Fiscalité locale : une réorganisation silencieuse mais structurante

En transférant discrètement la gestion de deux taxes locales majeures à la Direction générale des impôts, le Maroc amorce une réorganisation profonde de sa gouvernance fiscale territoriale. Plus qu’un changement d’acteur, il s’agit d’un recentrage stratégique qui traduit une volonté de cohérence, de performance et de modernisation du service public. Une réforme silencieuse, certes, mais révélatrice d’un tournant dans la manière d’administrer l’impôt à l’échelle locale.
C’est une réforme qui s’est imposée sans tambour ni trompette, mais dont les implications redessinent subtilement les contours de la gestion fiscale territoriale. Parue au Bulletin officiel du 12 juin 2025, la loi n° 14-25, modifiant la loi n° 47-06 relative à la fiscalité des collectivités territoriales, consacre un transfert stratégique.
La taxe d’habitation (TH) et la taxe de services communaux (TSC), initialement recouvrées par la Trésorerie générale du Royaume (TGR), basculent vers la Direction générale des impôts (DGI).
Mêmes règles, nouvel acteur
Certes, ce changement ne bouleverse ni l’assiette fiscale ni les taux ou les exonérations en vigueur. Il ne modifie pas non plus l’esprit de la fiscalité locale tel que posé par la loi de 2007. Il en reconfigure plutôt les circuits d’exécution, en recentrant la chaîne administrative autour d’un acteur unique.
À en croire un expert en fiscalité, l’objectif est clair : renforcer la cohérence de l’action publique, améliorer la lisibilité du système et en optimiser les performances. Au Maroc, le système fiscal repose sur une architecture duale. D’un côté, la fiscalité d’État régie par le Code général des impôts, qui encadre les grands impôts nationaux tels que l’impôt sur le revenu (IR), l’impôt sur les sociétés (IS) ou encore la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). De l’autre, la fiscalité locale qui dote les collectivités territoriales, communes, provinces, préfectures et régions, de ressources propres à travers une série de taxes affectées. Jusqu’ici, cette fiscalité locale était partagée entre plusieurs entités.
La DGI gérait la taxe professionnelle, tandis que la TGR a hérité, depuis 2021, de la gestion de la TH et de la TSC. Certaines autres taxes locales restaient directement administrées par les communes elles-mêmes. Ce morcellement, hérité d’une organisation administrative éclatée, créait des redondances, des points de friction et une complexité préjudiciable à l’efficacité globale. La réforme de 2025 a précisément pour objectif de rationaliser ce dispositif.
En confiant à la DGI la gestion intégrée de la TH et de la TSC, le législateur entend unifier la chaîne fiscale, depuis l’établissement de l’assiette jusqu’au recouvrement. Ce mouvement s’inscrit dans la droite ligne des objectifs de la loi-cadre n° 69-19 sur la réforme fiscale, qui promeut une gouvernance cohérente, simplifiée et orientée vers l’usager.
Cette réattribution ne constitue pas une rupture, mais une recomposition logique au sein du ministère de l’Économie et des Finances. Elle marque un retour aux sources, dans un contexte profondément renouvelé. Dotée de capacités numériques avancées, la DGI dispose aujourd’hui de l’infrastructure nécessaire pour assurer une gestion territorialisée, efficace et transparente de ces deux taxes.
Pas de changement pour le contribuable
Pour rappel, la taxe d’habitation concerne les immeubles bâtis à usage résidentiel, qu’il s’agisse de résidences principales ou secondaires, qu’ils soient occupés par leur propriétaire ou mis gratuitement à disposition de proches. Elle est calculée sur la base de la valeur locative du bien, avec un barème progressif allant de 10% à 30%. Des exonérations permanentes s’appliquent, notamment, aux biens publics, aux fondations reconnues d’utilité publique ou aux lieux de culte. Les logements neufs destinés à la résidence principale bénéficient d’une exonération temporaire de cinq ans.
La taxe de services communaux, pour sa part, vise à financer les services publics de proximité. Elle s’applique aux immeubles bâtis, mais aussi aux équipements industriels ou professionnels relevant du champ de la taxe professionnelle. Son taux varie selon la localisation. Il est de 10,5% (de la valeur locative) dans les zones urbaines et touristiques, et de 6,5% dans les zones périphériques. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 14-25, c’est donc la DGI qui assure désormais l’ensemble du processus : évaluation de l’assiette, émission des avis d’imposition, recouvrement des montants dus et traitement des réclamations.
Pour le contribuable, peu de changements sont à attendre en termes de droits ou d’obligations. En revanche, le traitement administratif devrait gagner en fluidité, grâce à l’interconnexion des bases de données, à l’automatisation des procédures et à la généralisation des services en ligne, selon l’expert. Ce transfert s’est opéré de manière progressive, avec une période de transition de deux mois, destinée à assurer une continuité de service sans heurts.
«Il serait réducteur d’y voir une mise à l’écart de la TGR, dont le professionnalisme dans la gestion des taxes locales a été salué. Il s’agit plutôt d’un passage de relais structuré, orienté vers une meilleure efficience», relate le fiscaliste.
L’enjeu de cette réforme n’est pas uniquement technique. Il s’inscrit dans une ambition plus large, celle d’un État qui modernise ses instruments de gestion, qui s’adapte aux attentes des citoyens et qui cherche à renforcer le lien de confiance autour de l’impôt. En confiant la gestion de deux taxes locales majeures à une administration spécialisée, équipée et légitime, les pouvoirs publics entendent franchir un nouveau cap dans la gouvernance territoriale.
Ce recentrage de la fiscalité locale autour de la DGI illustre un tournant dans la manière d’envisager le service public fiscal, à savoir plus intégré, plus numérique, plus proche. En somme, une réforme silencieuse dans sa forme, mais profondément structurante dans sa portée.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO