Culture

«Le Bleu du Caftan». Maryam Touzani : “C’est un film sur l’amour, la transmission et la tradition”

Maryam Touzani
Réalisatrice

On rembobine Cannes, sa montée des marches, ses stars, ses paillettes et ses récompenses. S’il y est des moments qui nous ont marqué durant cette 74e édition, c’est sans doute lorsque Zahara Amir Ebrahimi, l’actrice iranienne contrainte à l’exil, a reçu le prix d’interprétation féminine pour son rôle dans «Les Nuits de Mashhad», d’Ali Abbasi. C’est aussi et surtout lorsque Maryam Touzani a monté les marches aux côtés de l’équipe de son nouveau film, «Le Bleu du Caftan», pour lequel elle a reçu le prix de la critique internationale. Un film où il est question, comme elle le dit si bien, d’humain, d’amour, de la transmission et de la tradition. L’amour d’un métier, l’amour des êtres à travers l’histoire de trois personnages, Halim, Mina et Youssef. Un film qui a été accueilli par un tonnerre d’applaudissements et qui sera disponible au premier trimestre 2023. Nous avons questionné cette réalisatrice qui n’en est pas à sa première montée des marches à Cannes, celle qui nous a bouleversés avec «Adam revient» et «le Bleu du Caftan». Maryam Touzani nous donne un avant-goût de ce film sur l’amour avec un grand A. 

Parlez-nous du film «Le Bleu du Caftan» ?
«Le Bleu du Caftan» est un film sur l’amour, la transmission et la tradition. L’amour d’un métier, l’amour des êtres, à travers l’histoire de trois personnages, Halim, Mina, et Youssef. Dans ce film il est question d’homosexualité, de maladie, de transmission et de patrimoine, autant de thématiques qui sont le reflet de notre société…

Ce film est-il fait pour nous confronter à nos vérités ?
Dans ce film, il est avant tout question d’humain. Je raconte des personnages qui me touchent, qui portent leur propre vérité, leur propre vécu, qui sont ancrés dans un contexte. Ce film n’est pas fait pour nous confronter à «nos vérités», car il n’y a pas une seule vérité, mais pour nous donner accès à l’expérience d’autres vérités, celles de ses personnages. Des personnages qui charrient chacun une histoire, un vécu.

Halim, qui est marié à Mina depuis vingt-cinq ans, vit avec le non-dit de son homosexualité. Mais le film n’est pas un film sur l’homosexualité, c’est un film sur l’amour, tout simplement. L’amour que j’avais envie d’explorer à travers des personnages qui le questionnent, le redéfinissent, bousculent et transcendent les carcans.

Comment avez-vous travaillé sur ce film ? On voit Lubna Azbal de retour, est ce qu’on peut dire qu’elle est votre muse ?
J’ai beaucoup travaillé sur la préparation du film en amont. J’ai mis des mois à trouver les décors, les tissus… Pour, ensuite, travailler dessus avec les différents chefs de poste afin de recréer l’univers que j’avais imaginé pour mes personnages. Dans ce sens, on a beaucoup travaillé en amont sur le choix des couleurs, celles des caftans comme celles des vêtements des personnages.

Halim arbore une élégance innée que je voulais raconter à travers ses habits. Un peu hors du temps aussi. Pour Mina, tous les costumes ont été fabriqués pour le film. Le travail sur les décors étaient extrêmement important aussi. J’adore peindre et composer une séquence c’est un peu comme composer un tableau, il faut réfléchir à l’équilibre des couleurs, des textures.

Pour moi, les détails sont d’une très grande importance, et je voulais que chaque chose qu’on puisse voir à l’image ait un sens. Et puis, on a beaucoup travaillé sur la lumière qui traverse les différents lieux et nous aide à aller vers la profondeur des émotions des personnages. Ensuite, il y a eu évidemment le travail avec les comédiens, qui était très intense.

En écrivant, j’avais déjà le visage de Lubna en tête, parce qu’elle a cette force de caractère dans la vraie vie. En effet, on avait déjà travaillé ensemble sur Adam, et je savais de quoi elle était faite. Je savais qu’elle allait comprendre Mina. Lubna a incarné Mina de manière extraordinaire, elle était dans une quête de vérité singulière. Elle avait suivi un régime pour maigrir et incarner Mina de la manière la plus vraie possible : elle voulait maigrir avec le personnage, elle voulait sentir la mort dans son corps et c’est ce qu’elle a fait. Lubna est une comédienne fantastique, elle s’investit sans compter. Elle ne sait pas faire dans la demi-mesure, elle ne fait pas semblant, elle donne tout.

Quel a été le rôle de votre époux ?
Mon époux a produit mon film, mettant en place les conditions nécessaires pour que je puisse faire le film que je voulais. Et cela à travers son expérience, son professionnalisme, et le savoir-faire que cela nécessite, en commençant par l’exigence au moment de l’écriture, avant même d’aller chercher les financements. En ce qui me concerne, j’ai pu me consacrer uniquement à l’artistique. Et c’est ce qu’il y a de plus beau, de pouvoir créer sans être embarrassé par le reste.

