Rachid Benzine (3/3): Il y a plein d’atouts au Maroc qu’il va falloir consolider
Islamologue, politologue, enseignant, romancier et dramaturge. Avec ces multiples expertises qu’il accumule, le franco-marocain Rachid Benzine a été à raison désigné par le roi membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement. Il explique sa vision des priorités de ce chantier…
Vous avez été désigné par le roi comme membre de la commission spéciale sur le modèle de développement. Quelles vont être les priorités, selon vous ?
Le fait que cette commission soit composée de profils aussi divers la rend intéressante. Comment allons-nous travailler ensemble, comment allons nous développer cette intelligence collective? Comment faire en sorte que cette commission et sa manière de travailler puissent impliquer l’ensemble des citoyens? Je pars du principe que les gens du terrain savent mieux que certains experts comment s’y prendre. Quelle est cette expérience de la proximité? Parce qu’il y a plein d’atouts au Maroc qu’il va falloir consolider. Il s’agit de redonner de la confiance aux gens, que chaque parole soit entendue, chaque parole est légitime. Prendre soin de l’autre c’est faire en sorte que sa parole soit audible et crédible. Si nous n’avons pas le souci de l’institution, ça ne marchera pas. Et si l’institution n’a pas le souci du citoyen, ça ne marchera pas non plus. C’est une diélectrique entre soi, l’autre et les institutions. Une institution juste. C’est là où je compte apporter des choses, sur l’imaginaire, la culture et les croyances. Comment des croyances peuvent bloquer des choses et comment la fiction peut bouleverser l’imaginaire. La fiction est intéressante pour plusieurs raisons. Si je regarde le cheminement que j’ai eu avec «Lettres à Nour», qui a fait l’objet de plusieurs représentations en Europe, en Amérique, on mesure la force de frappe de la fiction. On a proposé un dialogue sur un sujet doucereux. On ne prend assez le temps de s’écouter. Paul Ricoeur dit : écouter c’est prendre le temps de se fonder. Ce qui définit l’être humain, ce n’est pas la parole mais ce qui le précède, c’est-à-dire l’écoute. J’ai remarqué que les analyses politiques, sociologiques, sont nécessaires mais à un moment, elles ne permettent plus de parler ou de s’écouter car chacun va camper sur ses positions, dans un climat polarisé et clivant. À travers la fiction, on est touché par l’émotion. C’est une rhétorique du sensible au service du sens et ce qui est en panne au Maroc c’est le récit, la narration. Le récit de soi, des autres qui est quelque part la manière dont on fait le récit de l’autre est biaisée. On ne nuance plus. On n’arrive plus à faire le récit du monde. Ce que Ricoeur appelle l’identité narrative. On est l’Occidental, le Musulman dans les yeux de l’autre, on est essentialisés. On polarise les débats, on donne une représentation de l’ennemi pour mieux le désavouer, pour mieux l’éliminer. On n’est plus dans le dialogue, on est dans le combat. On déshumanise tout. C’est pour cela que je passe par le récit et non par le concept comme j’ai l’habitude de le faire.
« Si nous n’avons pas le souci de l’institution, ça ne marchera pas. Et si l’institution n’a pas le souci du citoyen, ça ne marchera pas non plus. C’est une diélectrique entre soi, l’autre et les institutions ».
On a l’impression que les réponses sont dans vos ouvrages…
Peut-être. Pour changer une société, il faut connaitre son imaginaire. Je prends cette nomination comme l’enfant que je suis: un enfant avec une double culture et un double regard. Mais je prends surtout cette responsabilité par le biais de la culture et des représentations. Tant qu’on n’a pas étudié les représentations à l’heure dans une société, on ne pourra pas agir. Des études qui ont fait un très bon diagnostic sur l’état des lieux ont déjà été menés et des recommandations ont été faites. La question que je me pose c’est pourquoi ces recommandations n’ont pas été appliquées ? Une question qui nécessite une réponse afin de travailler dessus, sur les représentations. Pourquoi ? Pour changer une société, il faut connaître son imaginaire ou ses imaginaires et puiser dedans. C’est un changement de représentation qu’il faut. L’être humain cherche du sens mais il donne sens à tout ce qu’il voit. Comment prendre soin les uns des autres ? Comment on prend soin des élèves dans une école ? Comment la société prend-elle soin de ses professeurs ? Comment prendre soin de soi, des autres et des institutions ? Et à la question de la liberté individuelle qui m’est chère , il sera bon de voir comment développer la liberté individuelle, l’autonomie qui suppose la responsabilité et la place des familles .C’est cette articulation qu’il faut trouver.