Cuivre : valorisation, le point d’inflexion

La nouvelle taxation sur le cuivre, que les États-Unis s’apprêtent à imposer, affole les marchés mondiaux. Une offensive qui a aggravé la pression sur les prix d’un métal devenu central pour les industries stratégiques. Si le Maroc reste marginalement exposé aux flux directs avec les États-Unis, il n’en subira pas moins les effets collatéraux. Toutefois, cette situation met en lumière l’incapacité du Maroc à valoriser localement sa production de cuivre brut à défaut d’un écosystème de raffinage et de transformation.
Les règles du commerce mondial ne cessent de se redéfinir depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Après avoir bouleversé les paradigmes en imposant des droits douane sévères, il vient de confirmer récemment son intention de relever la taxation sur plusieurs matières premières stratégiques.
En ligne de mire, le cuivre avec une taxe de 50% sur les importations aux États-Unis, et ce, à compter du 1er août. Une mesure radicale, qui vient s’ajouter à celle déjà en vigueur depuis mars dernier, imposant des droits de 25% sur l’acier et l’aluminium. Dès lors, les marchés mondiaux n’ont pas tardé à réagir et les remous ont commencé à se faire sentir.
La perspective d’un resserrement brutal de l’offre a alimenté la hausse des prix du cuivre, dopée par une demande chinoise toujours soutenue. Résultat, les stocks de la Bourse des métaux de Londres se contractent, propulsant davantage les cours du métal rouge.
Effet domino
Dans ce contexte de forte tension géopolitique et économique, quel rôle le Maroc joue-t-il sur cet échiquier stratégique ? Et, surtout, que pèse l’industrie nationale face à de tels soubresauts ? Malgré une production de quelque 170.000 tonnes en 2024, le pays reste un acteur modeste à l’échelle mondiale. Le groupe Managem, bras minier du conglomérat Al Mada, produit à lui seul plus de 92.000 tonnes de concentré, soit près de la moitié du total national. Mais ce cuivre brut, non raffiné, est principalement destiné à l’export, notamment vers l’Europe, faute de capacités locales de transformation.
En parallèle, le Maroc importe massivement du cuivre sous forme de cathodes, de fils machines ou de déchets à recycler, soit pour plus de 100.000 tonnes par an. Ses principaux fournisseurs restent l’Espagne, la France, la Chine, et, dans une moindre mesure, les États-Unis.
Ces flux en provenance d’Amérique du Nord restent cependant marginaux, représentant moins de 5% des exportations nationales. L’impact direct de la nouvelle politique douanière américaine semble donc limité. Mais les industriels marocains redoutent un effet domino. La flambée des prix mondiaux, si elle se confirme, pourrait renchérir les coûts de production au Maroc, notamment dans les secteurs fortement utilisateurs de cuivre comme la construction, l’automobile, l’électronique, et les équipements électriques.
«Les exportations marocaines de cuivre sont principalement dirigées vers l’Europe et l’Afrique et sont essentiellement transformées sous forme de câbles ou encore d’alliages. Le marché américain n’est pas une destination majeure actuellement, mais l’évolution des tarifs américains sur le cuivre peut influencer les prix mondiaux et indirectement les coûts au Maroc», alerte Abdelhamid Souiri, président de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME).
Selon lui, l’effet restera mesuré pour le tissu industriel national. Mais l’épisode révèle, une fois encore, la dépendance structurelle du Maroc à l’égard des intrants importés.
«Si les droits de douane américains risquent d’avoir un impact modéré sur le cuivre marocain, ils rappellent, néanmoins, la nécessité d’accélérer la valorisation locale des minerais, via des unités de transformation et de sécuriser les chaînes d’approvisionnement ainsi que les investissements dans une fonderie et dans le recyclage», prône le président de la FIMME.