Mais l’apport de Nabil dépasse bel et bien celui d’un producteur. Il a été là dès le début, dès le moment où ce désir du film est né. J’ai pu partager avec lui mes premières émotions, et il a été là tout le long, pour m’écouter, échanger avec moi, me conseiller…

Sur l’écriture, j’ai eu la chance d’avoir son regard, toujours bienveillant, aiguisé, et sensible, à travers lequel il m’a accompagnée dans l’évolution de mes personnages et de mon histoire. Et puis, revenant à sa place de producteur pendant le tournage, sans jamais chercher à avoir une influence sur l’artistique. Protégeant mon regard, ma vision. Et je trouve ça très beau, très grand. À son image.

Ce n’est pas votre première montée des marches, mais quel sentiment gardez-vous de cette expérience ?
Faire une montée des marches avec l’équipe de son film est toujours un moment plein d’émotions. Mais ce qui m’a le plus marqué est le moment après la projection du film, l’accueil tellement touchant qu’il a reçu. L’émotion dans la salle quand les lumières se sont allumées, les témoignages… C’était intense, beau, inoubliable. Je suis émue rien qu’en me souvenant.

Vous avez remporté le prix de la critique internationale c’est une première, peut-on avoir vos impressions après cette consécration ?
C’est un prix que j’aime particulièrement. J’en suis très honorée et très heureuse, car je sais à quel point la critique internationale est exigeante. C’est une très belle reconnaissance pour le film.

Comment avez-vous fait pour constituer votre casting d’acteur ?
Trouver les comédiens et comédiennes qui vont donner chair à des personnages qu’on a écrit et porté pendant si longtemps est pour moi une des étapes les plus difficiles. Pour Mina, comme j’ai dit précédemment, j’avais écrit avec Lubna Azabal en tête. Pour le personnage de Halim, j’ai fait un casting très large au Maroc, au début, pour ensuite élargir sur d’autres pays arabes.

La rencontre avec Saleh Bakri a été décisive, car j’ai trouvé en lui le personnage que j’avais imaginé. J’ai été touchée par sa sensibilité et son talent. Quant à lui, il est tombé amoureux du personnage de Halim, dans toute sa complexité. Il a passé du temps au Maroc, s’est familiarisé avec le métier de maalem à travers le travail et l’observation auprès des artisans, car je voulais qu’il ait un vrai ressenti en incarnant ce personnage. Avec l’aide d’un coach, il a aussi beaucoup travaillé «la Darija».

Pour le rôle de Youssef, j’ai rencontré un grand nombre de jeunes comédiens très talentueux. Mais Ayoub Messioui avait ce petit quelque chose que je ne saurais définir, qui m’a fait ressentir que ça devait être lui… Pendant presque un an, il a plongé dans son personnage, d’abord en passant un nombre incalculable d’heures dans les ateliers avec les maalem pour nourrir son rôle d’apprenti.

Ensuite, on a travaillé ensemble pour approfondir sa recherche du personnage. C’est un jeune qui a beaucoup de maturité pour son âge, une vraie profondeur, de la sensibilité, et un vrai talent. Je suis certaine qu’il va faire de très belles choses à l’avenir.

Dans ce film, on a l’impression que le caftan est une façon poétique de dire que nous sommes encore trop attachés à nos traditions et que nous vivons encore dans un Maroc à deux vitesses ?
Le caftan traverse le film, l’histoire. Les liens se tissent entre la fabrication du caftan et les relations entre mes personnages, et ce n’est pas anodin. Ça me touche profondément de voir des activités comme tailleur de caftan s’éteindre parce qu’on vit dans un monde qui va trop vite et qui n’accorde plus de temps à ces métiers et ne les valorise pas.

Moi, au contraire, j’aime m’arrêter, observer, prendre le temps, et ce type de métiers me procure une forte inspiration. À travers ce caftan j’ai voulu rendre hommage à cette tradition qui est en train de mourir à petit feu, car elle ne se transmet plus. Il y a quelque chose de très beau dans ces traditions que l’on perd, quelque chose qui raconte qui nous sommes et qui fait partie de notre ADN.

Cette part de tradition qu’il faut préserver et protéger, là où d’autres traditions méritent d’être bousculées, questionnées…

A l’instar de votre époux, vous faites des films qui s’inscrivent dans le militantisme. Est-ce qu’on pourra vous voir dans un autre style ?
Je fais des films sur des choses qui me touchent, qui me hantent. Je fonctionne au ressenti, à l’inspiration. Je ne réfléchis pas en amont au registre dans lequel va s’inscrire un film. L’écriture pour moi répond toujours à un besoin d’expression, et je ne me vois pas m’exprimer sur des choses qui ne me touchent pas.

Quand pourrons-nous voir «le Bleu du caftan» au Maroc?
Au premier trimestre 2023…

Éliane Lafarge / Les Inspirations ÉCO


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