Politique monétaire : Bank Al-Maghrib trop rigoureuse ?
Bank Al-Maghrib a annoncé plusieurs mesures pour assouplir davantage sa politique monétaire, mais certains analystes et économistes de la place estiment que cela reste insuffisant. La plus analyse a été livré par le professeur et économiste Najib Akesbi, qui plaide pour une politique monétaire active et non conventionnelle. Décryptage.
Bon nombre d’analystes et d’économistes ne se sont pas réjouis des récentes mesures de politique monétaire énoncées par Bank Al-Maghrib. Une politique trop «rigoureuse» pour certains voire très «peu accommodante» pour d’autres.
Pour l’économiste Najib Akesbi, la politique monétaire se doit d’être active et non conventionnelle surtout en ces temps de crise. Si, pour lui, une réforme fiscale audacieuse et une meilleure gestion de l’endettement sont nécessaires mais pas suffisantes pour relancer l’économie nationale, l’économiste plaide par contre pour une politique monétaire beaucoup plus dynamique et moins rigoureuse. «L’endettement public est indispensable en cette période…Notre système fiscal est inefficace et est incapable de couvrir les dépenses actuelles», a-t-il estimé dans une analyse détaillée postée en vidéo sur les réseaux sociaux. S’inspirant des décisions prises par les banques centrales étrangères, notamment la Banque centrale européenne (BCE), Akesbi estime que Bank Al-Maghrib devrait lâcher un peu du lest. Il se prononce même en faveur d’un assouplissement monétaire en créant par exemple de la monnaie pour acheter des titres de dettes sur le marché secondaire. Le mot est lâché, «l’activation de la planche à billets est nécessaire afin d’injecter un maximum de liquidités dans l’économie nationale», remarque-t-il. Une disposition qu’avait totalement écartée Abdellatif Jouahri à l’issue du dernier Conseil de Bank Al-Mahgrib. Pour Jouahri, si cette procédure semble salutaire pour des pays comme la Chine ou les États-Unis, elle ne l’est certainement pas pour le Maroc. Le wali de la Banque centrale reproche d’ailleurs aux hommes politiques et autres économistes penchant pour cette solution de ne pas en avoir mesuré les conséquences néfastes sur l’économie, sur le long terme. Extrêmement coûteuse, elle aurait un impact négatif sur la rémunération de l’épargne, les réserves de change ou encore sur le compte courant. L’excès de création monétaire pourrait également entraîner de sérieux dérapages inflationnistes. «Le Maroc a mis près d’un quart de siècle pour sortir la tête de l’eau… Il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs», avait souligné Jouahri.
D’ailleurs, Akesbi n’a pas manqué de critiquer cette position évoquant lui aussi la crise de changes vécue par le Maroc des années 80 entraînant l’application d’un programme d’ajustement structurel engagé sous le contrôle du Fonds monétaire international (FMI). C’est cela que souhaite
éviter la Banque centrale.
«Nous dépendons toujours du FMI… Nous vivons toujours sous perfusion. Preuve en est la nouvelle ligne de précaution et de liquidité», estime Akesbi.
Il avance d’ailleurs plusieurs pistes qu’il considère nécessaire pour relancer l’économie marocaine. «Il faudrait réussir à trouver un mécanisme pour convertir la dette en investissement», défend-t-il, ce qui devrait permettre une meilleure revalorisation de la productivité nationale et, par ricochet, la demande intérieure. À cela, s’ajoute une réévaluation des échanges commerciaux.
«Il faut repenser notre façon de commercer avec l’extérieur», plaide-t-il, soulignant que le Maroc est face à un risque d’assèchement des réserves de devises, même s’il dispose d’assez de moyens pour l’instant pour importer l’essentiel de ses besoins. «Nous devons donc limiter nos importations», recommande Akesbi.
L’idée en somme n’est pas de verrouiller l’économie mais de réorienter le flux d’investissements vers la production locale et les branches qui pourront assurer au royaume une certaine souveraineté face aux pays partenaires et ainsi détendre ses réserves en devises. Pour rappel, en matière de politique monétaire, le Conseil de la banque Centrale avait décidé, lors de sa dernière réunion, de réduire le taux directeur de 2% à 1,5% et de libérer intégralement le compte de réserves au profit des banques.
Dans le même sens, Bank Al-Maghrib a mis en place des dispositions spécifiques pour fournir un appui au refinancement des banques participatives et aux associations de microcrédits. Ces nouvelles décisions, conjuguées aux différentes mesures d’assouplissement déjà mises en œuvre, notamment l’élargissement du collatéral éligible à ses opérations de refinancement, le renforcement de ses programmes non conventionnels ainsi que l’allègement temporaire des règles prudentielles, devraient contribuer avec celles prises par le Comité de veille économique (CVE), à atténuer l’impact de la pandémie et à soutenir la relance de l’économie et de l’emploi. Au regard de la conjoncture particulière qui prévaut actuellement, la Banque centrale assure vouloir veiller, «plus que par le passé», à la transmission de ses décisions à l’économie réelle. Elle a également tenu à affiner le cadre de ses opérations de refinancement pour favoriser davantage les banques qui déploient le plus d’efforts dans ce sens.
Aida Lo
Les Inspirations ÉCO