Culture

Diktat des GAFA. La résistance s’organise

 

Aux yeux de nombreux éditeurs de presse, les GAFA se présentent comme de véritables prédateurs. Les géants du Net qui se partagent le gâteau du marché de la publicité digitale ne laissent que quelques miettes à leurs concurrents directs qui aujourd’hui se sentent menacés de mourir de faim et tentent de rompre avec cette domination des quatre entreprises les plus puissantes du monde de l’Internet. Qu’en est-il du cas du Maroc ? Éléments de réponse ! 

S’il devait y avoir une constance dans l’utilisation des technologies numériques, ce serait qu’elles peuvent être utilisées à la fois pour le meilleur et pour le pire. Alors qu’on ne compte plus les dégâts liés à l’utilisation du web, des millions d’hommes et de femmes ainsi que des entreprises dans le monde ont prospéré grâce aux tendances convergentes de la technologie et de la mondialisation. Les GAFA qui regroupent les quatre entreprises les plus puissantes du monde de l’Internet, à savoir Google, Apple, Facebook et Amazon sont des exemples pertinents. Ces quatre firmes pèsent plusieurs centaines de milliards de dollars et revendiquent un pouvoir économique et financier insolent, parfois supérieur à celui d’un État mais ces géants du Web ont le défaut d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Ils règnent en maître sur le marché du digital dans leurs pays d’origine ; une voracité sans limite, semble-t-il car partout ou presque ils affirment la même suprématie. Figurez-vous qu’au Maroc, en 2017, près de 70% du budget du marché publicitaire en ligne atterrissait sur la Timeline de Facebook et les pages du moteur de recherches Google. D’autres estimations évaluaient déjà cette part de marché à 80%, il y a deux ans. Sachant que le marché de la publicité, rappelons-le, dominé par les poids lourds des acteurs internationaux, surtout Facebook et Google qui monopolisent ainsi des investissements publicitaires au Maroc avec un chiffre d’affaires de plus de 500 MDH croît de 8% chaque année. Une croissance deux fois plus forte que celle du marché global. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que tous les annonceurs n’hésitent plus à augmenter leur budget sur ce segment, laissant ainsi seulement quelques miettes à la presse qui peine aujourd’hui à manger à sa faim, comme le confirme la Cour des comptes dans un rapport publié 2017.

Le chiffre d’affaire publicitaire global de la presse écrite a, en effet, enregistré une régression entre 2014 et 2015 passant de 981 MDH à 973 MDH, alors qu’il a connu une évolution notable pour la presse électronique passant de 34 MDH à 49 MDH sur la même période, soit une évolution de 44%, a précisé la juridiction financière. Si on se fie à l’analyse de la Cour des comptes, les marchés traditionnels, lecteurs et publicitaires, ne suffisent plus à nourrir le secteur de la presse (papier). La féroce concurrence par la transformation digitale, caractérisée par le glissement du lectorat vers les médias électroniques, bénéficiant ainsi du développement des nouvelles technologies de l’information et de la migration de la publicité vers l’étranger pour alimenter les géants comme Facebook et Google, ne fait qu’aggraver l’anémie financière dont souffrent les journaux marocains qui faute d’un modèle économique alternatif, restent encore dépendants de l’aide publique directe et indirecte.

Les éditeurs français gagnent la bataille
En plus de cela, il faut ajouter que le secteur fait face à une baisse de sa part du marché en termes de recettes publicitaires au profit d’autres médias tels que la radio et l’affichage. Résultat, le secteur de la presse écrite au Maroc fait face à des défis liés principalement d’une part à une baisse du volume de la diffusion des titres de presse, passant de plus de 99 millions d’exemplaires en 2009 à 89 millions d’exemplaires en 2014, soit une baisse de plus de 10%. S’y ajoutent aussi «des contraintes liées à des arriérés au titre des impôts (DGI) ou des cotisations de la sécurité sociale (CNSS), un contentieux devant la justice ainsi qu’à la non-régularité de parution ou même son arrêt», constate la Cour des comptes et malheureusement les tentatives du gouvernement pour colmater la brèche n’ont pas eu les résultats escomptés.

En effet, les subventions de l’État à la presse ne couvrent qu’une fine partie des charges des entreprises de presse(4%). Les aides directes sont destinées à contribuer au financement de certaines dépenses notamment celles relatives à l’achat de papier presse, au téléphone et fax. Quant aux aides indirectes, constituées essentiellement d’un abonnement aux services de la MAP et d’un tarif préférentiel pour le déplacement des journalistes dans les trains, elles sont extrêmement limitées. Une seule consolation, le Maroc est loin d’être un cas isolé. La presse traditionnelle française, par exemple, est confrontée également à cette même douloureuse situation mais contrairement à la presse marocaine, la presse française au lieu de s’apitoyer sur son sort, mène une guerre sans merci pour obtenir sa part du gâteau. Pas de formule magique pour faire face à cette situation, les éditeurs de presse en France, soutenus par leur gouvernement avaient engagé en 2012 un bras de fer avec Google pour «une meilleure répartition de la valeur créée par l’indexation des contenus de presse», comme nous l’avons déjà souligné dans un papier qui traitait de ce sujet.

