Circulation fiduciaire : le cash progresse, mais à un rythme ralenti

Alors que la dématérialisation des paiements progresse au Maroc, la circulation fiduciaire poursuit sa hausse. Le rythme de croissance s’est toutefois ralenti, dans un contexte marqué par une amnistie fiscale exceptionnelle et une modification des habitudes de retrait en fin d’année.
En 2024, la circulation fiduciaire au Maroc a continué de croître, mais à un rythme ralenti, témoignant d’une dynamique monétaire encore marquée par les effets de la pandémie, les fluctuations de la demande de cash et un contexte fiscal exceptionnel.
Si la monnaie fiduciaire reste largement utilisée dans les transactions économiques, les données du 12e Rapport annuel sur la stabilité financière, publié conjointement par Bank Al-Maghrib, l’AMMC et l’ACAPS, montrent des évolutions nuancées tant dans les flux que dans la structure de la monnaie en circulation.
Un ralentissement de la croissance du cash en circulation
À fin décembre 2024, la circulation fiduciaire hors encaisses des banques a atteint 444,3 milliards de dirhams, en hausse de 7,6 % par rapport à l’année précédente.
Ce taux de progression, bien que significatif, marque une décélération par rapport aux années 2022 et 2023, durant lesquelles la croissance s’était établie autour de 10,5%. Cette évolution s’explique notamment par la baisse des sorties nettes de cash de 32 milliards de dirhams en 2024, contre 40 milliards un an plus tôt.
En parallèle, les retraits de billets aux guichets ont légèrement progressé, passant de 215 à 227 milliards de dirhams, tandis que les versements ont connu une hausse plus marquée, atteignant 195 milliards contre 175 milliards en 2023. Cette réduction des flux nets serait en partie attribuable à une augmentation significative des retours de cash vers les banques en fin d’année, en lien avec la mise en place d’une amnistie fiscale sur les avoirs liquides.
Des dynamiques saisonnières et régionales marquées
L’évolution infra-annuelle révèle des mouvements différenciés selon les périodes. Durant les cinq premiers mois de l’année, les retraits nets ont enregistré un léger recul à 14,7 milliards de dirhams, contre 15,3 milliards en 2023.
En revanche, les six mois suivants, incluant l’Aïd Al-Adha et la saison estivale, ont vu une légère accélération, avec des flux nets atteignant 19,1 milliards de dirhams, contre 18,8 milliards un an plus tôt. Le mois de décembre a été particulièrement atypique.
Contrairement aux années précédentes, les mouvements de billets de banque marocains (BBM) se sont traduits par un flux net négatif de -2,2 milliards de dirhams, alors qu’ils étaient positifs à hauteur de 5,8 milliards en 2023 et de 1,7 milliard en moyenne entre 2017 et 2019. Cette inversion de tendance s’explique par une hausse des versements (20,6 milliards de dirhams, contre 13,8 milliards en 2023) et une baisse des retraits (18,4 milliards contre 19,6 milliards).
Effet visible de l’amnistie fiscale
L’amnistie instaurée par la Loi de finances 2024 a fortement influencé ces flux. Les données collectées auprès des banques font état d’une intensification des dépôts en espèces en fin d’année, notamment durant les derniers jours de décembre, atteignant un volume cumulé de 37 milliards de dirhams.
Ce phénomène a également été confirmé par les Centres privés de tri (CPT), dont les stocks ont grimpé à 13,5 milliards de dirhams au 31 décembre 2024, contre un niveau habituel autour de trois milliards.
Cette dynamique s’est concentrée géographiquement. La région de Casablanca-Settat, qui représente en moyenne 26% des encaisses des CPT, a vu sa part bondir à 35%. À l’inverse, la région de Marrakech-Safi, habituellement autour de 23%, a vu sa contribution chuter à 11%. Les autres régions sont restées stables dans leurs parts respectives.
Stabilité des préférences dans la structure de la monnaie fiduciaire
Du point de vue de la composition, la structure de la circulation fiduciaire est demeurée globalement stable. L’encours des billets en circulation a progressé de 7,7%, atteignant 439,9 milliards de dirhams, répartis sur un volume de 2,9 milliards de coupures.
Les pièces de monnaie ont également enregistré une hausse de 5%, pour un total de 44 milliards de dirhams, équivalant à 3,3 milliards de pièces. Le billet de 200 dirhams reste de loin le plus utilisé, représentant 57% du volume des billets en circulation. Il est suivi par le billet de 100 dirhams (34%), tandis que les coupures de 50 dirhams et 20 dirhams ne représentent respectivement que 3% et 6% du total.
Pour la monnaie métallique, la pièce de 1 dirham domine avec une part de 29%, suivie des pièces de 10 centimes (18%), 20 centimes (15%) et 5 dirhams (13%).
Progression du recyclage
Pour répondre à la demande de cash, Bank Al-Maghrib et les CPT ont injecté un total de 4 milliards de billets en 2024, contre 3,7 milliards en 2023, soit une hausse de 8%. Cette augmentation est attribuable à l’amélioration du nombre de billets recyclés, passé de 3,1 à 3,4 milliards, tandis que les billets neufs ont été maintenus à 0,6 milliard.
L’analyse de la demande par coupure montre une légère progression de la part du billet de 200 dirhams, qui représente désormais 50% des demandes (contre 49% en 2023), avec un volume de 2 milliards de billets.
Le billet de 100 dirhams reste stable à 45% (1,8 milliard). Les petites coupures, quant à elles, reculent ou stagnent de 2% pour le billet de 50 dirhams (90 millions de billets), et 3% pour le billet de 20 dirhams (140 millions), en baisse d’un point par rapport à 2023. S’agissant de la monnaie métallique, la demande a baissé de 15% pour atteindre 283 millions de pièces. Sur ce total, 65% ont été satisfaits par des pièces recyclées, le reste provenant d’émissions neuves.
Le e-Dirham pour moderniser la monnaie nationale
Bank Al-Maghrib poursuit activement le développement d’une monnaie digitale souveraine baptisée e-Dirham, dans un contexte mondial d’essor des monnaies numériques. Ce projet stratégique vise à moderniser les moyens de paiement, renforcer la traçabilité des flux financiers et sécuriser les transactions, tout en limitant les risques liés à l’informel et aux cryptomonnaies non régulées.
Après une première expérimentation réussie sur les paiements de détail, Bank Al-Maghrib a entamé une nouvelle phase de test des transferts transfrontaliers en collaboration avec la Banque centrale d’Égypte et avec le soutien de la Banque mondiale. Parallèlement, des études approfondies sur les impacts économiques, juridiques et réglementaires sont menées avec l’appui du FMI.
Contrairement aux cryptomonnaies décentralisées, le e-Dirham sera émis et régulé par la Banque centrale dans un cadre sécurisé et institutionnel. Selon Abdellatif Jouahri, wali de BAM, le calendrier de déploiement reste prudent et conditionné à l’instauration d’un cadre juridique adapté, au renforcement de la cybersécurité et à l’adhésion du public.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO