Agriculture. Mohammed Said Karrouk : “La hausse des températures accélère le développement des plantes”
Les vagues de chaleur enregistrées durant l’hiver sont certes inquiétantes, mais elles permettent en même temps d’accélérer le développement de certaines cultures. C’est ce que relève le climatologue Mohammed Said Karrouk, qui appelle également à la construction de barrages de nouvelle génération au Maroc. Des barrages capables d’irriguer la nappe phréatique, afin d’assurer la disponibilité de l’eau en permanence. Interview.
Quel est l’impact de ces vagues de chaleur hivernale sur l’agriculture ?
La réglementation de notre calendrier agricole est fondamentale. Il faut prévoir des endroits et des espèces agricoles que nous devons développer pour supporter et rendre notre agriculture adaptée à ces aléas climatiques. Cela ne veut pas dire que l’agriculture sera déficitaire, au contraire, cette hausse des températures la fait évoluer et accélère le développement des plantes. Il est vrai que cela demande beaucoup d’eau, en raison des températures élevées. Toute la question se trouve donc dans la disponibilité de la ressource hydrique. Et maintenant, il nous faut réfléchir à développer des barrages malins et intelligents, qui peuvent servir à alimenter la nappe phréatique. Ainsi, nous pourrons continuer d’utiliser l’eau depuis cette source, sachant que l’évaporation sera évitée. En effet, la nappe phréatique protège de l’évaporation. Avec la hausse des températures, il faut éviter de laisser l’eau dans les barrages trop longtemps. C’est de la ressource que nous perdons.
Vous parlez de barrages malins et intelligents, comment et où cela peut-il s’appliquer ?
Cela s’applique dans les grands barrages, notamment dans le Nord du pays, où le barrage d’Al Wahda a réussi à disposer de l’eau malgré six années de sécheresse. Toutefois, cette capacité à garder l’eau veut également dire qu’il y a eu énormément de quantités qui se sont évaporées. Il est donc préférable que ce type de barrages puisse servir à transférer l’eau dans d’autres parties du Maroc. Pendant la sécheresse, un comportement spécifique est nécessaire. Bien évidemment, la rationalisation doit continuer d’être de rigueur.
Quelles sont les conséquences de cette hausse des températures sur le cycle de l’eau ?
Tout d’abord, il faut être conscient que nous vivons des températures très élevées. Et leurs conséquences sont directes sur le cycle de l’eau. C’est-à-dire que la quantité d’évaporation va augmenter, la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère va également s’accroître, parce que la masse volumique de l’atmosphère s’élargit avec la température. Alors ce qui est intéressant, c’est que si ces pluies reviennent, elles seront abondantes dans le temps et dans l’espace. Donc, pendant l’évaporation, nous vivons une période de sécheresse très accentuée. Il faudra attendre la condensation pour que ce volume atmosphérique soit saturé et qu’il y ait un retour des pluies. Le risque est que cela pourrait entrainer des destructions d’infrastructures, car nos infrastructures ne sont pas conçues pour supporter un tel cycle de l’eau.
Quelles perspectives se dégagent, aussi bien en termes de disponibilités de l’eau que par rapport à sa gestion ?
Ce qui nous attend dans l’avenir, ce sont des températures élevées. Deux scénarios se dessinent devant nous. Le premier est que l’eau va nous manquer. Et à partir de là, il faut travailler sérieusement sur un usage très efficace et efficient de gestion de la ressource. Le second scénario est que l’eau sera de retour. Et là, il nous faudra un autre plan pour mettre à niveau nos infrastructures, afin d’éviter les inondations, tout en développant des barrages de nouvelle génération. Il est très difficile de maîtriser le cycle de l’eau, car son bilan énergétique est très élevé.
Existe-t-il une probabilité de rattraper le déficit pluviométrique durant ce printemps qui s’installe ?
Rien n’est vraiment sûr. Peut-être que nous pouvons avoir une fin de saison agricole plus pluvieuse que ce que nous avons vécu jusque-là. Normalement, les précipitations devraient revenir mais il est difficile de prévoir dans quelles zones. Et là, je ne parle pas uniquement au niveau national. L’année dernière fut une année de sécheresse, et l’atmosphère de l’hémisphère Nord est remplie d’eau en réalité. Il y a plu abondamment et il y a également beaucoup neigé. Il reste à savoir si ces précipitations se déplaceront vers le Sud, auquel cas elles devraient arroser des parties situées dans notre pays. Mais, encore une fois, ce sont des paramètres très difficiles à maîtriser. Quoi qu’il en soit, il faut prendre en considération ces évolutions à venir. Et ce, aussi bien en termes de politiques agricoles que de gestion des ressources hydriques.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO