Dossiers

Festival Gnaoua et musiques du monde : Un festival qui assume sa marocanité

Festival Gnaoua et musiques du monde : Un festival qui assume sa marocanité 

Le secret du Festival Gnaoua et musiques du monde? Un festival qui assume ses traditions, et qui est fier de les partager. L’édition 2018 l’a prouvé. Entre la volonté d’assurer une véritable relève de maâlems et   de laisser la place à la femme dans cet art traditionnel et (traditionnellement) masculin, le festival a rassemblé du beau monde à Essaouira du 21 au 23 juin.

Les festivaliers sont vécus de belles fusions, notamment celle proposée par Hamid El Kasri et Snarky Puppy. On se souviendra aussi du concert épuré du trio Holland/ Hussain/ Potter, de l’heureuse rencontre entre Maâlem Abdeslam Alikkane et Pepe Bao, d’une fusion envoûtante et envoûtée entre Maâlem Hassan Boussou et le Benin International Musical (BIM), collectif de jeunes musiciens détonants, plein d’énergie, ou encore d’un Hossam Gania d’une étonnante maturité face à Shabaka Hutchings, Nguyên Lê, David Aubaile et Omar El Barkaoui, qui a prouvé que l’on devait miser sur la relève.

Fatoumata Diwara a séduit en venant présenter son dernier album devant un public africain, avant d’entrer en transe aux sons du guembri de la talentueuse Asmaa Hamzaoui.

Hoba Hoba Spirit a transformé la place Moulay Hassan en un karaoké géant le temps d’un concert mémorable qui aura duré plus de 2h, avant de céder la place à des groupes qui ont surpris par leur talent, à l’image d’Imarhan, groupe algérien d’origine touareg qui a apporté avec lui un bout de désert, d’Africa United et ou de de Djmawi Africa, qui ont célébré l’Afrique à leur manière le samedi 23 juin. L’âge de raison a su conférer au festival une autre dimension. Celui-ci sera de retour du 20 au 23 juin 2019 pour une 22e édition encore plus marocaine, tout en conservant son ouverture sur le monde.

Hamid El Kasri : «Le festival nous a rendu notre dignité»

Lors de cette 21e édition, le maâlem à la voix d’or Hamid El Kasri a séduit avec une ouverture et une clôture qui n’ont pas laissé de marbre. Il a même offert un entre-deux au Borj Bab Marrakech avec sa formation composée de la batterie de Karim Ziad et des percussions de Ghani Khrija. Rencontre avec un maître qui ne cesse d’apprendre.

L’allure fière, toujours un regard bienveillant à ses kouyous et un œil attentif à tout ce qui se passe sur scène, Hamid El Kasri est toujours un véritable chef d’orchestre à chacun de ses concerts. Lui qui ajoute un côté «moderne» à sa musique traditionnelle voue toujours un respect sans faille à l’art ancestral et aux traditions tagnaouites. Quatre jours avant le coup d’envoi de la 21e édition du Festival gnaoua et musiques du monde, le maître accueillait les Snarky Puppy pour une résidence afin de préparer l’ouverture du festival comme il se doit ! «C’est un honneur pour moi que de jouer avec un groupe comme les Snarky Puppy ! Je n’ai de cesse d’apprendre et je suis loin encore de là où je veux aller», confie le maâlem qui a laissé les membres du groupe américain sans voix.

Le leader du groupe Michael League était en admiration devant la maîtrise de ce patrimoine à la fois mystique et mystérieux. «C’est le secret de l’art tagnaouite, la magie des gnouas qui fait qu’on est face à de grands musiciens qui ont beaucoup d’expérience et qui deviennent comme des petits enfants devant toi ! Ils respectent cette musique d’emblée et l’aiment», continue celui qui a commencé sa carrière très jeune, parti de rien. Issu d’une famille modeste de Ksar El Kebir, le jeune Hamid El Kasri rêvait déjà de devenir musicien, il était en admiration devant les lilas dans les Zaouias de la région. Son père, très dur, voulait qu’il étudie. Lui ne pensait qu’à une seule chose : le guembri. «Depuis petit, j’écoute tous les maâlems ! J’ai visité à peu près 80% du Maroc à la recherche de maâlems desquels je pourrai apprendre. À chaque fois que j’entends parler d’un maître, je vais chez lui, je joue avec lui, je reste avec lui 1 ou 2 mois le temps de m’imprégner de sa musique et de son savoir-faire. J’étais assoiffé de connaissances. Je ne pensais pas à l’argent. Le savoir passait avant tout».Véritable école de la vie, l’école de la musique tagnaouite se fait à travers les valeurs et les traditions mais surtout la maîtrise de l’art tagnaouite. C’est lors d’une «lila» spéciale que les maîtres se rassemblent pour juger de la capacité d’un jeune gnaoui à obtenir le statut de maâlem. Une soirée à la fois attendue et redoutée des futurs maîtres. «J’ai eu la chance d’avoir des maîtres de haut niveau, j’ai appris des plus grands», confie Hamid El Kasri. Résultat : il devient l’un des maâlems les plus connus et les plus respectés de la place. Il devient international même, tous les musiciens du monde se l’arrachent pour des fusions, des collaborations.