Après de longues négociations, le gouvernement français et le géant du web ont abouti à un accord «historique» en février 2013. Cet accord permettait aux éditeurs d’utiliser toutes les plateformes numériques de Google à des conditions attractives durant cinq ans. L’autre point de cet accord est la création d’un Fonds pour l’innovation de la presse numérique, doté de 60 millions d’euros par Google. Ce fonds avait financé des projets destinés à faciliter la transition vers le numérique de la presse d’information politique et générale dans l’Hexagone. Depuis ce fonds a été élargi à d’autres médias européens et son budget atteint 150 millions d’euros et ce n’est pas tout, en mars 2018, la Commission européenne a proposé de taxer à 3% le chiffre d’affaires en ligne des grandes entreprises mondiales du numérique pour contrer leur tendance à l’optimisation fiscale. Devant la difficulté à s’accorder au niveau européen, la France se dit prête à taxer seule les entreprises du GAFA dès 2019. Qu’en est-il du cas du Maroc ? Il y a eu un premier contact entre le ministre de la Communication et de la culture, Mustapha El Khalfi, et la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) pour réfléchir aux réponses possibles à apporter à ce déséquilibre. En effet, lors de cette première réunion, les deux parties ont décidé conjointement de relancer le travail d’un comité composé du ministre, de la FMEJ et des représentants de Facebook et Google dans la région MENA. D’autres réunions avaient été annoncées au programme avec l’implication du ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique mais aux dernières nouvelles, ce travail de réflexion n’a pas eu de suite. Nous avons tenté d’en savoir plus du côté du ministère de la Communication mais nous sommes restés sur notre faim. «Nous avons déjà concocté une batterie de mesures que nous allons prochainement soumettre aux éditeurs mais nous ne pouvons pas vous en dire plus», a confié aux Inspirations ÉCO, sous couvert d’anonymat, une source au département de Mohamed El Aaraj.

Du côté des éditeurs également, on fait tout pour ne pas paraître prolixe sur le sujet, c’est en tout cas la position de certains professionnels qui préfèrent garder l’anonymat. «Nous avons eu une réunion avec le ministre de la Communication précédent et deux GAFA, à savoir Facebook et Google. Notre fédération dispose aujourd’hui d’une feuille de route et lors de notre prochaine réunion du bureau exécutif, nous aurons des propositions intéressantes à mettre sur la table telle que la mise en place de taxes au profit de la presse papier», a laissé entendre, du bout des lèvres, un membre influent de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux, précisant que «nous voulons également faire valoir nos droits voisins». «Nous avons plusieurs fois débattu avec la tutelle de ce sujet qui se pose aujourd’hui avec acuité au niveau international», a estimé, pour sa part, le président du Conseil national de la presse, Younes Moujahid. 

Par ailleurs, si la question du rééquilibrage du marché de la publicité ainsi que la promotion de l’entreprise méritent une attention particulière, ce sont plutôt les problématiques liées à la déontologie et les statuts internes du conseil national, «des choses essentielles» qui semblent être prioritaires. En attendant, les GAFA qui bénéficient de la préférence des annonceurs grâce à leur «capacité de ciblage» et du fait de la connaissance précise du profil de leurs utilisateurs, se partagent, entre eux seuls, l’énorme potentiel du marché de la publicité. Y aurait-il un manque de volonté de la part des éditeurs pour rompre définitivement avec cette domination des GAFA ? «On ne peut décider à leur place alors que nous ne savons pas exactement ce qu’ils attendent de nous. C’est à eux de nous faire part de leurs propositions pour que nous puissions les aider», souligne un haut responsable du ministère du Commerce qui souhaite lui aussi garder l’anonymat. Et pourtant, aux yeux de certains spécialistes, les GAFA, contrairement à ce qu’il paraît, ne sont pas indomptables. C’est vrai que ces géants du numérique disposent d’une force de frappe non négligeable et représentent un véritable défi pour les fiscalistes ; les règles de taxation des entreprises actuelles conçues pour l’économie traditionnelle sont fondées sur le principe «d’établissement permanent, or les entreprises du numérique peuvent offrir leurs services via le net en étant juridiquement installées dans le pays de leur choix, explique-t-on.

Manque de transparence et d’efficacité des GAFA
Malgré toutes «ces manigances», les GAFA traînent de nombreuses lacunes qui pourraient bien profiter à la presse traditionnelle. Le recours excessif à la technologie a fait qu’aujourd’hui de nombreux utilisateurs du Net craignent un nouveau type de crime et de panne, compte tenu de l’anonymat et le laisser-aller offerts par la toile. S’y ajoute également le manque de transparence et d’efficacité des GAFA car en réalité «la plupart des publicités des GAFA sont regardées par des robots alors que certaines, notamment sur YouTube, sont liées à des vidéos auxquelles les annonceurs ne veulent pas être associés», explique un professionnel. D’ailleurs, nombreux sont les annonceurs qui n’excluent pas un retour à l’«ancienne mode» mais à condition que les éditeurs locaux acceptent d’abord de se remettre en question afin de produire un contenu local de qualité adapté pour attirer le maximum d’audience et de facto le maximum d’investissements publicitaires. C’est la seule chance d’ailleurs pour rééquilibrer le marché entre la puissance de frappe des plateformes internationales et les éditeurs locaux, recommande le Groupement des annonceurs du Maroc (GAM). 


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