L’interview confinée de… Hicham Lasri
Cinéaste boulimique, plume prolifique et artiste multi-casquettes, Hicham Lasri écrit des films comme il dessine sa vie. Entre une bande dessinée, un roman, une pièce de théâtre ou un clip, tous les moyens sont bons pour mettre de l’ordre dans ses idées. Le cinéaste Hicham Lasri est un amoureux de l’art aux multiples talents qui profite de la crise pour faire une pause dans le temps et dans sa tête . Pour lui, le confinement est une journée comme les autres. Quarantaine artistique avec un réalisateur viscéral.
Le film qui vous a donné envie de devenir réalisateur ?
«Zabriskie Point» d’Antonioni, c’est un film anarchiste, un peu débraillé mais dont l’énergie noire est incroyable avec toujours le côté errance faussement indolente ou dans l’inertie et une bande sonore démoniaque des Pink Floyd.
Le film culte ?
«Soy Cuba» pour le double programme du film : celui d’être un film de propagande cubain financé par l’ex-URSS et tourné par Kalatozov. C’est un film où la caméra est démiurgique, glissant partout comme l’œil du malin pour raconter l’humanité et la vigueur du peuple cubain qui semble artificiellement heureux et terriblement séduisant…
Le film que vous auriez aimé réaliser ?
«Le Procès de Jeanne d’Arc» de Robert Bresson pour l’incroyable dépouillement de la mise en scène mais aussi le vide que laisse en toi ce film une fois visionné, comme une blessure qui refuse de guérir…
L’œuvre que vous avez découvert ou redécouvert en confinement ?
«From Hell» d’Alan Moore, un gros pavé sur la fascinante affaire de Jack l’éventreur…c’est un livre que j’avais depuis quelques années et je n’avais jamais trouvé le temps de m’y plonger encore…
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
«Le salaire de la peur» de Georges Arnaud, c’est un récit que j’ai lu très, très jeune et relu très souvent avec toujours le même plaisir. C’est mon Harry Potter à moi et encore une fois c’est le récit de loosers en Amérique du Sud qui transportent de la nitroglycérine pour éteindre des puits de pétroles en feu… tout un programme…
La bande dessinée la plus réussie selon vous ?
«Watchmen» d’Alan Moore et Dave Gibbons…indiscutablement : une relecture méta du mythe du superhéros créé en 1986 dont l’influence sur la culture pop mondiale est incroyable et durable…
Le film courageux ?
Je suis allergique aux films pleins de bons sentiments : les films à thèse, les tire-larmes, les films de gentils arabes, de gentils africains et globalement des films gentils, à part ceux de Jackass et d’Adam Sandler. En bon célinien, je préfère les films sur les méchants, les peureux, les flippés, les psychopathes, les tueurs en série, les androïdes, les zombies et la lie de la création pour une raison très simple : on peut tellement faire et raconter avec des anti-héros qui parfois trouvent le courage de changer à la fin.
Le livre qui a changé votre vie ?
«Hitchcock/Truffaut» est un livre culte et incontournable quand on est un jeune réalisateur enragé. Ça donne du courage et débroussaille quand, comme moi, l’on se retrouve dans un pays sans écoles de cinéma et sans inspiration particulière dans le milieu du cinéma qui est, comme encore aujourd’hui, un milieu d’employés du secteur tertiaire, de rentiers, d’employés fantômes et de gens sans talents et sans générosité…
L’album que vous avez le plus écouté ?
Le best-of de Leonard Cohen, un mec classe et sympa comme on a envie d’avoir comme ami…
Votre premier coup de cœur cinématographique ?
Définitivement «Le bon, la brute et le truand» de Sergio Leone, une sorte de faux western spaghetti et vrai opéra italien saturé de bruit et de fureur comme un cartoon déjanté à la fois hilarant et épique…
La chanson intemporelle ?
«So What» de Miles Davies que j’écoute en boucle pour me couper du monde et tout l’album «Kind of blue» est incroyablement efficace pour s’isoler mentalement du brouhaha et de la crasse qui sont le propre de cette époque cacophonique…
Le lieu qui vous apaise ?
L’océan, quand je fais du surf, m’apaise terriblement et évidemment avec le confinement et le devoir de civisme, je me suis privé de ce plaisir alors que j’adore aller surfer à partir de février/mars quand il fait encore frais…
Le livre qui vous ressemble ?
N’importe quel livre de James Graham Ballard, un grand auteur anglais de science-fiction dont on ne parle pas beaucoup malheureusement…
Le film que vous avez détesté aimer ?