«J’ai toujours voulu faire cela de ma vie mais je n’aurai jamais pensé en arriver là !», confie le maître qui n’est rien sans l’amour du public, selon lui. Charismatique, on le sent toujours confiant sur scène. Avec les Snarky Puppy, il menait la danse tout en laissant de la place aux musiciens pour qu’ils s’expriment. À Borj Bab Marrakech, il se permettait d’emmener le public là où bon lui semblait. Son secret ? Il apprend à jauger son audience, à anticiper ses désirs. «Je m’adapte à l’énergie du public, je peux ressentir ce que les gens veulent écouter. Il m’arrive de changer ma playlist en plein concert selon l’humeur du moment. J’apprends à faire confiance à mon instinct». Un instinct qui finit toujours par payer car le musicien est connu pour ses concerts à rallonge pouvant durer des heures. Le plus entier des maâlems qui aime jouer avec passion, avec ses tripes, a encore séduit le public venu de tous les horizons pendant un festival qui compte beaucoup pour lui : «Ce festival nous a offert l’amour et le respect du public, et de celui des musiciens du monde avec qui on partage des moments privilégiés. Ils nous invitent chez eux à leur tour et c’est comme cela que l’on fait voyager le patrimoine marocain» avant d’ajouter avec le sourire : «Le festival nous a rendu notre dignité». 

Asmaa Hamzaoui : «Mon père est mon modèle»

Son guembri à la main, elle représente la modernité et fait souffler un vent de fraîcheur sur l’art tagnaouite. Elle s’appelle Asmaa Hamzaoui et c’est la première femme à fouler la scène du festival Gnaoua et musiques du monde avec un guembri. Rencontre avec l’histoire.

Du haut de ses 20 ans, elle ne se rend sûrement pas compte du fait qu’elle ouvre les portes à toute une génération qui n’a jamais osé bousculer les codes, les traditions. Nul besoin de se mentir: l’art tagnaouite est un art masculin, le guembri est exclusivement dédié à la gent masculine, et la femme devait se contenter d’accompagner son homme lors des «lilate», à l’aider dans l’organisation ou à danser, à entrer en transe. Mais une femme qui prend le guembri est chose rare; c’est même du jamais vu. Pourtant, Asmaa Hamzaoui, jeune native de Casablanca, s’est emparée d’un instrument qui l’a choisie. «Je n’ai rien calculé. C’est venu comme cela. Mes parents m’ont beaucoup encouragée», confie la musicienne, qui a illuminé la scène Moulay Hassan ce vendredi 22 juin.

«Mon père est maâlem, ma mère est gnaouia. C’est mon père qui m’a encouragée à jouer de la musique et à devenir gnaouia. Il m’emmenait aux lilate très jeune, dès l’âge de 7 ans. Je baigne là-dedans depuis l’enfance. J’ai appris les «9ra9eb» puis le guembri». Une ouverture d’esprit assez atypique de la part de ses parents, qu’elle explique par le fait qu’elle n’ait pas de frère. Elles ne sont que des filles à la maison.

Son père l’a toujours considérée comme un égal de l’homme. «Pourquoi ne pas jouer comme un homme ?». «Mon père ne nous a jamais empêchées d’essayer des choses réservées aux «hommes»: il nous a initiées au foot, nous faisions de la moto avec lui. Je conduisais souvent. C’est un père formidable», continue la gnaouia qui fait souffler un vent de fraîcheur avec un groupe exclusivement composé de filles qu’elle baptise «Bnet Toumbouctou», en hommage au groupe de son père. «Je ne pense pas avoir apporté quelque chose de nouveau à la tagnaouite, je ne peux pas me permettre cela par respect pour les traditions tagnaouite. C’est un patrimoine intouchable pour moi et je ne peux que le jouer dans sa pure tradition, avec ses codes. J’apporte du neuf parce que je suis la seule fille à jouer du guembri et je joue avec un groupe composé de filles. Là réside la nouveauté que j’apporte, mais je ne touche pas aux morceaux ou à l’art tagnaouite. J’ai proposé une forme nouvelle, le fond reste intact». Une voix profonde et maîtrisée, Asmaa Hamzaoui a toute la maturité nécessaire à une grand carrière malgré son jeune âge. Sur scène, elle est un véritable chef d’orchestre. Elle ne sourcillera même pas devant Fatoumata Diwara avec qui elle signe une fusion qui marquera l’histoire du festival.

«Le festival est pour moi un modèle à suivre. Il permet à nous, artistes marocains et du monde entier, de nous rencontrer, de partager des moments ensemble et de créer un véritable lien ! Il nous permet d’échanger avec un public passionné, connaisseur; de jouer pour lui! C’est vraiment un honneur de jouer dans un festival de ce calibre-là! Je me rends compte que ce n’est pas donné à tout le monde de jouer sur la scène principale à tout juste 20 ans et j’en suis fière!». Encouragée par ses pairs auprès desquels elle continue d’apprendre car elle n’a pas encore acquis le statut de «maâlema», la gnaouia sortira un album à la fin de l’année qu’elle baptisera «Ouled Lghaba» (Les Enfants de la forêt). Seuls quelques réfractaires voient en elle le symbole de traditions bafouées mais elle garde la tête haute: pour elle, ce public-là n’est pas connaisseur, elle ne le considère pas comme «gnaoui». Selon Asmaa Hamzaoui, le public de Gnaoua est ouvert. «Je veux conserver mes traditions à 100%, mais «au féminin». J’adore la fusion, mais je ne souhaite pas m’éparpiller. Être fidèle au patrimoine traditionnel reste ma priorité».


whatsapp Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp

Évolution des prix des fruits et légumes à Casablanca



Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters



Bouton retour en haut de la page