Domaine privé de l’État : Les parlementaires sur les traces de la Cour des comptes

Un projet de texte en première lecture imposant une nouvelle définition à ce type de biens, lui confère le caractère imprescriptible. Un saut normatif qui doit néanmoins être accompagné d’une réelle politique foncière.
Dans un contexte social exigeant plus de transparence de la part des institutions, l’État ne peut plus se cacher derrière les vides juridiques et la bureaucratie excessive. Alors que la polémique a enflé durant ces deux dernières années autour du domaine privé de l’État, devenu une plateforme de privilèges pour ses haut commis, la Cour des comptes a, en juillet 2017, ouvertement critiqué la réglementation régissant cette partie conséquente du patrimoine étatique. La Commission finance de la Chambre des représentants est ainsi en voie de validation d’un projet de texte en ce sens.
Un vide juridique manifeste
Le but de ce nouveau cadre proposé par les parlementaires, qui contient 27 articles, est avant tout de hisser la réglementation en termes de hiérarchie des normes. La jurisprudence définit le domaine privé de l’État comme étant «constitué par l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers dont l’État est propriétaire et ne faisant pas partie de son domaine public». Une définition exclusive que le projet de texte veut rectifier en énumérant, dès son 2e article, 14 types de biens. Il s’agit principalement des biens ayant perdu la qualité «d’intérêt public», des biens transférés à l’État par un texte de loi, un jugement, ou un contrat, des héritages vacants et des domaines forestiers. En 2014, le patrimoine foncier géré par la Direction des domaines de l’État est estimé à 1,7 million d’ha pour une valeur d’ouverture inscrite au bilan comptable de l’État de l’ordre de 567 MMDH. Par nature de sommier, 69% de ce patrimoine foncier est situé en milieu rural, 23% dans le périmètre suburbain et 8% dans le périmètre urbain.
Le projet de loi veut également appliquer le caractère imprescriptible au domaine privé de l’État, tout en prévoyant une amende pénale (pouvant aller de 10.000 à 50.000 DH) à toute personne s’accaparant un bien de ce type, tout en donnant aux fonctionnaires de la Direction des domaines de l’État (relevant du ministère de l’Économie et des finances) le soin de constater ces contraventions. Il faut rappeler que ce département est déjà en charge de la gestion du domaine privé de l’État, sur la base de l’article 13 du décret du 23 octobre 2008. Le projet de loi reprend d’ailleurs dans ses articles 9 à 15 les mêmes dispositions du décret, édictant que la direction en question est chargée de la constitution du Domaine privé de l’État par voies d’acquisition à l’amiable et d’expropriation, la préhension des biens provenant des successions vacantes, des confiscations et des donations, la gestion du patrimoine immobilier à travers l’apurement de sa situation juridique, la location et l’affectation aux administrations publiques, les cessions immobilières pour la promotion de l’investissement, les évaluations immobilières concernant les opérations intéressant le domaine privé de l’État ou dans le cadre de l’assistance technique, le contrôle des opérations immobilières réalisées par l’État et les établissements publics étrangers, la vente du parc de logement de l’État, les ventes mobilières du matériel réformé, des épaves terrestres et maritimes ainsi que les fruits et produits issus du domaine privé de l’État.
«Absence de politique foncière»
Cependant, le projet de texte n’a pas encore dépassé le stade de la première lecture et son adoption est loin d’être synonyme d’une amélioration de la situation. En effet, au-delà des carences législatives, la Cour des comptes a relevé une «absence de politique foncière». Les magistrats financiers expliquent que «l’essentiel de l’action foncière de l’État se limite aux opérations de cession, d’acquisition, d’affectation et de location en réaction aux besoins instantanés exprimés par les investisseurs alors que ces opérations devraient être la résultante d’une planification stratégique de développement économique et social». D’autant que le domaine privé de l’État ne peut pas à lui seul satisfaire cette demande. Les services gestionnaires sont souvent amenés à mobiliser des terrains relevant d’autres statuts fonciers ; domaine public, domaine forestier, terres «Guich» et terres collectives. Cependant, cet effort de mobilisation bute sur les contraintes juridiques liées à ces terrains caractérisés principalement par leur inaliénabilité, leur imprescriptibilité et leur non soumission à l’expropriation pour cause d’utilité publique.