Les Cahiers des ÉCO

Bourse & Boycott : L’effet est marginal

Rumeurs, fake news, doutes, le marché évolue ces derniers jours en eaux troubles. Si le lancement de la campagne de boycott, il y a un peu plus d’un mois, qui vise les marques Centrale Danone, Sidi Ali et Afriquia, semble avoir à première vue affecter le comportement de leurs titres en bourse, le discours des analystes est tout autre.

Si la fronde populaire semble actuellement se diriger vers les produits halieutiques, la campagne de boycott contre les Centrale Danone, Sidi Ali et Afriquia ne semble pas prête de s’estomper. Lancée il y a un peu plus d’un mois (20 avril), la campagne prend de plus en plus d’ampleur. Aujourd’hui, il est encore difficile d’en mesurer l’ampleur et l’impact. L’heure est plutôt à l’attentisme. Pour Transparency Maroc, «l’analyse d’un tel mouvement à travers le seul facteur des prix est forcément réducteur».

L’ONG tire à boulets rouges et met en cause la gouvernance d’une économie «minée par la rente, la corruption et l’interférence du pouvoir politique avec celui de l’argent». Transparency Maroc exhorte même les pouvoirs publics à assumer leurs responsabilités dans la gestion des crises. Il faut dire que depuis le lancement de la campagne, seule Centrale Danone et les Eaux Minérales de Oulmès (Sidi Ali) ont pu réagir. Certes, après la sortie médiatique du responsable du producteur de lait et les déclarations douteuses de certains représentants du gouvernement, peu osent s’aventurer sur le terrain glissant de la communication et donner une information un tant soit peu correcte, claire et utile. Si Centrale Danone a tenté de rectifier le tir à travers une opération de charme (promotion en deçà de sa marge bénéficiaire).

Les Eaux Minérales d’Oulmès, ont quant à eux, seulement communiqué sur les tarifs de Sidi Ali qui n’auraient pas changé depuis 2010. «Par ailleurs, la marge réalisée sur ce produit ne dépasserait pas les 7%, soit 40 centimes par bouteille d’1,5 l. Quant au prix de vente recommandé, il est de 5 DH en grande surface et 5,50 DH chez le détaillant», précisait la direction. De leur côté, ni Afriquia, ni le Groupement des pétroliers du Maroc (GPM), présidé actuellement par Afriquia, n’ont réagi officiellement à cette campagne. Face à ce phénomène, Transparency Maroc met aussi en cause le gouvernement pour avoir libéralisé des secteurs «sans contrôle ni régulation» (hydrocarbures, enseignement, santé…) et d’avoir adopté une loi bancale sur l’accès à l’information. Le même constat a été partagé par certains professionnels du marché, «la libéralisation aurait pu être une bonne réforme si elle avait été bien préparée au préalable…Il fallait dès le début mettre des règles pour mieux organiser le secteur». Le gouvernement a d’ailleurs promis de prendre des mesures concernant le prix du carburant, après la publication d’un rapport parlementaire mettant en lumière les effets de la libéralisation des prix sur le pouvoir d’achat. Attendu depuis plusieurs mois, ce rapport a été accéléré par cette campagne de boycott. Le chef du gouvernement a également annoncée la mise en place d’une «task force», qui devra «se pencher sur l’analyse des prix des produits les plus consommés par les citoyens et veiller à ce que leurs prix soient à la portée». Il rappelle aussi que «l’offre et la demande restent les facteurs qui déterminent les niveaux de prix dans une économie de marché libre et transparente».

L’affaire du boycott semble aujourd’hui atteindre sa vitesse de croisière sauf qu’aucune information ne filtre sur les pertes que pourraient essuyer les trois compagnies. Une grande partie de la population suit le mouvement qui a choisi de s’attaquer aux leaders des différents secteurs d’activité. Seuls les résultats du premier semestre pourraient révéler l’étendue des «ravages» de ce mouvement. «Il y aura forcément un impact sur les agrégats des groupes», souligne un professionnel du marché. Il prévient que sur le marché boursier, les variations des titres concernés sont à prendre avec «de grandes pincettes». «Les titres sont de toute façon très peu liquides, n’importe quelle simple transaction peut impacter son cours en bourse», avance l’analyste. Pour lui comme pour d’autres analystes de la place, ce sont plutôt les petits porteurs qui sont à l’origine des différentes baisses constatées, mais qui restent très peu significatives. Oulmès, par exemple, dont environ 10% de son capital est ouvert au public (soit un peu plus de 198.000 titres), n’a pas connu de perturbations majeures durant ces dernières semaines. Seuls 5.590 titres ont été échangés sur le marché depuis le lancement de la campagne. L’action qui s’échangeait alors à 1.700 DH a même grimpé quelques jours plus tard de plus de 5% à 1.854 DH avant de retrouver le seuil de 1.703 DH. Oulmès affiche une performance annuelle de 6,38%. Du côté de Central Danone, la question ne se pose plus. Son flottant en Bourse ne pèse que 0,82% de son capital, soit environ 26.000 titres en circulation pour des fins «spéculatives» depuis le changement de l’actionnaire principal. Centrale Danone, détenue initialement par la SNI, est passée fin 2015 sous le giron du français Gervais Danone. Au vu de ces changements, et du très faible volume disponible, les analystes ne s’intéressent plus au titre. «On attend son retrait définitif de la cote», souligne un analyste.

Depuis le début du boycott, seuls 67 actions ont été échangées. Une première baisse avait été constatée, quelques jours après le lancement du mouvement, avec la vente d’une seule action Centrale Danone à 630 DH. Le titre a pu remonter la pente une semaine plus tard et poursuit sa montée pour s’échanger désormais à 793 DH. Par contre, le groupe sera, selon les analystes, scruté quant à ses performances commerciales. Le fleuron de la filière laitière, fait partie d’une activité qui pèse 6% du PIB agricole, générant 10 MMDH de chiffre d’affaires et permettant de couvrir de 96 à 100% de la demande nationale. Centrale Danone a elle seule, avait réalisé un chiffre d’affaires de 6,5 MMDH en 2017. Ceci dit, Afriquia Gaz reste la seule compagnie touchée par une baisse. Le groupe qui détient 38% de la société Afriquia SMDC, qui gère les stations-services, a vu le cours de son titre passer de 3.300 DH (le 20 avril) à 3.050 DH (le 25 mai). Une volatilité qui semble toucher l’ensemble du secteur des hydrocarbures puisque Total Maroc, plus liquide que son concurrent, accuse également depuis plusieurs semaines une baisse de plus en plus marquée. Le titre affiche une contre-performance annuelle de 6,69%. En un mois, le titre a perdu près de 10% de sa valeur. La dégringolade aura été précipitée ces derniers jours, selon les analystes, par le débat actuel sur les prix des carburants depuis la publication du rapport de la commission parlementaire qui sème le doute auprès des investisseurs sur l’avenir des opérateurs pétroliers au Maroc et leurs marges commerciales. 



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