Casablanca : trois artistes invitent à visiter leurs jardins secrets
L’exposition consacrée au textile contemporain sera inaugurée sans vernissage, en raison des restrictions liées à la pandémie. Le Jardin en Soi est à découvrir du 7 octobre au 14 novembre à la Loft Art Gallery à Casablanca. Amina Agueznay, Joana Choumali et Ghizlane Sahli sont à l’honneur.
La Loft Art Gallery entame la nouvelle saison avec une exposition consacrée au textile contemporain dans ses espaces de Casablanca. Une version digitale sera relayée simultanément sur les sites de la foire 1-54 et de leur partenaire Christie’s. Une première dans la valorisation de la création textile contemporaine au Maroc et en Afrique, puisque l’exposition sera entièrement dédiée à ce support déployé sous une pluralité de formes et permettant de surcroît la monumentalité. Alors que les contraintes sanitaires restent fortes et nous obligent à rester à l’intérieur de nos frontières, la galerie souhaite offrir au monde la possibilité de visiter virtuellement l’exposition qui présentera les œuvres des artistes marocaines Amina Agueznay et Ghizlane Sahli et de l’ivoirienne Joana Choumali. Initiée avant le confinement, l’idée d’une exposition sur l’art textile a évolué au fil du temps pour prendre une forme plus intimiste, suscitée par les expériences de ces dernières semaines. Sous le titre «Le Jardin en Soi», cette exposition explore la part secrète de tout un chacun en même temps que notre rapport physique inévitable et quotidien au textile, comme la «couche qui nous sépare du monde extérieur». Crochetée, tissée ou brodée, de soie ou de laine, la matérialité des œuvres de l’exposition invite à explorer notre rapport à l’intime et au temps, dans un lien omniprésent avec la nature. Qu’il s’agisse du jardin intérieur, du jardin d’Éden, du jardin de pierreries de l’Épopée de Gilgamesh, il apparaît ici, selon la théorie de Michel Foucault comme une hétérotrophie, un espace d’intimité, un espace à part qui configure ou reconfigure le monde à sa manière. Ainsi, le jardin devient métaphore. À travers ses formes douces et ses courbes aux couleurs chamarrées, il vient se lover avec poésie à l’intérieur du white cube de la galerie. Il incarne un espace bienveillant invitant à une (re)connection avec la joie et la puissance. Le Jardin en Soi devient le lieu d’imaginaires variés qui alimentent une définition plurielle et complexe d’un mouvement nourri des urgences du monde contemporain.
Intimité avec la nature
L’exposition revient sur les jardins secrets d’artistes en toute intimité. C’est sans doute le rapport à l’intime qui a mené Joana Choumali à explorer la fibre. Connue d’abord pour ses séries photographiques, son recours au textile est né d’un besoin de passer davantage de temps avec ses œuvres. En cultivant la pratique de la broderie, qui lui a été transmise par sa grand-mère, Joana Choumali accède à un état introspectif qu’elle fait le choix d’extérioriser dans des compositions multi-strates. À travers le troisième opus de sa série Albah’ian, ce sont les recoins de son subconscient qu’elle livre au public. Le rapport à l’espace est, quant à lui, omniprésent dans la pratique d’Amina Agueznay. Depuis plus de quinze ans, l’artiste questionne l’étanchéité des disciplines régnant entre design/artisanat, architecture et arts plastiques. Au gré de ses expériences de création, monumentales ou plus mesurées (bijou), elle parcourt et accompagne la professionnalisation de la diversité des savoir-faire séculaires qui font la richesse culturelle du Maroc. Elle propose ici un parcours métaphorique de son jardin intérieur avec l’installation A Garden inside. Ghizlane Sahli, qui emprunte aux techniques de broderie et tissage traditionnel le lexique et la matière de ses œuvres (sabra, aakad, etc.), opère différemment dans le changement d’échelle. Telle une observation au microscope, l’artiste donne à voir, dans une interprétation textile, les unités modulaires qu’elle assimile aux cellules des organismes vivants. Avec son propre vocabulaire plastique, Ghizlane recourt à ces unités pour proposer des compositions sculpturales questionnant notre rapport à l’infiniment grand et à l’infiniment petit dans un aller-retour constant. La métamorphose de la matière est son moteur et la métaphore son langage. À travers des représentations du corps et de la nature, les formes créées par Ghizlane suscitent l’émotion par la force esthétique qui s’en dégage.
Jihane Bougrine / Les Inspirations Éco