Culture

Littérature. Melvina Mestre : “J’écris avant tout des polars, pas des livres d’histoire”

Melvina Mestre
Écrivaine

Melvina Mestre sera à la librairie Livre-moi de Casablanca, vendredi 19 juillet, à 19 h, pour une rencontre-signature, et samedi 20, toujours à Casablanca, à 18 h, à celle du Carrefour des livres pour une rencontre animée par Annie Devergnas. Elle est invitée au Maroc dans le cadre des résidences de l’Institut français. 

Pourquoi écrire sur le Maroc des années 50 ?
Pourquoi pas ? Il s’agit d’une période historique très riche : l’après-guerre, la décolonisation, la guerre froide et Casablanca sont un superbe décor pour des intrigues policières ! Paris a Nestor Burma avec Léo Mallet, Berlin a Philippe Kerr… Casablanca n’est pas qu’une ville en noir et blanc comme dans le film de 1942 et je voulais lui redonner tout le lustre de cette époque. On dit que c’était «la seule réalisation française qui ait bluffé les Américains» ! Mais j’écris avant tout des polars, pas des livres d’histoire.

Quelle ambiance dans le Casablanca de cette époque ?
Une ville moderne, un laboratoire pour les architectes, un patrimoine architectural inégalé. Des restos, des cafés, des cinémas à foison. La ville n’avait pas subi les bombardements comme beaucoup de villes en Europe durant la Seconde Guerre mondiale. C’était l’euphorie, en tous cas pour ceux qui étaient du bon côté de la barrière… car c’est aussi à la même époque l’extension des «bidonvilles», l’exode rural, ne l’oublions pas, et les débuts de l’habitat «social». Une autre caractéristique : il y avait beaucoup d’étrangers.

Le peuplement européen n’était pas que français, mais aussi italien, espagnol, et même suisse comme l’architecte de l’Immeuble Liberté, Leonard Morandi, ou américain. De nos jours on dirait que c’est un «pôle d’immigration». Quant aux Marocains, il y avait des musulmans et aussi une forte communauté juive encore à l’époque. Peu de Marocains des années 50 étaient natifs de Casablanca (ou alors depuis seulement une génération), il y avait aussi un mélange entre Berbères, Fassis, gens des plaines, des montagnes, etc. Tous venaient d’ailleurs… C’est ce mélange de culture qui fait la richesse du Casablanca dans les 50’s.

Une femme détective privée, c’est sympathiquement surprenant. Est-ce réaliste ?
Oui, c’est complètement réaliste. Même si j’ai inventé ce personnage de Gabrielle Kaplan. Beaucoup d’Européennes travaillaient et étaient indépendantes : infirmières, institutrices, secrétaires (d’ailleurs, la première école de secrétariat Pigier à l’étranger a été ouverte à Casablanca)… Peut-être même plus qu’en France à la même époque ! Ceci est tout à fait documenté, par exemple dans le livre préfacé par Tahar Ben Jelloun, «Des Français au Maroc», édité chez Denoël.

Quel est le parcours que vous prêtez à votre personnage de Gabrielle Kaplan ?
Il s’agit d’un petit clin d’œil à Ilsa Lund, l’héroïne du film Casablanca de Michael Curtiz : elle a fui l’Europe «nazie» et a transité par Casablanca pour ensuite — je crois — rejoindre le Portugal. Mon parti pris est le suivant : et si Ilsa Lund était restée à Casablanca ? Alors la voici c’est Gabrielle Kaplan, juive de Salonique, une ville de bord de mer multiculturelle (en Grèce) qui ressemble beaucoup à Casablanca.

Ce sont des romans historiques, et il y a une dimension d’espionnage, par exemple avec l’affaire Jacques Lemaigre Dubreuil. Nous livrez-vous une «histoire secrète» de l’indépendance ?
Je n’ai pas cette prétention ! J’ai surtout lu tout ce qui existait sur le sujet, rencontré les descendants (avec lesquels je partage la même conviction), ainsi que des descendants d’autres indépendantistes européens comme le Dr Delanoë. Lemaigre Dubreuil est un personnage très complexe avec beaucoup de part d’ombre, dont l’assassinat est indissociable du désir d’indépendance de l’époque. Un véritable personnage de roman ! Les archives sont classées «secret défense», elles ouvriront en 2025… Suspense !

«Sang d’encre à Marrakech» aborde la question de la prostitution et notamment du quartier Bousbir, «quartier réservé» construit par les autorités coloniales. Pourquoi évoquer cette mémoire qui semble encore douloureuse pour certains ?
Ne serait-il pas plus juste de dire pour certaines ? N’est-ce pas surtout les femmes exploitées dans ce système atroce qui sont à plaindre ? Je me suis basé sur l’excellent travail de l’ethnologue Abdelmajid Arrif «Bousbir la prostitution dans le Maroc colonial» (éd. la Croisée des chemins, 2013). Il a d’ailleurs lu mon livre et l’a beaucoup apprécié, ce qui est pour moi une reconnaissance. Mon polar est tout sauf une apologie de Bousbir, évidemment. Hélas, cela fait partie de l’environnement des années 50 à Casablanca. Et d’ailleurs replacé dans son contexte historique, lorsque Bousbir a été construit dans les années 30, les «maisons closes» existaient en France, et dans toute l’Europe.

Ensuite les choses sont plus complexes qu’au premier abord… des femmes se sont retrouvées à Bousbir, car elles n’avaient aucun autre choix (veuves, répudiées, violées, mises à la rue, battues, affamées…), et en lisant ce livre on découvre qu’elles étaient elles-mêmes exploitées par d’autres femmes (les «matrones»), elles aussi marocaines, même si les clients étaient des hommes, et d’ailleurs de toutes les communautés. Ce n’est pas en occultant des faits historiques ni en mettant un mouchoir dessus que cela les empêche d’avoir existé. Mais attention, ne nous y trompons pas, «Sang d’encre à Marrakech» est juste un polar, une fiction dans un contexte historique, pas un bouquin de sociologie.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO

 


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