Trésor : le paradoxe de la dette
Le Maroc emprunte plus, mais son ratio d’endettement recule. Un paradoxe qui masque des besoins de financement croissants et une dépendance aux marchés. Pour le Trésor, la gestion de la dette demeure sous contrôle au prix d’un arbitrage constant entre coût et soutenabilité.
Derrière la dette publique, se joue souvent une partie de poker dont la mise repose sur l’espoir qu’une croissance future paiera les engagements contractés d’aujourd’hui. En 2023, le Trésor a dû composer avec une équation délicate entre tensions inflationnistes, remontée des taux et besoins de financement croissants. L’endettement s’est accéléré, mais sa trajectoire demeure sous contrôle. C’est en substance ce que révèle le dernier rapport de la Direction du Trésor et des Finances extérieures.
En effet, la dette consolidée des administrations publiques a atteint 964,7 milliards de dirhams (MMDH), en hausse de 9,6% sur un an. Pourtant, rapporté au PIB, l’endettement recule légèrement, passant de 66,2% à 65,9%. Une dynamique en apparence rassurante, mais qui masque une réalité plus contrastée. L’essentiel de cette progression provient de la dette du Trésor, qui s’alourdit de 64,9 MMDH, tandis que ses dépôts s’enrichissent de 13,7 milliards.
L’État aurait donc multiplié les levées sur le marché domestique, avec des émissions atteignant 255,2 MMDH, soit une envolée de 98% en l’espace d’une année. Le recours à l’endettement ne répond pas uniquement à un besoin accru de financement ; il permet aussi d’échelonner les remboursements afin d’éviter que trop de dettes n’arrivent en même temps à échéance, ce qui risquerait de mettre les finances publiques sous pression.
À l’international, les financements ont progressé pour atteindre 45,5 MMDH, notamment grâce à une émission obligataire de 2,5 milliards de dollars et au soutien, en léger repli, des bailleurs multilatéraux.
Cette dynamique a néanmoins un coût. Les taux d’intérêt, tirés vers le haut par le relèvement du taux directeur de Bank Al-Maghrib de 150 points de base (pbs), ont connu une forte tension avant de se stabiliser. La hausse s’est révélée plus marquée sur les maturités longues, atteignant 146 pbs, contre 44 pbs pour des échéances plus courtes. Une évolution qui reflète un contexte mondial toujours volatil, marqué par l’inflation et l’incertitude monétaire.
Fardeau de la dette
Pour limiter son exposition aux fluctuations des grandes devises, l’État a privilégié la dette intérieure, laquelle représente désormais 75,1% de l’encours du Trésor, avec une prédominance des taux fixes. Seuls 27,7% de la dette globale sont libellés en devises, ce qui limite la vulnérabilité aux variations des monnaies fortes. Cette prudence ne suffit toutefois pas à compenser l’augmentation du coût du service de la dette.
En 2023, le Trésor a procédé à des rachats et échanges de bons pour 74,3 MMDH, afin d’étaler les échéances de remboursement. Mais cette politique a un coût, puisque la charge d’amortissement et d’intérêts s’est envolée de 65,9%, atteignant 277,4 milliards. Un rythme intenable à long terme, selon plusieurs experts.
«À court et moyen terme, la situation n’est pas soutenable. Puisque, pour y parvenir, le Maroc doit enregistrer un taux de croissance annuel d’au moins 8%. Je vous rappelle qu’actuellement, la dette grignote près de 4% de la croissance économique», confie Oussama Ouassini, expert en intelligence économique.
«L’Exécutif ne peut plus se permettre le luxe de recourir à l’endettement pour financer des politiques purement sociales, aussi nécessaires soient-elles. Sans un recentrage sur des investissements à fort rendement, le risque est d’alourdir encore davantage le fardeau de la dette», poursuit-il.
La trésorerie du Compte courant du Trésor a, paradoxalement, bondi en 2023, atteignant en moyenne 33,3 MMDH de liquidités disponibles au quotidien, contre seulement 10,3 milliards un an plus tôt. Les placements sur le marché interbancaire ont explosé de 172%, culminant à 1.842,3 MMDH et générant 680,5 millions de dirhams de recettes, contre à peine 94,2 millions en 2022. Une situation qui peut sembler contradictoire dans un contexte où le déficit structurel du système bancaire dépasse les –83,2 MMDH. En réalité, il s’agit d’une mesure de prudence : l’État constitue un matelas de sécurité pour faire face à ses prochaines échéances, dans un contexte d’instabilité financière mondiale.
Autant dire que l’équation budgétaire repose sur un équilibre de plus en plus précaire. Avec un coût moyen de la dette en hausse à 3,33%, le Trésor jongle entre anticipation et nécessité de stabiliser son financement. Si le léger repli du ratio dette/PIB laisse entrevoir une trajectoire soutenable, la pression des taux et l’ampleur des besoins de financement en limitent, pour le coup, la portée.
La gestion active de la trésorerie marque un tournant en 2023
En 2023, la Direction du Trésor et des Finances extérieures (DTFE) a franchi un cap dans la gestion active de la trésorerie publique. Malgré un déficit de liquidité bancaire creusé à –83,2 MMDH en moyenne hebdomadaire, le Compte courant du Trésor a vu ses disponibilités quotidiennes bondir à 33,3 MMDH, contre 10,3 milliards un an plus tôt.
Cette dynamique s’est traduite par la réalisation de 449 opérations de placement – contre 405 en 2022 –, portant le volume cumulé à un niveau record de 1.842,3 MMDH, en hausse de 172%. Cette stratégie, visant à constituer un matelas de liquidités pour anticiper d’importantes échéances de dette, a généré un produit net de 680,5 MDH, contre 94,2 millions en 2022. Près de 92% de ces gains proviennent des placements, un sommet inédit depuis le lancement, en 2010, des premières initiatives de gestion active de la trésorerie.
Depuis cette date, ces opérations ont rapporté 2,5 MMDH, illustrant la montée en puissance d’un dispositif clé pour amortir les aléas d’un environnement financier de plus en plus volatil.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO