Maroc

Droits de douane américains : malaise ambiant chez les exportateurs marocains

La décision choc de Donald Trump d’augmenter drastiquement les tarifs douaniers, suivie d’une pause inattendue de 90 jours, plonge les exportateurs dans l’incertitude. Si le Maroc n’est pas directement visé, ses entreprises ressentent déjà les effets collatéraux d’une mondialisation en perte de vitesse.

La récente offensive protectionniste de Donald Trump ressemble fort à une bombe économique à retardement. Si la déflagration initiale du 2 avril 2025 a ébranlé les marchés financiers mondiaux, la pause surprise décrétée le 9 avril suivant, instaurant un répit précaire de 90 jours sur la majorité des droits de douane tout en ciblant spécifiquement la Chine avec une hausse punitive de 125 %, rappelle surtout qu’en matière de commerce mondial l’imprévisible est désormais la règle.

Pour les entreprises marocaines, cette trêve momentanée, imposée principalement par la nervosité des marchés, est un instant précieux pour revoir leurs cartes. Mais le temps presse et, dans les coulisses, tous cherchent déjà à anticiper le prochain coup de la Maison Blanche. Depuis l’annonce brutale de Donald Trump, le commerce mondial navigue à vue.

« Je suis un petit fabricant de confiseries, j’ai appelé une grande surface aux États-Unis à qui je vends mes produits. Je leur ai dit, je dois augmenter mes prix. Mais eux-mêmes ne savent pas si cette situation va durer. C’est l’incertitude totale», confie Hakim Marrakchi, industriel et président de la commission Fiscalité et Douane à la CGEM.

« 90%, si ce n’est plus, des produits vendus chez Walmart sont fabriqués en Chine, au Vietnam ou en Inde. Avec un taux d’imposition aussi élevé, il est impossible que le coût soit absorbé par les fabricants ou distributeurs. Automatiquement, les prix seront répercutés sur le consommateur américain, affectant gravement son pouvoir d’achat», analyse Marrakchi.

En plus de perturber profondément les chaînes logistiques mondiales, cette guerre économique risque, selon lui, de se retourner contre les États-Unis eux-mêmes, en creusant davantage leurs déficits publics.

Agilité opérationnelle
Ce contexte frileux incite les entreprises marocaines à reconsidérer leurs stratégies. «Si les États-Unis ferment davantage leur marché, cela obligera tous les acteurs à revoir leurs stratégies d’accès, à réorienter certains flux, voire à repenser des alliances industrielles», analyse le CEO d’une holding.

En privilégiant une logique d’agilité, les exportateurs seront amener ainsi à ajuster rapidement leurs circuits, en misant sur des marchés porteurs comme l’Afrique subsaharienne, l’Europe du Sud ou les pays du Golfe. Certains observateurs y voient pourtant une opportunité rare.

«La pause annoncée par Trump est une fenêtre de tir. Pour les entreprises marocaines capables de réactivité, il y a une carte à jouer sur le marché américain, surtout que le Maroc n’est pour l’instant frappé que de droits modérés (10%) par rapport aux pays asiatiques lourdement taxés. Encore faut-il que notre compétitivité logistique suive, sinon cette chance restera purement théorique», précise, pour sa part, Oussama Ouassini, consultant en intelligence économique.

Pourtant plusieurs défis persistent, notamment logistiques
«Sur le marché américain, nous sommes moins efficaces que les Turcs, alors qu’ils sont plus loin que nous», concède Marrakchi.

Malgré l’amélioration des infrastructures, notamment grâce au port de Tanger Med, la liaison logistique entre le Nord et Casablanca reste coûteuse, parfois lente, et pas encore pleinement intégrée. Des mastodontes industriels aux PME locales, la question centrale est désormais celle de la capacité d’adaptation rapide face à un environnement commercial devenu imprévisible. Car le défi dépasse les frontières nationales.