Valorisation, le talon d’Achille
Si les effets immédiats de la surtaxe américaine restent contenus, la situation ravive un débat de fond sur la valorisation du cuivre au Maroc. Le consensus est clair parmi les industriels, le potentiel existe, mais la compétitivité du tissu productif demeure insuffisamment exploitée. Certaines filières se distinguent certes par leurs performances, mais le manque d’intégration locale limite la rentabilité globale du secteur.
Selon nos informations, plusieurs pistes sont à l’étude pour améliorer la performance industrielle dans les filières critiques. En première ligne, la câblerie électrique, qui concentre à elle seule près de 60% de la demande nationale en cuivre. Le secteur, dominé par des groupes comme Nexans Maroc et Coficab, est fortement dépendant des importations de cuivre raffiné.
Viennent ensuite la construction, l’automobile et l’aéronautique, autant de secteurs pour lesquels le cuivre reste un intrant clé. Si la nouvelle taxation américaine ne bouleversait pas l’équilibre des volumes, elle pourrait affecter indirectement certains maillons plus sensibles de la chaîne, notamment parmi les sous-traitants aéronautiques. Ces derniers, souvent adossés à des donneurs d’ordre européens ou américains, sont exposés aux répercussions sur les coûts intermédiaires.
Pour limiter leur vulnérabilité face aux chocs exogènes, les industriels marocains ne restent pas passifs. Plusieurs stratégies se dessinent, diversification des fournisseurs, renforcement des stocks tampons pour amortir les hausses brutales, et, surtout, montée en puissance de la filière de recyclage, qui couvre déjà 35% des besoins en cuivre. L’objectif, à l’horizon 2030, est d’atteindre 50%, dans un contexte où la circularité devient un impératif stratégique autant qu’écologique. Certains acteurs expérimentent également des solutions de substitution.
L’aluminium, plus accessible, commence à remplacer le cuivre dans certaines applications, notamment dans les câblages, même si ses performances techniques restent moindres. Mais la véritable transformation structurelle passerait par une relocalisation partielle de la chaîne de valeur. Sans capacités de raffinage et de transformation, le Maroc continue de céder à l’étranger la valeur ajoutée de son propre minerai.
«Le Maroc exporte du concentré de cuivre brut et importe ensuite du cuivre raffiné à prix fort. Cela n’est plus tenable dans un contexte de tensions géopolitiques et de volatilité des matières premières», résume un industriel du secteur.
Pour éviter de subir les variations dictées par les grandes puissances commerciales, la constitution d’un écosystème industriel intégré, ancré localement, apparaît plus que jamais comme une nécessité.
Abdelhamid Souiri
Président de la FIMME
«Si les droits de douane américains risquent d’avoir un impact modéré sur le cuivre marocain, ils rappellent, néanmoins, la nécessité d’accélérer la valorisation locale des minerais, via des unités de transformation et de sécuriser les chaînes d’approvisionnement ainsi que les investissements dans une fonderie et dans le recyclage.»
Un gisement, un espoir…
La découverte récente du gisement de cuivre de CMR suscite de réels espoirs. Elle pourrait à terme permettre de doubler la production nationale. Mais cette perspective ne résoudra pas, à elle seule, le déficit de souveraineté industrielle. Tant que le raffinage ne sera pas assuré localement, le Maroc restera tributaire des fluctuations mondiales.
«Le vrai problème de ce secteur est l’absence de raffinage au Maroc. Le cuivre concentré produit est totalement exporté en Europe pour raffinage et une bonne partie de cuivre importé se présente sous forme de déchets à recycler», indique Abdelhamid Souiri, président de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME).
Par ailleurs, le projet de fonderie lancé par Managem, destiné à produire des cathodes sur place, apparaît dès lors comme un maillon essentiel pour sécuriser la filière. Encore faudra-t-il qu’il s’accompagne d’investissements dans l’aval industriel, notamment dans les composants électriques et les batteries. Concernant les batteries électriques, la FIMME insiste sur la nécessité de mettre en place un écosystème industriel intégré, qui englobera la filière du cuivre pour une compétitivité durable.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO