Cliniques privées : quand le soin oublie le patient

À rebours des investissements dans les infrastructures et des ambitions affichées pour moderniser le secteur privé de la santé, un profond malaise s’exprime du côté des patients. D’après une étude d’Affinytix, la majorité des retours sont négatifs, révélant une crise silencieuse de l’expérience patient. Au-delà des actes médicaux, c’est tout un modèle relationnel qui vacille.
Les chiffres sont sans appel. En dépit d’une modernisation visible des infrastructures et d’une montée en puissance du secteur privé dans le paysage sanitaire, les patients expriment un profond malaise. Selon une étude menée par Affinytix Customer Research, plus de deux tiers des avis formulés sur les cliniques privées au Maroc sont négatifs.
Ce diagnostic sans concession, fondé sur l’analyse de 4 600 avis répartis sur seize mois dans 125 établissements à travers le pays, interroge non seulement la qualité du service, mais aussi la conception même du soin dans un système de santé en pleine mutation.
À l’heure où le Maroc généralise la couverture médicale et investit dans des établissements hospitaliers d’envergure, une évidence s’impose, il ne suffit plus de soigner, encore faut-il soigner humainement.
Un malaise généralisé, des attentes mal comprises
L’insatisfaction touche l’ensemble du territoire, sans exception. Même Fès, la ville la mieux notée de l’échantillon, n’atteint que 47,5 % de retours positifs. À Oujda, la situation est plus alarmante encore, avec un taux de satisfaction de seulement 22 %.
Le contenu des commentaires révèle une série de dysfonctionnements récurrents, à savoir un parcours de soins chaotique, un manque d’empathie, un délai d’attente excessif et un accueil impersonnel. Les patients, de plus en plus informés, comparent leur expérience à d’autres standards et attendent davantage qu’un acte médical techniquement réussi. Ils aspirent à une prise en charge fluide, à une écoute sincère, à une transparence accrue dans la relation thérapeutique.
« Ce rapport s’inscrit dans un contexte national de transformation », explique Omar Alaoui, dirigeant d’Affinytix.
« Le Maroc est en train de structurer un système de santé plus inclusif, plus ambitieux, mais il ne pourra réussir sa mutation qu’en intégrant pleinement les attentes humaines des patients».
Cette demande de considération ne se limite pas à une quête de confort. Elle reflète un changement de paradigme profond, où le soin devient un parcours global, traversé par des émotions, des inquiétudes, des besoins d’accompagnement.
Le défi d’un système face au vieillissement de la population
Le contexte démographique renforce la pression sur les cliniques privées. Le vieillissement rapide de la population, anticipé par les Nations Unies, va transformer la nature de la demande en matière de santé. En 2050, près d’un quart des Marocains auront plus de 60 ans. Les pathologies chroniques, la dépendance, les situations de fin de vie deviendront des enjeux majeurs pour les établissements.
Or, ces dimensions nécessitent non seulement des compétences techniques renforcées, mais aussi une capacité d’écoute, d’accompagnement émotionnel, d’intégration des aidants et des familles dans le processus de soin. Autant d’éléments qui, selon le rapport d’Affinytix, sont aujourd’hui encore largement négligés.
Dans ce contexte, penser l’expérience patient comme une simple variable accessoire ou comme un supplément de service revient à ignorer l’évolution du monde. L’exigence de proximité, de transparence et d’attention devient structurelle. Elle redéfinit la notion même de qualité médicale.
L’expérience patient, un continuum à réinventer
Le rapport propose une définition élargie de l’expérience patient, qui va bien au-delà du moment de la consultation. Elle commence en amont, dès la recherche d’informations sur internet, le premier appel téléphonique, la prise de rendez-vous. Elle se poursuit à travers l’accueil à la clinique, l’attente, le déroulé de la consultation ou de l’intervention, puis s’étend au suivi post-soins.
Chaque étape compte, chaque interaction influence la perception globale du soin reçu. Et c’est souvent la somme de petits détails, un mot bienveillant, une explication claire, un sourire au bon moment, qui fait la différence entre une prise en charge banale et une expérience marquante. Affinytix plaide ainsi pour une approche plus holistique, plus fine, qui prenne en compte les émotions, les besoins d’information, la gestion du temps, l’écoute active.
L’enjeu n’est pas seulement éthique, il est stratégique. Un patient insatisfait ne revient pas. Pire, il peut détériorer durablement l’image de l’établissement, à l’ère où les plateformes d’avis en ligne constituent un canal d’évaluation aussi puissant qu’incontournable.
Une gouvernance à construire autour du patient
Face à ce constat, la réponse ne peut être ponctuelle ou cosmétique. Elle exige une transformation systémique de la gouvernance dans les cliniques. Affinytix appelle à la création de structures dédiées à l’expérience patient, dotées de moyens, de compétences et d’une légitimité interne pour piloter cette dimension de manière rigoureuse. Il ne s’agit plus de collecter des avis en fin de séjour, mais d’instaurer un système d’écoute continue, s’appuyant sur les technologies numériques, l’intelligence artificielle et l’analyse sémantique.
Les cliniques les plus avancées à l’international ont déjà basculé vers ces modèles, dans lesquels les retours des patients sont traités en temps réel et débouchent sur des plans d’action concrets. Mais le rapport souligne également un autre levier essentiel, la qualité de vie au travail des soignants. Un personnel stressé, mal considéré ou épuisé ne pourra offrir une bonne expérience.
En valorisant les équipes, en les impliquant dans les démarches d’amélioration continue, en leur donnant les moyens d’exercer leur métier dans de bonnes conditions, les cliniques peuvent renforcer leur performance globale tout en consolidant leur image.
Vers une médecine plus juste et plus humaine
Le dernier enseignement du rapport est celui du refus du modèle unique. La diversité des villes, des profils socioculturels, des pathologies impose une adaptation fine. Une clinique à Marrakech ne répond pas aux mêmes besoins qu’une structure à Tanger ou à Agadir.
L’approche doit être personnalisée, inclusive, respectueuse des différences. La technologie peut aider, mais elle ne remplacera jamais l’attention humaine. C’est cette alliance entre innovation et chaleur relationnelle qui doit guider les transformations à venir.
La méthodologie de l’étude
Le rapport Affinytix s’appuie sur une base de 4 600 avis patients analysés entre janvier 2024 et avril 2025. Les données proviennent de 125 cliniques privées situées dans sept grandes villes marocaines (dont Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech, Tanger, Agadir et Oujda).
Les avis ont été extraits de plateformes publiques et structurés pour dégager des tendances comportementales, émotionnelles et thématiques. L’analyse repose sur une combinaison de traitement algorithmique des sentiments et de codification humaine qualitative.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO