Long métrage: les confidences de Sophia Alaoui
Sophia Alaoui, Réalisatrice. Après six semaines de travail acharné, la réalisatrice a bouclé le tournage de son premier long métrage «Parmi nous», l’occasion pour elle de nous révéler le casting très éclectique de son nouveau film. À l’affiche de ce film à cheval entre la science-fiction et le drame social, de grands noms, comme Mehdi Dehbi (à la tête de Messiah sur Netflix), mais aussi Souad Khouyi, que l’on ne présente plus, et enfin OumaÏma Bardi (qui fait ses débuts au cinéma), pour ne citer que ceux là.
Vous venez de terminer six semaines de tournage, comment vous sentez-vous?
Je dois vous avouer que le tournage a été très difficile pour moi. En effet, je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi complexe en termes de tournage. D’un coup, il y a tout ce stress qui retombe comme une forme de chute un peu forte. J’aime dire que lorsque l’on tourne, c’est comme partir en guerre pour défendre un scénario et, en cela, il m’a été difficile de tenir, surtout qu’il s’agit d’un film de science-fiction, extrêmement ambitieux. Il a fallu être très exigeant durant toute cette période de tournage pour ne pas tomber dans le «kitsch».
«Parmi nous», c’est le titre du film qui est une interprétation de votre court-métrage en long-métrage, sans trop rentrer dans les détails, est-ce que vous pouvez nous le «pitcher» ?
Il ne s’agit pas tout à fait de l’adaptation de mon court-métrage en long-métrage, bien qu’il s’agisse du même univers. Pour vous raconter un peu l’histoire, mais sans donner trop de détails, il est question de l’arrivée des extra-terrestres au Maroc, qui va bousculer la vie des gens, leurs croyances, leurs habitudes, leurs zones de confort. C’est donc un événement à l’échelle planétaire qui va venir nous remettre en question dans nos certitudes.
Est-ce qu’on peut dire de vous que vous êtes finalement la réalisatrice marocaine qui s’attelle à la science-fiction ? Est-ce votre signature ?
À vrai dire, je ne me suis jamais décrit comme telle, je ne me suis jamais dit «je fais de la science-fiction». Pour moi, je fais des films de manière très réaliste mais ce n’est pas de la science-fiction et je n’ai jamais été tentée de faire de la compétition aux grosses productions hollywoodiennes. D’ailleurs, mes films se passent en zone rurale, je traite de questions qui sont de l’ordre de l’intime et dans mes films, on retrouve des personnages forts. Je place l’humain au centre de mes préoccupations et la science-fiction n’est qu’un moyen pour moi de mieux questionner mes personnages. La science-fiction me permet de prendre plus de recul sur nos réalités et cette prise de recul est nécessaire, à mon avis, pour mieux se remettre en question.
Sur ce tournage, quelle a été la scène la plus difficile à tourner?
Chaque scène était un réel défi pour moi. Vous savez, dans ce film, j’ai tourné avec des acteurs professionnels et d’autres, qui ne l’étaient pas. Sur le tournage, il y a eu toutes sortes d’animaux comme des moutons et des chiens blessés ; j’ai aussi tourné avec des enfants ; j’ai tourné, également, en montagne, de nuit et il y a eu beaucoup d’effets spéciaux. Mais, pour moi, la fin du film reste la plus difficile. Vous avez, d’ailleurs, pu assister à cette scène avec 400 figurants devant la mosquée, et qu’il a fallu gérer. Nous étions, mon équipe et moi, éreintés par le rythme effréné de ces six semaines de tournage.
On a l’impression que tout est allé extrêmement vite pour vous. Vous avez eu un prix au Sundance, puis la prestigieuse statuette des Césars. Vous avez une grosse pression qui repose sur vos épaules. Qu’est-ce que vous vous dites quand vous êtes aux commandes de ce film ?
Oui, en effet, la production de ce film est allée extrêmement vite, mais en réalité, j’y travaille depuis l’âge de 20 ans. Cela fait plus de 10 ans que j’y travaille activement et que je m’active à créer un réseau. Mon parcours est fait d’échecs mais aussi de réussites et je n’ai jamais rien lâché. Les choses vont vite lorsqu’on a un projet qui fonctionne, mais il ne faut pas oublier que, derrière cela, il y a beaucoup de travail et de sacrifices. Et, finalement, ça fait dix ans que je me suis formée à me dire que personne ne m’attend, et que l’échec peut être tout le temps là parce que j’en eu beaucoup, bien plus que de réussites. Donc, au final, il y a une pression que l’on se met personnellement, même si je pense que l’on ne fait pas des films pour réussir mais plutôt pour transmettre un message.
Est-ce qu’on peut avoir des noms concernant le casting des acteurs ?
