Les Inspirations ÉCO : La réforme du système éducatif national s’impose au centre des priorités. Quels sont, selon vous, ses principaux handicaps ?
Lahcen Daoudi : Depuis le lancement de la réforme du système éducatif national en l’an 2000, plusieurs efforts ont été déployés par toutes les composantes du système en vue de mettre en œuvre les orientations de la Charte nationale d’éducation et de formation. Une évaluation de plus d’une décennie de mise en œuvre de la Charte a été réalisée par l’Instance nationale d’évaluation relevant du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Les résultats ont été consignés dans un rapport publié en 2014 sous le titre «La mise en œuvre de la Charte nationale d’éducation et de formation 2000-2013: acquis, déficits et défis». Cette évaluation a brossé un tableau global des principaux acquis et avancées enregistrés, mais aussi des dysfonctionnements persistants qui se résument essentiellement dans la faiblesse des rendements interne et externe du système.
Pour sa part, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a réalisé des progrès notables depuis l’avènement de la Charte nationale d’éducation et de formation. Ces progrès ont été consolidés dans le cadre de la mise en œuvre du programme gouvernemental, dont les orientations afférentes au secteur ont été déclinées dans un plan d’action pour la période 2013-2016, bâti autour de six axes stratégiques et 39 projets. La mise en œuvre du plan d’action du ministère pour la période 2013-2016 a permis la réalisation d’importants projets et l’enclenchement de plusieurs chantiers de réforme touchant l’amélioration de la gouvernance du secteur, le renforcement et la diversification de l’offre de formation, l’amélioration de sa qualité, le développement des prestations sociales au profit des étudiants et la promotion de la recherche scientifique.
Malgré les évolutions constatées, le système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique reste confronté à plusieurs défis, notamment la massification du système liée à la pression de la demande sociale pour l’enseignement supérieur et l’insuffisance des moyens d’accompagnement en termes d’infrastructures d’accueil et d’encadrement pédagogique; le financement du système, avec la pérennisation et la diversification des sources; la problématique linguistique, qui constitue l’un des facteurs entravant les processus d’apprentissage, et par conséquent la réussite académique; la compétitivité internationale qui exige une plus grande ouverture sur le monde en vue d’intégrer les récentes évolutions et avancées en matière de formation et de recherche scientifique et d’améliorer par conséquent, la qualité de l’offre de formation; la professionnalisation et l’employabilité qui supposent une plus grande coordination entre le système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique, le monde socio-économique et le marché de l’emploi; les exigences de qualité en vue de s’aligner sur les standards et normes au niveau international.
Aussi, une importance est donnée à l’articulation de la recherche scientifique avec les attentes des secteurs productifs en vue d’en faire un levier de compétitivité et de développement technologique, l’ouverture du système de recherche scientifique et technologique sur son environnement régional, national et international, et la formation de la relève en termes d’enseignants chercheurs et de chercheurs.
Depuis l’expression des Hautes directives royales, le 10 octobre 2014, appelant le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique à élaborer une feuille de route pour la réforme de l’école, quelles ont été les premières décisions adoptées dans le sens de cet exercice de réforme ?
Conformément aux Hautes instructions royales contenues dans le discours du 10 octobre 2014, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) a été appelé à élaborer une feuille de route pour la réforme de l’école. Sur la base du rapport analytique établi par l’Instance nationale d’évaluation relatif à «la mise en œuvre de la Charte nationale d’éducation et de formation 2000-2013: acquis, déficits et défis», en s’appuyant sur de larges consultations nationales et régionales, et en mettant à contribution les départements ministériels concernés (bilan de la décennie 2000-2013 et exposé des ministres concernés devant le conseil), les partis politiques, les syndicats, la société civile et les experts, le CSEFRS a élaboré la vision stratégique de la réforme pour la période 2015-2030: Pour une école de l’équité, de la qualité et de la promotion.
À l’instar des départements ministériels concernés, et après étude et analyse des leviers de changement propres au secteur, ce ministère a procédé à la déclinaison de la vision stratégique de la réforme en un plan stratégique s’articulant autour de quatre axes et 39 projets. Le premier axe est relatif à l’amélioration des conditions d’accès et d’études afin d’assurer l’équité, l’égalité des chances et la pérennité de l’apprentissage (7 projets). Le deuxième s’intéresse à la promotion de la qualité en vue d’améliorer le rendement des enseignements et leur adéquation avec les besoins du développement et du marché de l’emploi (11 projets). Le troisième promeut le soutien de la recherche scientifique, l’amélioration de son rendement et son articulation avec les objectifs du développement global (10 projets). Le dernier axe s’articule autour du développement de la gouvernance du système de l’enseignement supérieur en vue d’améliorer sa performance (11 projets).
En sus de sa forte implication dans toutes les étapes d’élaboration et de mise en œuvre de la vision, ce ministère a participé activement aux rencontres régionales sur «La vision stratégique de la réforme et les voies de mise en œuvre» organisées par le CSEFRS entre novembre et décembre 2015. Lors de ces rencontres, les représentants de ce ministère ont présenté les grandes lignes du plan stratégique relatif au secteur et répondu aux interrogations et questions soulevées par les participants à ces rencontres et à l’élaboration de la loi-cadre relative à la vision stratégique de la réforme dans le cadre de la commission technique créée auprès du chef de gouvernement.
