Droits de douane US : onde de choc sur l’industrie textile

La guerre commerciale lancée par Donald Trump a contraint les fabricants du textile à ralentir leur cadence de production. Apres avoir atteint une situation d’équilibre en 2024, le secteur de l’habillement subit le ralentissement des chaînes d’approvisionnement mondiales. Et cela se ressent dans les statistiques à l’export à fin juillet.
Après une période de relative accalmie, l’industrie mondiale du textile se retrouve une nouvelle fois fragilisée par les secousses de la guerre commerciale initiée par Washington. Les mesures protectionnistes instaurées par Donald Trump ont d’abord perturbé les échanges entre grandes puissances, poussant Pékin à resserrer ses liens avec Moscou et New Delhi.
Et comme il est fréquent que les tensions commerciales l’emportent sur la logique du libre-échange, la guerre tarifaire a fini par se répercuter sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement.
C’est dans ce climat d’incertitude que le Maroc, inséré depuis plus de deux décennies dans les circuits mondiaux de l’habillement, mesure, désormais, la vulnérabilité de son modèle. Au plus fort de la crise sanitaire, ses exportations avaient pourtant fait preuve d’une résilience remarquable, portées par un positionnement rapide sur le fast-fashion.
«En se positionnant rapidement sur le créneau du fast-fashion, les industriels marocains avaient tiré parti du mouvement de relocalisation partielle (Nearshoring) qui, au lendemain de la pandémie, a conduit les grandes marques à réduire leur dépendance vis-à-vis de l’Asie», rappelle Redouane Lachgar, consultant en stratégie industrielle.
Par conséquent, les exportations nationales se sont hissées de 36,4 milliards de dirhams en 2021 à 43,9 milliards en 2022, avant de se stabiliser autour du palier des 46 milliards en 2023 et 2024.
«Ce sursaut de 7,5 milliards de dirhams traduit la réactivité d’un secteur qui a su ajuster son appareil productif aux nouvelles attentes des donneurs d’ordre», commente Redouane Lachgar.
Ce même repositionnement qui avait permis au secteur de regagner en compétitivité se heurte aujourd’hui aux vents contraires d’un commerce mondial imprévisible.
Climat d’incertitude
Malmenées par la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump, les industriels évoluent désormais dans un environnement incertain où les donneurs d’ordre peinent à se projeter, accentuant l’instabilité de la demande. Et cela se ressent dans les statistiques du commerce extérieur à fin juillet. En effet, les exportations du secteur textile affichent un net repli de 3,3% à 27 milliards de dirhams, soit un écart de 909 millions de dirhams, par rapport à une année auparavant !
Au-delà des effets de conjoncture, ce repli traduit la dépendance structurelle du Maroc à un nombre limité de débouchés, principalement de l’Espagne et la France. Ces deux partenaires historiques absorbent à eux seuls plus de la moitié des expéditions d’habillement. Ce qui fut longtemps considéré comme un atout, en raison de la proximité géographique et des accords préférentiels, s’avère en l’état actuel un facteur de vulnérabilité, puisque tout ralentissement sur ces marchés impliquerait une contraction des carnets de commandes.
À l’échelle de l’Union européenne, qui concentre l’essentiel des flux, le sportswear et le textile technique offrent certes de nouveaux relais de croissance, mais le segment de l’habillement traditionnel reste soumis à la concurrence frontale du Bangladesh et du Vietnam, dont les coûts demeurent hors de portée pour les fabricants locaux. Hors UE, la percée sur le marché nord-américain demeure limitée, et ce, malgré une visibilité renforcée lors des salons professionnels.
Conquérir de nouveaux marchés
Par produit, les dernières statistiques de l’AMITH placent la robe au premier rang des exportations, avec 1,8 milliard de dirhams à fin avril 2025, en légère progression de 2% sur un an. Elle est suivie par le chemisier, qui atteint 1,5 milliard de dirhams, confirmant son rôle structurant dans l’offre marocaine. Viennent ensuite le pantalon avec 1,35 milliard, en net recul de 14%, puis le tee-shirt, qui progresse légèrement à 1,19 milliard.
Cette distribution témoigne d’une spécialisation persistante dans l’habillement féminin, moteur historique des exportations nationales, mais aussi d’une exposition accrue aux arbitrages rapides des donneurs d’ordre européens.
Face à cette configuration où l’habillement féminin domine les ventes et où la dépendance européenne demeure prégnante, la filière s’appuie sur une prospection active pour élargir ses débouchés.
Dans ce contexte, l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) multiplie les efforts pour consolider son ancrage sur les marchés traditionnels et conquérir de nouvelles parts de marché. Récemment, un groupement d’industriels a effectué une mission stratégique à Varsovie, afin d’explorer des pistes de coopération avec la Pologne, un partenaire influent au sein de l’Union européenne.
Objectif affiché : élargir les chaînes de valeur et diversifier les relais de croissance en Europe centrale. La promotion du savoir-faire marocain s’est aussi illustrée outre-Atlantique. À New York, lors du salon Première Vision, onze entreprises ont présenté la diversité de l’offre nationale, du denim au sportswear, sous la bannière «The Moroccan Heritag».
Cette vitrine a offert une visibilité rare aux industriels locaux auprès de donneurs d’ordre américains à la recherche de solutions de sourcing fiables et responsables. À Düsseldorf, une mission B2B a renforcé la présence du Maroc sur le marché allemand, l’un des plus porteurs en Europe, où les acheteurs ont salué la qualité des produits et l’engagement RSE des entreprises participantes.
Ces actions collectives soulignent l’ampleur des efforts déployés pour maintenir la compétitivité d’un secteur fragilisé par les turbulences mondiales. Elles traduisent aussi l’ambition du Maroc de s’affirmer comme un hub de sourcing durable, capable d’allier proximité géographique, qualité industrielle et ouverture à l’innovation.
Le secteur se montre plus agressif sur le segment BtoB
Depuis toujours, l’AMITH a multiplié les sorties à l’international pour valoriser le potentiel du textile. Les récentes missions menées à New York ou à Düsseldorf traduisent cette volonté affirmée de s’imposer sur les marchés extérieurs.
La nouveauté réside dans le rôle désormais déterminant d’une jeune génération issue de l’Esith, présente dans le top management de structures de renom, de plus en plus impliquée dans les missions commerciales. Des enseignes comme Miatex ou Ipom incarnent cette relève, qui mise sur l’innovation et la réactivité pour stimuler la compétitivité du secteur.
Ces roadshows dont la finalité est de multiplier les contacts avec des donneurs d’ordres internationaux et de renforcer l’image du «Made in Morocco» sur la scène mondiale. La montée en puissance de cette génération traduit ainsi la volonté de l’organisation patronale du textile d’affirmer une politique offensive à l’international, en tablant sur l’innovation comme levier central tout en faisant de l’innovation un marqueur décisif de compétitivité.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO