Culture

Cinéma : “Louise Violet”, une institutrice dans la France rurale du XIXe siècle

Sorti en salle cette semaine, ce drame historique d’Éric Besnard, avec Alexandra Lamy dans le rôle-titre, retrace les débuts de la troisième République française, mais dans ses campagnes. Un aspect rarement mis en avant.

Dans une société où les inégalités dictent les destins, «Louise Violet», réalisé par Éric Besnard, retrace l’histoire d’une femme qui refuse de se soumettre. Porté par Alexandra Lamy, ce drame historique nous plonge dans le combat d’une ouvrière prête à défier l’ordre établi. Un récit vibrant d’émotions contenues — XIXe siècle oblige — et d’engagement, qui résonne avec les luttes contemporaines pour l’égalité et la dignité.

Les retentissements de la Commune
Le personnage de Louise Violet est totalement fictif, même s’il est évident qu’Éric Besnard l’a construit en agrégeant un certain nombre des réalités sociales de la jeune IIIe République française, en 1889. Le trait majeur de Louise Violet est sa qualité d’ancienne communarde.

La Commune de Paris fut un moment insurrectionnel bref, un peu plus de deux mois en 1870-1871, mais important. Refusant la défaite de la France de Napoléon III devant l’Allemagne, autant que la toute nouvelle République, elle fut réprimée dans le sang par les républicains. La Commune a été remarquée, en son temps, pour le nombre d’ouvriers qui ont participé à cette tentative d’autogestion de la ville, ainsi que par la présence sur les barricades de beaucoup de femmes. Une légende urbaine tenace inscrit sa répression sur la skyline parisienne : la basilique du Sacré-Cœur, désormais haut lieu touristique de Montmartre, aurait été construite en l’honneur du retour à l’ordre.

En réalité, sa construction avait été décidée quelques mois avant ces évènements sanglants, mais le chantier ayant duré jusqu’en 1923, chacun a pu y associer les significations qui lui convenaient. Cependant, le long métrage se garde bien d’explorer les rapports entre l’Église française et l’État. Ils étaient très conflictuels en 1889, la loi de 1905 et le concile Vatican II de 1967 n’étant pas encore advenus.

Le brave prêtre du village, épatant par son ouverture d’esprit devant l’institutrice révolutionnaire, paraît donc un peu anachronique. S’il est malgré tout plausible, historiquement et individuellement, après tout il y a toujours eu des êtres intelligents partout, il ne traduit en rien les rapports de l’époque entre les institutions, et avec les communards. Le réalisateur, par cette impasse, trahit peut-être une volonté de traiter les temps présents à travers cette fable sur la naissance de la modernité française.

Galerie de portraits très humains
Le point de départ du récit est assez simple. En 1889, à la suite des Lois Jules Ferry, Louise Violet, ancienne communarde, est nommée institutrice dans un village de la campagne française, ce qui déplaît aux enfants et surtout aux parents. Recevant son affectation, Louise Violet s’entend dire par son supérieur hiérarchique : «La République a été bien généreuse, mademoiselle. Il est temps de payer votre dette».

Tourné au pied du Puy du Sancy, dans le Puy-de-Dôme, et dans le hameau de Chalençon, dans la Haute-Loire, le film offre à la caméra une série de paysages bucoliques au temps des moissons, gelés sous un âpre manteau de neige en hiver. Les cadrages sont soignés. Les compositions, d’un parfait classicisme, frisent la carte postale, voire le trop fameux «c’était mieux avant». Une impression assez vite désamorcée par les péripéties du récit. Car la dureté de la vie paysanne fait des femmes et des hommes endurcis, très économes de leurs sentiments. Le mariage y est évidemment — comme dans toute société rurale — d’abord une association patrimoniale (ou d’influence). Et la terre, elle, parfois peut mentir. Ou faire mentir les plus innocents.

À son arrivée, l’institutrice est logée dans une étable, y dormant à même la paille. Si les enfants ne viennent pas en classe, c’est parce qu’ils travaillent aux champs. Comme dans toute société rurale, là encore. Bien sûr, c’est en apprivoisant les parents que Louise Violet pourra enfin commencer à donner ses cours. L’occasion pour le cinéaste de tracer une galerie de portraits très humains du «petit peuple» de cette époque. L’un des enfants voudrait devenir compagnon ébéniste, pour voyager en faisant le tour de France, comme le pratiquent encore ces artisans.

«Tu crois que tu travailles le bois, mais c’est toi que tu travailles», explique le maire au petit garçon. «Il y a plusieurs chemins» pour s’éduquer, tente d’expliquer l’édile à l’institutrice.

Le tableau noir plutôt que les bombes
On se doute, sans divulgâcher, que le passé de Louise Violet va la rattraper, ce qui ne l’aidera guère à faire sa place dans ce milieu très conservateur. À moins que ?… À la différence de ses anciens camarades, elle a «choisi le tableau noir plutôt que les bombes», se défendra-t-elle. Et sous leurs apparences pour le moins rudes et rustiques, bien des villageois se révèleront porteurs d’un grand cœur. La jeunesse, quant à elle, n’osant guère rêver, se débat dans les limites d’un cadre social extrêmement contraignant que vient secouer la nouvelle loi de Jules Ferry sur l’éducation obligatoire pour tous.

Pour autant, à près de 150 ans de distance, l’on sait que si ce moule social a porté bien des fruits, cela ne s’est pas fait sans violences. Sans parler de la reproduction des inégalités les plus fortes, dénoncées par Pierre Bourdieu au second tiers du XXe siècle, la quasi-éradication des langues régionales, par exemple, est presque absente du long métrage. Leur existence n’est qu’incidemment rappelée par une ou deux répliques sans conséquence.

C’était pourtant une grande affaire, à l’époque. Enfin, aujourd’hui, la menace qui pèse sur l’institution scolaire, dans l’Hexagone comme ailleurs, est certainement beaucoup plus dans les nouvelles politiques étatiques prônant son abandon, que chez ses élèves les plus défavorisés. Mais cela n’était pas même concevable, évidemment, au moment de l’avènement du régime républicain. Ces quelques réserves, pour autant, n’empêchent pas d’admirer le jeu magnifique d’Alexandra Lamy campant une Louise Violet très droite dans sa robe boutonnée sur ses cicatrices intérieures et son goût de la liberté, ainsi que la puissante interprétation du personnage du maire par un Gregory Gadebois tout en subtilité bourrue, un oxymore en soi.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



Heure légale : GMT+1, Le fuseau de la discorde


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page