Berlinale 2019. “Grâce à Dieu” ou la messe pour les victimes de pédophilie

Le premier film français en compétition n’est pas passé inaperçu ce vendredi soir. François Ozon présente son secret «Grâce à Dieu» à la 69e édition de la Berlinale afin de mettre en avant le combat de l’association «La Parole libérée», des anciens scouts victimes d’attouchements par un prêtre dans les années 90, à Lyon, et qui ne veulent plus se taire. Un film qui libère la parole, porté par un trio d’acteurs époustouflants.
Cela avait défrayé la chronique il y a quelques années en France. Depuis Lyon, une des villes de France les plus proches de l’Église, d’anciennes victimes de pédophilie dénonce le diocèse de la ville et le Père Preynat, qui aurait profité de l’innocence de scouts dans les années 90. C’est comme cela, que «La parole libérée», association d’aide aux anciens du groupe scout Saint Luc victimes de pédophilie, est née. C’est à cette association, que François Ozon a souhaité donner la parole. Dans un film d’une justesse rare, le réalisateur français met en avant l’histoire de trois membres de l’association, sans se répéter, en prenant le rythme de chaque personnage et en donnant l’émotion juste à chaque fois. Un film dont le titre fait référence à une phrase choc que le Cardinal Barbarin, porte-parole du diocèse qui avait certifié ne pas être au courant des faits, avait prononcée à Lourdes en 2016 : «La majorité des faits grâce à Dieu sont prescrits» en référence à tous les témoignages qui avaient à l’époque plus de 20 ans.
Des voix prescrites libérées…
Un film de plus de 2 heures, dont on ne sent aucune longueur, un film linéaire justifié puisque le combat est un effet domino. Il est lancé par Alexandre, sans presque s’en douter. Ce père de famille rangé qui a tout de l’homme et du citoyen parfait décide de dénoncer le Père Preynat, après avoir découvert par hasard que le prêtre, qui a abusé de lui aux scouts, officie toujours auprès d’enfants. S’en suit un échange de lettres avec le diocèse qui ne mène nulle part. «J’avais déjà travaillé avec François par deux fois. J’attendais qu’il me rappelle parce que j’aime sa démarche, sa façon de travailler et sa bienveillance avec les acteurs. Ce film est différent de ce qu’il a fait, on sentait une implication différente. J’ai aimé comme il a structuré son histoire, ce passage de relais sans jamais être redondant dans la façon de raconter les histoires de chacun», confie Melvil Poupard, qui campe un Alexandre avec beaucoup de justesse et d’émotion contenue. «En ce qui me concerne, je ne voulais pas rencontrer Alexandre avant de le jouer, je ne voulais pas le limiter, faire un biopic de cette personne. J’ai fait confiance au scénario et aux recherches de François. Il y avait beaucoup d’émotion sur le tournage. Je n’ai pas eu de mal à avoir de l’empathie pour ce personnage et à lui prêter mes émotions. Je ne vais pas dire que c’était agréable à jouer parce que cela remue des émotions profondes en soi», continue la même source dont le personnage, après avoir compris que l’affaire sera étouffée par l’Église, décide de porter plainte. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’un policier va faire le lien avec une plainte, celle des parents de François. Parents impliqués contrairement à ceux d’Alexandre qui lui lanceront un «tu as toujours été doué pour remuer la merde», en guise d’encouragement, ils décident de convaincre leur fils de continuer le combat. François, campé par l’incroyable Denis Menochet, va passer de la victime passive au meneur sans pitié puisque, pour lui, le meilleur moyen de mener à bien cette guerre, c’est de la porter aux médias. Père de deux filles, heureux en ménage, soutenu par une femme aimante et des parents dont le sentiment de culpabilité ne les a jamais quitté, François sera celui qui aura le courage de témoigner à visage découvert en plein journal télévisé.
Swann Arlaud , exceptionnel…
Ce passage de relais mènera au troisième personnage, plus écorché vif, à celui qui est en charge de l’émotion du film alors qu’elle est palpable chez tous les personnages, à Emanuel, interprété par un des acteurs les plus brillants de sa génération : Swann Arlaud. Celui dont la fragilité apparente, même transparente touche forcément, joue un Emmanuel qui n’a pas réussi sa vie comme «les autres». Perdu dans sa vie professionnelle et personnelle, il est coincé dans une relation toxique avec une femme qui «aime le voir souffrir» et qui vit entre chez-lui et chez sa mère, femme au foyer meurtrie par la catastrophe qu’a subie son fils enfant. Une des premières scènes, où l’on voit Swann Arlaud, fait froid dans le dos, il découvre les articles sur les autres victimes comme lui et plonge dans une crise d’épilepsie qui laisse les spectateurs sans voix. «Je n’ai jamais tourné avec François et j’étais assez flatté qu’il veuille me rencontrer. Quand il m’a dit qu’il faisait un film sur la pédophilie, je me suis d’abord un peu inquiété avant de lire le scénario. Une fois qu’il m’a raconté le film, j’ai compris qu’il voulait que je joue le 3e personnage, celui qui est le plus en charge de la souffrance», confie l’acteur presque timidement en conférence de presse avant d’ajouter : «Je trouvais intéressant de prendre en charge cette blessure invisible, cette virilité blessée à l’inverse. On n’a pas besoin d’aller chercher bien loin pour trouver une émotion pareille. Il suffit de dire les mots. Les mots rencontrent un chemin qui mènent directement aux émotions». Un film à fleur de peau, qui libère la parole et qui montre les conséquences d’un acte aussi ignoble sur des vies, des avenirs. Des familles brisées qui essaient de surmonter l’horreur. François Ozon signe un film juste et humain. Il ne juge pas même s’il est difficile de ne pas juger. Un film porté par des acteurs incroyables qui donne toute la dimension émotionnelle à «Grâce à Dieu», un film qui ne sortira pas de la compétition bredouille…