Comme je vous l’ai dit, dans «Parmi nous», j’ai fait appel aussi bien à des acteurs professionnels que non professionnels. Il y a l’acteur de mon court-métrage, Fouad Oughaou, qui revient dans ce long-métrage. Une jeune actrice, également, qui a beaucoup de potentiel, et qui voulait à tout prix être comédienne. Il s’agit de son premier rôle majeur dans un long métrage, elle s’appelle Oumaïma Barid. Il y a Mehdi Dehbi qui a joué dans la série «Messiah», sur Netflix et qui est très expérimenté. Sans oublier Souad Khouyi, que l’on ne présente plus.
Certains de vos proches ont fait partie du casting, qu’est-ce que cela vous a fait de les mettre en scène sur ce long métrage ?
Pour certains de mes proches, c’était une évidence, parce que je considère que ces personnes sont faites pour faire du cinéma. Je leur ai donc donné cette opportunité et c’était pour moi une façon de leur faire un petit clin d’œil et de leur donner la chance de s‘essayer à cette expérience du maquillage, des costumes, bref de faire partie de cette grosse machine qu’est le cinéma. Je trouve que leur présence a apporté plus de réalisme et ça m’a fait plaisir de les avoir sur mon tournage.
Votre père vous a rendu visite durant le tournage pour vous encourager. C’était important pour vous qu’il soit présent ?
Effectivement, mon père est passé pendant le tournage mais il n’était pas le seul, des amis m’ont rejoint aussi à Imilchil. Il est très important de s’entourer de bonnes énergies durant un tournage et d’avoir le soutien de ses proches. C’est primordial lorsqu’on a un rythme comme celui que l’on a vécu pour le tournage de «Parmi Nous».
J’imagine que tu as dû retourner dans le village d’Imilchil pour ce long métrage. Qu’est-ce que ça fait de retourner là-bas ? Quel rapport entretenez-vous avec ce village qui, on peut le dire, vous a porté bonheur quelque part ?
Il faut savoir que je suis très attirée par la nature et les paysages lunaires. La région d’Imilchil regorge de paysages que j’ai eu l’occasion d’explorer en profondeur lors du tournage. J’ai aussi travaillé avec les habitants de ce village car j’avais envie de leur rendre hommage. Nous avons créé un vrai microcosme, fait travailler tout le village et certains se sont même trouvé des vocations.
Est-ce qu’après ce tournage vous comptez venir en aide aux habitants de cette région ? Un projet associatif en vue à Imilchil ?
J’ai toujours voulu créer des ponts entre la ville et les zones rurales en matière d’acting. C’est donc l’occasion de créer de vrais ponts entre, par exemple, des directeurs de casting mais aussi des techniciens… pour permettre aux personnes issues des zones rurales de rencontrer des métiers du cinéma qui puissent leur montrer d’autres perspectives possibles dans leur vie. À cet effet, j’ai d’ailleurs reçu l’aide de l’Institut français pour pouvoir acter tout cela. Toutefois, nous avons besoin de plus de moyens de financement afin que ce ne soit pas seulement une initiative personnelle mais plutôt un projet viable qui puisse fonctionner à long terme.
Est-ce qu’on peut avoir la date approximative de sortie de «Parmi nous» ?
Ce que je peux vous dire, c’est que le film sortira courant 2022, mais je n’ai pas de date précise.
Les Aliens, est-ce que vous y croyez finalement ?
La croyance est propre à chacun, et finalement, c’est ce que je dis avec «Qu’importe si les bêtes meurent» mais aussi avec «Parmi nous». C’est la possibilité de ne pas avoir qu’une seule réalité. J’aime la liberté de croire et de penser, la liberté de croire au pluriel, c’est à dire de croire en toutes les possibilités.
Les cinémas reprennent vie petit à petit, quelle sélection de films pourriez-vous nous proposer ?
La vie reprend au cinéma, bien que pour moi il n’y ait pas encore assez de cinéma et pas assez d’offre, ce que je trouve un peu dommage. Néanmoins, j’encourage vivement les gens à aller au cinéma, et à défendre le cinéma marocain. D’aller voir le dernier film de Nabil Ayouch «Haut et fort», mais aussi le premier film de Ismaïl El Iraki, «Burning Casablanca», un film qui a pris des risques.
L‘année 2021 s’achève, une pensée pour cette année ?
L’année 2021 a été compliquée pour tout le monde, mais je pense qu’il y a tout de même eu des choses positives. Toute cette crise sanitaire nous prouve, en fait, que nous ne sommes pas des surhommes, que nous ne pouvons pas tout contrôler et qu’un virus, aussi petit soit-il, nous peut nous faire mener la vie dure et nous déranger. Alors, restons optimistes en dépit de la situation préoccupante.
Eliane Lafarge / Les Inspirations ÉCO