Jamel Debbouze : “On nous a longtemps considéré comme l’épicerie du rire”

Jamel Debbouze.
Humoriste, comédien, producteur
Plus zen et concentré que jamais, Jamel Debbouze traverse 10 ans de Marrakech du rire sans sourciller. Confidences du parrain du rire marocain qui confirme son statut de dénicheurs des talents de demain.
Après 10 ans, comment arrivez-vous à vous renouveler aussi bien ?
C’est la question qu’on doit tous se poser. On fait des métiers où on doit surprendre, par la sémantique, vous par le sujet. Nous pareils. Il faut aller puiser dans ce qui nous surprend nous, sinon comment surprendre ? C’est ça le propre du rire : c’est la surprise. J’essaye de me surprendre. On ne s’installe pas dans le confort. On avait quelque chose d’extraordinaire : le mapping. On l’a fait 3-4 ans. J’étais bien avec le mapping. C’était spectaculaire. Le réalisateur m’a proposé de sortir de notre zone de confort. On l’a fait. Cela a donné lieu à une pièce de théâtre. Je me suis régalé à la jouer. C’était classico- classique. J’aime mélanger les genres : il y avait d’un côté Guillaume de Tonquédec, de la comédie française et Bouder ! (Rires). C’est ce qu’on essaye de faire avec le Marrakech du rire. J’espère qu’on y arrive…
Quel bilan faites-vous de ces 9 éditions ?
Il y a plusieurs bilans. Tout d’abord le bilan humain et c’est celui qui m’importe le plus. Quand l’humain est là, tout suit en cascade. L’humain et l’artistique. Si je t’aime bien et que tu m’aimes et qu’on aime jouer ensemble, on va se sentir bien et on va faire quelque chose de bien. Le public réussira à le ressentir. C’est une formule qui marche bien. Il y a d’abord des artistes qui jouent le jeu, des partenaires qui suivent certes mais des artistes du Maroc, de France qui font que le Marrakech du rire et continuent à vivre. À 20 h par exemple, on parle dans les infos, de Noirs, d’Arabes, on se concentre sur le négatif, on nous divise. À 20h30 sur M6, il y a cette émission où un couple de Nantais et un couple de Khouribga rient sur la même vanne. C’est un évènement qui vit grâce à la télévision mais il reste très très dur à faire et ce n’est pas normal. C’est un festival qui crée des richesses, qui crée du tourisme et qu’il faut porter. On est aidés mais ce n’est pas suffisant…
Est-ce que le MDR a «affecté» votre écriture et processus de création ?
Affecté non. Ce n’est pas le terme. Je parle des choses qui me sont arrivées dans ma vie et le MDR est une des choses les plus fortes qui me soient arrivées dans la vie. J’espère que ça fait écho à la vie des gens. Je suis conscient que je suis privilégié. Je ne l’ai pas toujours été. C’est ce qui m’aide à rester humain, enfin j’espère. Je n’ai pas quitté la rue, tout en côtoyant les étoiles. Cela n’a pas affecté mon écriture mais comme cette aventure est très usante, très fatigante, très sollicitante, cela peut m’atteindre en tant qu’artiste à un moment donné. Être sur scène pendant 2 heures, entouré de mes amis et des artistes que j’admire est un plaisir sans nom mais pour arriver à ces deux heures…Cela peut être usant en effet. D’ailleurs, c’est la première année que l’on ne perd pas d’argent ! Au bout de 9 ans, on a atteint l’équilibre financier.
Ne voulez-vous pas vous ouvrir à autre chose que l’humour communautaire ?
Aux dernières élections, 33% des Français ont voté Marine Le Pen. Tant qu’il y aura ça, on continuera à miser sur le communautarisme. Les femmes mènent le même combat. Ça fait 2 ans qu’on en entend parler, deux ans que vous arrivez dans le business ! Bienvenu ! (Rires). Vous arrivez fort avec une Coupe du monde. Vous avez des arguments. Les Arabes d’1 mètre, on en a d’autres des arguments ! (Rires). Continuer à se battre jusqu’à ce que l’on comprenne. Nos enfants n’auront plus à le faire, ils n’auront plus à se justifier. Mon fils s’appelle Léon Ali. On s’en fout de vos conneries. Ma mère, quand elle a su que j’allais appeler mon fils Léon, elle m’a dit : «tu vas l’appeler comme ça tous les jours ? Tu n’as pas honte, tu ne peux pas me faire ça». Léon c’est le nom du grand-père de ma femme, j’appelle mon fils comme je veux. Avec tout l’amour que j’ai pour ma femme. Léon ne se posera jamais la question, il ne se justifiera pas, il vivra.
Quelles sont vos plus grandes fiertés et vos plus belles déceptions ?
On nous a longtemps considéré comme l’épicerie du rire. Ça fait mal. On doit prouver et se justifier tout le temps. Les gens sont souvent cruels. Après, il y a les belles surprises. Jalil Tijani est une de mes plus grandes fiertés. Il a commencé à la Masterclass du MDR. C’est extraordinaire d’être au début d’un processus de création, d’une carrière.
Quel regard portez-vous sur la scène marocaine, justement ?
La scène marocaine a le même niveau que n’importe quelle scène du monde ! Je fais ce métier depuis des années, je sais ce que je dis. Ils me mettent la pression aujourd’hui, je ne me suis jamais senti en danger avant. Aujourd’hui, oui. Le niveau est monté. Et cela me pousse à faire mieux. Et puis le rire des Marocains. Quel public ! Il se tord de rire , il pleure, il se tape dessus presque ! Le public marocain vit le rire !
Pensez-vous à créer une véritable école du rire ?
On a fait le Jamel Comedy Club à Casablanca, malheureusement les sponsors n’ont pas suivi. Aujourd’hui, j’ai envie de suivre corps et âme Taliss et Humouradji. On veut ouvrir un endroit ensemble, qui sera notre école à nous. À Casablanca. Un lieu libre, ouvert et désordonné à qui veut. C’est notre contribution. Il se passe quelque chose dans ce pays qui n’existait pas avant sur la scène humoristique, qui peut rendre service à la jeunesse qui a envie. Il faut aider cette scène à tout prix…