Conférences : décoloniser la psychanalyse avec Fatema Mernissi
Un cycle de conférences s’ouvre vendredi 20 septembre sous le thème «L’intime, le culturel et le politique : Décoloniser la psychanalyse par ses marges». Il est organisé à la BNRM en partenariat avec La Chaire Fatema Mernissi du HEM research center et la fondation Heinrich Boll. Le Groupe de réflexion sur le décolonial en Afrique du Nord et la Société psychanalytique marocaine en sont les invités phares.
Après les luttes d’indépendance, s’est mis en place un système d’échanges économiques qui a très vite été qualifié de néocolonial, en raison de ses déséquilibres flagrants — que ces relations, en pleine Guerre froide, aient relevées du «Bloc Ouest» ou communiste, peu importe, en l’occurrence. C’est pourquoi l’on parle aujourd’hui d’une «colonialité», d’une mentalité toujours coloniale, qui perdure.
Les études sur le sujet, s’appuyant et reprenant largement les grands auteurs des combats anticoloniaux, ont émergé dès la fin des années 70, mais ont retenti à l’échelle planétaire au tournant des années 1990 et 2000, avec une nouvelle génération d’auteurs, venus pour la plupart des anciennes colonies, en Asie, Afrique ou Amérique du Sud, et formés aux disciplines universitaires les plus rigoureuses. Il en ressort un courant de pensée dit décolonial, qui comporte de nombreuses approches différentes et autant de sujets.
En règle générale, les textes de référence tendent à refuser toute opposition binaire, et les plus remarqués sont ceux qui, lorsqu’ils traitent d’histoire, par exemple, s’intéressent autant aux effets de la colonisation chez les colonisés que chez les colons. Ainsi, vu du Maghreb, il est aisé de constater que l’ancienne puissance coloniale a été, elle aussi, profondément impactée par son aventure regrettable. Cela s’étudie — et devrait même pouvoir s’étudier calmement.
Des institutions, des chercheurs et des témoins mobilisés
Dans ce cadre, il est tout à fait remarquable que la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM) organise, à partir du vendredi 20 septembre à 18 h, un cycle de conférences sous le thème «L’intime, le culturel et le politique : Décoloniser la psychanalyse par ses marges».
En partenariat avec la Chaire Fatema Mernissi (du HEM research center et de la faculté des lettres et dessciences humaines de Rabat Agdal) et la fondation Heinrich Boll. Le Groupe de réflexion sur le décolonial en Afrique du Nord et la Société psychanalytique marocaine y sont invités pour un séminaire régulier et ouvert au débat. Ce séminaire est coordonné par Abdel Majid Safouane, Farid Merini et Driss Ksikes. Trois chercheurs de renom sont invités à chaque séance pour une conférence suivie de débat : Thamy Ayouch, psychanalyste ; Jocelyne Dakhlia, historienne, et Zakaria Rhani, anthropologue. Un membre de chaque structure porteuse du cycle de conférences est invité en grand-témoin : Nouzha Guessous, biologiste et membre fondatrice de la chaire Fatéma Mernissi ; Nadia Jamaï, psychologue, membre de la Société psychanalytique marocaine, et Fadma Aït Mous, politologue, membre du Groupe de réflexion sur le décolonial en Afrique du Nord.
Ces séances se veulent un carrefour de rencontre entre les mondes de la recherche, de la société civile et de la clinique. Elles seront articulées autour des paradigmes communs et des courants de pensée que l’œuvre de Fatéma Mernissi a mobilisés de ce côté sud de la méditerranée. Il s’agit, à partir de là, de relire ses travaux et d’y faire écho à l’aune des champs de réflexion engagés et des implications épistémiques, sociétales et créatives qu’elle a impulsées et inspirées.
Un très vaste débat
Freud avait voulu non pas tant guérir qu’émanciper les sujets qui venaient le voir. En cela, la cure psychanalytique se revendique d’une forme de libération que l’on pourrait rapprocher d’un travail de décolonisation, nous rappelle Abdel Majid Safouane dans l’interview ci-contre.
Cependant, il importe que le milieu psychanalytique sache se nourrir d’une pensée critique, au risque d’oublier ses beaux idéaux initiaux. Il pourrait alors s’égarer dans ce qui a pu être dénoncé comme une forme de dressage de l’ego à s’adapter à son environnement social, lors de la retentissante (et toujours en cours) dispute entre les écoles purement analytiques et les tenants des thérapies comportementales à l’américaine. Abdel Majid Safouane sait où il se tient dans cette discussion. Il estime que la psychanalyse doit s’adapter aux terrains non européens.
Pour cela, certaines choses vont sans doute devoir être remises en question. Ainsi, pour que «l’Homme étalon» cesse d’être un bourgeois européen du 19e siècle, la pensée psychanalytique devrait s’ouvrir à ses marges. Ces «marges» peuvent s’entendre de différentes façons. D’abord, comme les territoires extra-européens, généralement anciennement colonisés. Ensuite, ce sont les marges conceptuelles des autres disciplines, qu’elles soient littéraires ou de sciences sociales. Une forme de «psychanalyse mineure», en paraphrasant Gilles Deleuze, pourrait intégrer ces marges et ses contrées, comme des «littératures mineures» ont enrichi l’ensemble de l’espace littéraire. Enfin, les marges, ce sont aussi les minorités marginalisées,
précisément.
Dire le Maroc avec Mernissi
C’est ici que le travail de Fatema Mernissi est reconnu comme une démarche originale et parallèle, en ce que la sociologue marocaine a œuvré à remettre en question des concepts clés, notamment sur la condition féminine. Par ce moyen, elle ne faisait que rendre la tradition islamique à elle-même, en en retirant les poussières accumulées de la coutume patriarcale. Toujours est-il que les mondes de la psychologie sont en grande discussion. Qu’ils soient plus vivants que dogmatiques ne pourra que rassurer le grand public. Que des voix marocaines s’élèvent enfin dans ce très vaste débat est aussi heureux que parfaitement normal.
Ce qui est anormal, c’est peut-être le temps qu’il aura fallu pour que ces voix portent, parmi les autres. L’on ne peut que féliciter la BNRM qui tient remarquablement son rôle de plateforme pour l’expression des idées, variées, qui participent tant à la vie intellectuelle du Royaume qu’à celle au-delà de ses frontières.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO