Les notaires craignent pour leur responsabilité professionnelle
La phase précontractuelle du contrat Mourabaha est encore floue juridiquement, d’autant plus que les contrats-types ne sont pas encore finalisés.
«Il y a lieu de souligner le rôle primordial des notaires en tant que garants de la conformité des opérations de financement, qui se chargent des étapes de l’opération de financement Mourabaha, de la mise en vente du bien à la réalisation du contrat de vente et la signature de l’acte notarié». Dans son allocution devant les représentants de la banque Umnia, le président du Conseil national des notaires, Abdellatif Yagou, a tenu à rappeler l’importance de la profession notariale dans le processus de financement dit «islamique». Cependant, selon les spécialistes, l’environnement financier et réglementaire n’est pas encore achevé. Juste après avoir reçu la convention-type de comptes à vue et le modèle des contrats Mourabaha, deux banques islamiques ont annoncé le démarrage effectif de leurs activités, ces deux documents ayant été approuvés par le Comité sharia pour la finance participative (CSFP) du Conseil supérieur des oulémas (CSO) et transmis par Bank Al-Maghrib aux banques via leur groupement professionnel. Mais ces contrats-types, selon les juristes de la place, «ne permettront pas aux banques participatives d’activer les opérations de base, soit l’ouverture de comptes à vue, les opérations de dépôts et de retraits, essentiellement». Ainsi ces banques participatives «ne peuvent rien vendre», et le seul produit qu’elles peuvent proposer à leurs clients est la Mourabaha.
L’écosystème de la finance participative sera complété prochainement par les produits Takaful. «Le notaire spécialiste et intervenant majeur en matière de droit immobilier ne peut que s’impliquer dans ce nouveau mode de financement en matière d’acquisition immobilière. Néanmoins, comme tout nouveau produit, la phase de démarrage du contrat de Mourabaha connaît quelques difficultés, compte tenu de la confrontation avec la pratique et les textes législatifs existants, de ce nouveau contrat de financement immobilier», nous explique de son côté Me Fayçal Benjelloune, notaire. Ainsi, le caractère embryonnaire de la pratique juridique fait naître une crainte chez la profession quant à la conformité de la pratique. La première concerne la phase précontractuelle, liée à la promesse unilatérale de vente, un acte que la banque ne peut en principe contracter puisqu’elle n’a pas encore acquis le bien en question. Selon les praticiens, il y a nécessité d’une disposition conventionnelle par laquelle une personne s’engage envers une autre à rapporter le consentement d’un tiers à la constitution d’un rapport de droit déterminé. Une clause de «porte-fort» qui fait encore défaut au mécanisme. Le problème se pose également pour la provision de garantie faite par la banque pour se prémunir de tout désistement, «contraire à la loi sur la protection du consommateur», s’insurgent les notaires, car ne respectant pas le délai de rétractation.
Une crainte justifiée
Puisqu’il a le pouvoir de transformer un simple acte sous seing privé en acte authentique du seul fait de sa signature et de son sceau, le notaire est obligatoirement engagé dès lors qu’il participe à la rédaction d’un acte. De même, il a l’itérative obligation de s’assurer que les parties ont saisi l’intégralité des engagements qu’elles prennent, des conséquences qui vont en découler. À défaut, il engage, là encore, sa responsabilité. L’omission d’une formalité essentielle constitue bien évidemment une faute engageant la responsabilité du notaire. Il sera également mis en cause s’il omet de vérifier, par exemple, les origines d’un immeuble dont il rédige l’acte de vente, la situation hypothécaire du bien, la présence d’éventuelles servitudes… Bref, une vérification «a minima» du bien en vente. Au-delà de ces formalités, il a le redoutable devoir de conseil qui lui impose d’informer ses clients sur l’intégralité des risques de l’opération. Et même s’il n’a pas l’obligation de réaliser certaines formalités, il a le devoir d’en informer ses clients, et de leur indiquer comment faire. Sachant qu’il incombe au notaire d’apporter la charge de la preuve de son absence de faute que ladite preuve est très souvent difficile à établir, le notaire est de plus en plus souvent confronté à l’impossible justification de la réalité de ses prestations.