La situation du secteur éducatif marocain, bien qu’en évolution, marque toutefois un retard considérable par rapport à celles d’autres pays à niveaux de développement comparables. Qu’est-ce qui explique ce gap ?
Contrairement à ce qui est avancé dans votre question, la situation du système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique au Maroc a fait état d’importants progrès ces dernières années, et son positionnement à l’international ne cesse de s’améliorer. En témoignent d’ailleurs les principaux indicateurs suivants: le taux de scolarisation à l’enseignement supérieur au Maroc a doublé entre 2010-2011 et 2015-2016, en passant de 15,8% à 31,3%.
Selon les dernières statistiques publiées par l’Institut de statistiques de l’UNESCO (année de référence 2013), ce taux est supérieur à la moyenne enregistrée dans les pays arabes (28,1%) et est équivalent à la moyenne mondiale qui est de l’ordre de 32%. Durant la période 2012-2016, l’effectif des boursiers a évolué de plus de 80%, celui des bénéficiaires de l’hébergement de 63% et le budget consacré à ces bourses a évolué de plus de 178%. Pour ce qui est de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, les universités marocaines commencent à se frayer une place dans les classements internationaux.
À titre d’exemple, l’Université Cadi Ayyad Marrakech figure désormais dans le top 10 des meilleures universités de la région MENA et au 50e rang parmi plus de 700 universités issues des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et pays émergents. Elle devient aussi la première université marocaine numérisée en se dotant de la TV White Space, une technologie avancée en matière de connexion à haut débit sans fil. Plusieurs chercheurs et étudiants marocains se sont récemment distingués en remportant des prix dans des compétitions internationales.
Considérez-vous qu’une privatisation généralisée des établissements supérieurs fasse partie de la réponse à opposer au problème ?
La privatisation généralisée n’a jamais été considérée comme un objectif des politiques publiques dans le domaine de l’enseignement supérieur. Conformément aux orientations de la Vision stratégique de la réforme 2015-2030 (levier 8), le secteur privé est un partenaire de l’enseignement public dans la généralisation et la réalisation de l’équité. Il constitue, de ce fait, une composante du système et une partie prenante dans les efforts de généralisation globale et équitable de l’enseignement, d’amélioration de la qualité et de diversification de l’offre.
De même, et en vertu du levier 94 de cette vision, l’État assure la majeure partie du financement de l’éducation, tout en veillant à en diversifier les sources. Ceci étant dit, la participation de l’enseignement supérieur privé au Maroc reste très modeste: l’effectif des étudiants de l’enseignement supérieur privé, malgré son évolution, reste très limité et ne représente que 4,9% (sans tenir compte de la formation professionnelle); le système de l’enseignement supérieur privé est composé de 183 établissements privés, en plus de 5 universités créées dans le cadre d’un partenariat regroupant 16 établissements. Néanmoins, l’offre de ce système est très concentrée dans certaines régions du pays, en l’occurrence l’axe Casa-Rabat-Kénitra englobe 57% des établissements et 68% des effectifs des étudiants et les villes de Casablanca, Rabat, Marrakech et Fès accaparent 71% des établissements et 90% des effectifs des étudiants.
Pourriez-vous nous éclairer sur les principaux points sur lesquels les efforts du ministère sont déployés dans le sens d’une meilleure adéquation des formations proposées aux nouvelles réalités du marché de l’emploi ?
La question de l’employabilité des diplômés est placée à la tête des priorités stratégiques du ministère qui ne cesse de multiplier les projets et les initiatives en vue d’une meilleure adéquation entre la formation et les besoins du marché de l’emploi. Les efforts déployés dans ce cadre portent notamment sur la diversification et la professionnalisation des formations à travers l’augmentation du nombre des filières «professionnalisantes» accréditées dans les différents cycles et la création de filières innovantes répondant à l’évolution des métiers et aux besoins des divers plans de développement sectoriels, l’intégration de contenus favorisant l’amélioration de l’employabilité des lauréats dans les cursus de formation, notamment ceux qui contribuent au développement des compétences complémentaires et transversales (Soft Skills) et la culture entrepreneuriale chez les étudiants ainsi que le renforcement de l’apprentissage des langues étrangères qui favorisent au mieux l’employabilité des lauréats, notamment l’anglais, dans les différents cursus, et ce dans l’optique de l’ouverture de filières de formation dispensées totalement ou partiellement en anglais.
Par ailleurs, il est question de mettre en place des mécanismes de prospection des besoins du marché de travail pour une adéquation permanente des formations dispensées dans les établissements d’enseignement supérieur à ces besoins, de renforcer et de généraliser le dispositif du suivi de l’insertion des lauréats de l’enseignement supérieur (8 universités ont, à ce jour, mis en place ce dispositif). Parallèlement, il est prévu de créer des Centres de développement de carrière (Career Centers) dans toutes les universités du royaume, et de renforcer le partenariat entre l’université et l’entreprise (stages, participation à la formation, participation au montage des programmes, participation aux organes de gouvernance…). Un effort plus important sera déployé en faveur de l’orientation de plus d’étudiants vers les filières scientifiques et techniques, avec l’ambition d’atteindre une participation aux programmes nationaux de formation de 10.000 cadres pédagogiques et la qualification de 25.000 licenciés chômeurs en compétences professionnelles. Nous procéderons également à la refonte du système national d’information et d’orientation des étudiants.