Déchets électriques et électroniques : le CESE appelle à une réforme urgente du système de gestion

Alors que les déchets électroniques s’accumulent dans les décharges et les ateliers informels, le Conseil économique, social et environnemental sonne l’alerte. Dans un avis publié au Bulletin officiel, il appelle à une réforme en profondeur de la gestion des équipements électriques et électroniques en fin de vie. Objectif : faire de ce flux croissant un pilier de l’économie circulaire au Maroc.
L’accumulation des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) au Maroc inquiète les institutions publiques. Mal encadrée, peu structurée et largement informelle, la filière reste sous-exploitée malgré sa croissance rapide.
Dans un avis publié dans le dernier Bulletin officiel (n° 7439), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dresse un état des lieux préoccupant et appelle à un changement de cap clair et coordonné. La finalité est de faire de ces déchets non plus une menace environnementale, mais une ressource économique valorisable à travers une transition vers l’économie circulaire.
Gaspillage économique
L’avis, intitulé «Les déchets d’équipements électriques et électroniques : vers une économie circulaire», décrit avec précision les failles du système actuel.
Selon le CESE, l’augmentation constante de la consommation d’équipements électriques et électroniques — ordinateurs, téléviseurs, imprimantes, téléphones, climatiseurs, etc. — n’a pas été suivie par la mise en place d’un dispositif efficace de collecte, de tri ou de valorisation. La majorité de ces déchets est abandonnée dans des décharges non réglementées, ou traitée dans l’informel sans traçabilité ni contrôle environnemental ou respect des normes sanitaires.
Le Conseil souligne les risques inhérents à ces pratiques : substances toxiques, pollution des sols, contamination des nappes phréatiques, pertes de ressources précieuses comme le cuivre, l’argent ou certaines matières plastiques techniques.
«Les substances dangereuses contenues dans ces déchets, comme le plomb, le mercure ou les retardateurs de flamme, peuvent générer de graves risques sanitaires et écologiques si elles sont mal gérées», note-t-il. Et d’ajouter : «La perte de matériaux précieux constitue également un gaspillage économique qu’il est urgent de corriger.»
Comment mettre à profit un gisement de valeur certain ?
Pour répondre à ces défis, le CESE propose un ensemble de recommandations structurées autour d’un objectif central : bâtir une filière nationale organisée, conforme aux principes de l’économie circulaire. Il s’agit d’instaurer une chaîne complète de gestion des DEEE — depuis la collecte jusqu’à la valorisation — reposant sur des centres agréés, des mécanismes de contrôle, et un cadre légal clair.
«Les producteurs et distributeurs doivent être contraints de reprendre les équipements en fin de vie et de contribuer financièrement à leur traitement, conformément au principe du pollueur-payeur», recommande l’avis.
Le rôle de l’État et des collectivités territoriales est également central. Le CESE appelle à la création d’une autorité nationale de pilotage, indépendante et dotée de pouvoirs de régulation, d’agrément et de contrôle. Cette structure serait chargée de superviser les acteurs de la filière, de garantir la traçabilité des flux, d’évaluer les performances, et d’assurer le respect des normes environnementales. La sensibilisation du public et la formation des opérateurs figurent également parmi les priorités identifiées.
Le Conseil plaide pour le lancement de campagnes nationales d’information afin de faire évoluer les comportements des consommateurs, améliorer le tri à la source, et réduire l’abandon sauvage des équipements usagés. Il recommande également le développement de programmes de formation spécialisés dans les métiers du recyclage, du démantèlement et de la remise en état des appareils.
Sur le plan économique, l’avis estime que le Maroc a tout à gagner à structurer cette filière. Le recyclage des DEEE peut générer des emplois durables dans la logistique, la réparation, la réutilisation et le traitement industriel. Il peut aussi permettre de limiter les importations de matières premières et renforcer la souveraineté industrielle du pays.
«La structuration de cette filière pourrait générer des retombées économiques importantes si elle est bien encadrée, notamment en termes d’emploi et d’investissement local», indique le CESE.
L’institution ne masque pas les contraintes. Elle relève l’absence de données statistiques fiables sur les quantités de DEEE générées, la dispersion des responsabilités institutionnelles entre plusieurs ministères et le manque d’infrastructures de traitement aux normes. Elle évoque aussi la faiblesse des financements publics consacrés à cette question, pourtant stratégique dans le contexte de la transition écologique. En conclusion, le CESE insiste sur le caractère incontournable de cette transformation.
«Le passage du statut de déchet à celui de ressource n’est pas un choix politique optionnel, mais une nécessité stratégique», affirme-t-il.
Il recommande l’adoption d’une stratégie nationale intégrée, adossée à un calendrier réaliste avec des objectifs chiffrés et des financements adaptés. Cette stratégie devra s’appuyer sur une gouvernance inclusive, associant administrations, collectivités, opérateurs privés, société civile et citoyens.
Par cette prise de position, le CESE invite les pouvoirs publics à s’emparer sans délai d’un enjeu longtemps sous-estimé. Car derrière les déchets électroniques se cachent à la fois des dangers réels et un gisement de valeur.
H.K. / Les Inspirations ÉCO