«Nous sommes face à une réorganisation du commerce mondial qui semble s’orienter vers une mondialisation régionale, par blocs, qui pourrait marginaliser les États-Unis s’ils persistent dans leur logique isolationniste. Mais cette transition ne se fera pas sans heurts », souligne le vice-président de l’Association marocaine des exportateurs.

Agilité comme maître-mot
La suspension tarifaire annoncée par Donald Trump peut, pour les entreprises marocaines, sembler offrir un moment d’ajustement. Mais ce répit, aussi bref soit-il, met surtout en lumière une réalité désormais installée. La stabilité économique n’a plus rien d’acquis. Elle devient l’exception, non la règle.

Et pendant que les chaînes de valeur se désagrègent, le Maroc est contraint de faire un choix. Celui d’assumer une posture d’agilité, dans un monde sans promesse de lisibilité, ou de demeurer à la merci d’un ordre économique fragile. Dans les cercles industriels marocains, la tonalité dominante n’est plus celle de l’inquiétude, mais celle de la vigilance pragmatique.

Certains groupes commencent à revoir leurs filières d’approvisionnement, non pas en cherchant une alternative absolue, mais en préparant plusieurs chemins possibles. D’autres, encore trop dépendants des chaînes longues et des transitaires volatils, savent qu’ils auront peu de marge si la fenêtre se referme brutalement. Ce que cette pause tarifaire révèle, c’est l’écart entre ceux qui peuvent réagir et ceux qui n’ont pas le choix.

Le Maroc, dans cette recomposition silencieuse, n’est pas le centre de la carte, mais il n’est pas non plus hors-jeu. Son tissu économique est exposé par ricochet. Quand l’Europe hésite, quand l’Asie se replie, quand les États-Unis se ferment, ce sont les économies intermédiaires qui absorbent les chocs logistiques et les reports de commandes.

À défaut de subir frontalement les surtaxes, les entreprises marocaines doivent composer avec une demande plus volatile, des clients qui renégocient plus vite qu’ils ne signent, et des arbitrages plus brutaux qu’avant.

Imprévisibilité des flux
Dans les secteurs à faible valeur ajoutée, cette pression se traduit par des marges rognées dès la première fluctuation. Dans d’autres filières, plus intégrées — l’automobile, l’aéronautique et les composants électroniques —, la dépendance à des calendriers internationaux rend chaque aléa plus contraignant. Ce ne sont pas toujours les volumes qui inquiètent, mais l’imprévisibilité des flux.

Dans les milieux industriels marocains, l’heure n’est plus aux réactions à chaud. Ce qui prévaut désormais, c’est une forme de prudence active. Certaines entreprises entament une révision discrète de leurs schémas d’approvisionnement, non pour tout bouleverser, mais pour se ménager plusieurs voies en cas de rupture.

D’autres, plus exposées aux dépendances logistiques ou à des transitaires peu flexibles, savent que leurs marges de manœuvre se réduiront drastiquement si l’instabilité devait se prolonger. Certes, le Maroc n’occupe pas le centre du jeu, mais il demeure soumis au diktat de la mondialisation.

Et quand l’Europe, premier partenaire économique du Royaume ralentit, que l’Asie recentre ses priorités, et les États-Unis verrouillent davantage l’accès à leur marché, ce sont principalement les économies de taille intermédiaire qui endossent les effets d’amortissement. Les entreprises marocaines, sans être directement ciblées par les nouvelles mesures, doivent faire face à une demande plus erratique, à des négociations contractuelles plus instables et des prévisions d’achat moins prévisibles.

Dans les filières les plus vulnérables, cette volatilité pèse immédiatement sur les marges. Dans d’autres secteurs davantage intégrés à des chaînes de production internationales, la contrainte ne tient pas à la quantité mais au calendrier. Une tension sur les délais ou une hésitation sur un approvisionnement suffisent parfois à déséquilibrer des modèles qui reposent, en grande partie, sur la stabilité des flux.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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