«Parasite» de Bong Joon-ho, encore un film de pauvres dans un pays riche (comme Ken Loach, Mike Leigh ou le cinéma français… ). C’est un récit dont la mécanique est à la fois efficace mais aussi un peu prévisible. Derrière le craft, la maîtrise narrative et esthétique, il n’y a que du vide. J’ai vu le film avec plaisir mais je n’ai pas adhéré à la zombification globale qui a fait dire à tout le monde que c’était un chef-d’œuvre…c’est tout bêtement un récit de braquage qui se termine de manière prévisible dans le sang comme un sympathique film américain qui ne s’est jamais remis du traumatisme de la fin de «Taxi Driver». On sent que c’est encore un film pour les Cahiers du cinéma, toujours en retard d’un train quand il s’agit de s’attaquer au film du genre. Autrement dit, pour les caves, «Parasite» de Bong Joon-ho est à «Driver» de Walter Hill ce qu’a été «Drive» de Nicolas Winding Refn ; le film de genre pour les nuls. J’ai préféré du même réalisateur un film qui s’intitulait «Memories of Murder» qui sentait moins le vieux réalisateur en train de franchir la première marche de l’escalateur à l’envers…
Le héros de bande dessinée à qui vous auriez aimé ressembler ?
Rom le chevalier de l’espace, un personnage très culte mais pas encore très connu, ce qui arrive seulement quand les personnages sont adaptés en film, comme quoi, les personnages de comics tombent dans le cinéma comme dans le domaine public…Pour revenir à «Rom, le chevalier de l’espace», c’est le récit d’un homme qui a sacrifié son humanité pour devenir une sorte de Cyborg afin de traquer les méchants qui ont détruit son monde au nom magnifique de Dire Wraith…
La musique parfaite pour le confinement ?
J’ai une vaste playlist qui va du Jazz à Cheb Mami en passant par Juliette Greco ou Metallica et je me fais un plaisir à la mettre sur lecture aléatoire pour être surpris…sinon, le Jazz est parfait pour le confinement que j’ai passé derrière mon bureau pour écrire, dessiner et lire…
La musique de film qui fait oublier le film ?
La musique de «L’affaire Thomas Crown».
Quelle est votre nouvelle routine de confinement ?
De manière métronomique : Réveil à 8h du matin, sport, lecture, écriture, dessin, à 18h re-sport, repas puis un bon pour compenser un mauvais film…
Qu’est-ce que cette crise vous a appris sur la vie et sur vous-même ?
La vérité, cela m’a juste évité de me retrouver dans des cafés pour des rendez-vous galants ou des réunions professionnelles. Comme je suis un loup solitaire, le reste est supportable.
Le confinement est-il favorable à la créativité ?
Totalement, c’est même une aubaine pour moi. J’ai pu terminer d’écrire une pièce de théâtre, un roman, deux scénarii et
deux romans-graphiques (texte et dessin)…et le confinement n’est même pas encore terminé…
Un cache-cache qui tourne mal
Hicham Lasri s’est prêté à l’exercice de JawJab en donnant naissance à un court métrage batpsié «Kids» dans le cadre de l’initiative «Living in times of Corona». Une manière pour le studio créatif de s’extraire un instant du climat anxiogène de la pandémie et de s’évader dans l’univers particulier de chacun des réalisateurs. Le cinéaste témoigne du changement brutal que le confinement a opéré dans sa vie ou dans celle de ses proches. À part les contraintes liées au temps de production et à l’espace, les réalisateurs avaient carte blanche pour livrer dans le format qu’ils voulaient quelque chose de très personnel sur cette période particulière. Le spectateur s’immisce ainsi dans l’antre de chaque réalisateur, découvre son lieu de vie, sa famille parfois, ses objets personnels. Hicham Lasri nous fait vivre la solitude comme angoisse à travers un dialogue sans répondant, une sorte de jeu de cache-cache qui tourne mal. «Ça part d’un manque affectif, de cette nostalgie de mes enfants pour en faire une sorte de récit anxiogène (poussant les codes du cinéma) pour donner ce récit à la fois simple, construit et efficace», analyse le réalisateur. «Nous voulions documenter cette période du point de vue des artistes à travers les images qu’ils produisent, les histoires qu’ils souhaitent raconter», déclare Younes Lazrak, directeur général adjoint chez Jawjab avant que Hicham Lasri ajoute : «l’artiste est là pour nourrir l’âme des gens à travers des créations qui les empêchent de sombrer dans la folie ou même dans la dépression. Maintenant que les gens sont coincés avec eux-mêmes, le besoin d’évasion est vital…»