglement
Au-delà du cadre national, certains pays s’imposent comme références. La Corée du Sud s’affirme aujourd’hui comme un modèle puisqu’elle concentre près de 70% de la production mondiale d’algues marines cultivées et génère plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires dans cette seule filière.

«La Corée du Sud a créé un institut dont le cœur de métier est entièrement dédié aux algues», observe Lorenzo Juarez, spécialiste senior en aquaculture. Une telle stratégie volontariste a permis de bâtir une chaîne de valeur complète, reliant la recherche, la production et l’industrialisation.

À l’échelle du continent, l’Afrique du Sud se distingue également pour avoir réussi à faire de l’algoculture une locomotive de croissance agricole. Au Maroc, plusieurs goulets d’étranglement freinent encore l’essor de l’algoculture, à commencer par la mobilisation effective du foncier.

«Les zones ont été certes identifiées, mais il faut mobiliser le foncier adapté à l’activité», souligne Najat El Moutchou, spécialiste senior en aquaculture et économie bleue. À cette contrainte s’ajoute la lenteur administrative, qui refroidit les investisseurs.

«Il faut créer un circuit fast-trace en vue d’envoyer un signal fort aux investisseurs», insiste Mme El Moutchou.

A défaut, les investisseurs préfèrent dégainer le portefeuille ailleurs. La chaîne de valeur demeure, elle aussi, fragile. Les infrastructures de séchage et de transformation sont encore au stade embryonnaire et la recherche appliquée manque de moyens pour changer d’échelle. De concret, les experts et observateurs s’accordent à dire que tant que ces maillons ne sont pas consolidés, l’algoculture restera cantonnée à des projets pilotes, sans jamais parvenir à se hisser au rang de filière industrielle.

Le plaidoyer de la Banque mondiale
La Banque mondiale n’a pas caché son agacement face à ces lenteurs. Loin de se limiter à une présence protocolaire, ses représentants ont multiplié les prises de parole, rappelant que le Maroc dispose déjà de tous les ingrédients stratégiques pour bâtir une filière solide.

«Tout est en place, ce qui manque désormais, c’est l’action», a insisté Harrison Charo Karisa, spécialiste principal en aquaculture auprès de l’institution. «We are a bank of knowledge», a-t-il affirmé, revendiquant ainsi le rôle de l’institution de Bretton Woods comme «banque de la connaissance», davantage tournée vers la production de diagnostics et pas uniquement orienté vers le financement.

En ce sens, une étude conduite par les équipes de la BM a mis en évidence le potentiel du secteur privé et confirmé que l’aquaculture peut devenir un secteur phare de l’économie bleue à l’échelle nationale.

«L’algoculture peut se positionner comme un secteur catalyseur de la fibre entrepreneuriale chez les jeunes et les femmes en particulier», observe Cristina Navarrete, chargée principale des opérations. Elle insiste toutefois sur l’importance d’un dialogue structuré entre acteurs publics et privés.

«Il faut créer un cadre de concertation, l’ANDA œuvre certes dans ce sens, mais la promotion de l’investissement dans l’aquaculture reste insuffisante», souligne-t-elle.

Donner corps aux ambitions
Pour faire basculer l’algoculture du registre des intentions à celui des réalisations, plusieurs leviers ont été mis en avant lors du Dialogue national. La gouvernance figure au premier rang, avec la nécessité de mobiliser le foncier identifié et de simplifier les procédures pour accélérer la prise de décision et rassurer les investisseurs. La consolidation de la filière suppose aussi des investissements ciblés dans les unités de séchage et de transformation ainsi que dans la recherche appliquée.

«La clé réside dans la valorisation», affirme Najat El Moutchou, rappelant que seule la transformation permettra au Maroc de capter une part significative du marché mondial.

Enfin, le développement d’infrastructures portuaires adaptées et la création de clusters intégrés apparaissent comme des conditions clés pour inscrire cette branche naissante de l’aquaculture dans les grandes chaînes d’approvisionnement internationales. Au terme de ces assises, un constat s’impose. Le Royaume dispose d’atouts et de stratégies, mais sa capacité d’exécution dira si l’algoculture restera une promesse ou s’imposera comme un pilier de l’économie bleue.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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