Industrie automobile : 34 milliards de dinars algériens pour rien !
À quel point la vision de la classe politique dirigeante peut-elle impacter la trajectoire d’un pays ? L’exemple du voisin algérien est éloquent à ce sujet. Pour les dirigeants marocains, les réformes, l’emploi et la croissance économique basée sur un nouveau modèle économique de transformation et d’industrialisation semblent être le chemin à suivre pour réduire inégalités et fractures sociales, mais aussi enregistrer un réel progrès social et technologique.
Le procès d’ex-dirigeants politiques et patrons d’entreprises de montage de voitures en Algérie fait des vagues. Au fil des audiences, l’industrie marocaine est citée dans de troublantes révélations des mis en cause. Appelé à la barre, mercredi 4 novembre, pour répondre des «avantages fiscaux» accordés à la famille Tahkout, chose qui a causé la perte de 34 milliards de dinars (224.564.016 euros) du Budget de l’État, l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal a justifié à deux reprises le cadeau offert aux industriels par la volonté de «détruire un État voisin avec le montage des voitures», allusion faite au Maroc. Objectif atteint ? Les chiffres enregistrés par le secteur marocain suffisent à répondre à cette question.
Du côté des officiels, l’instance avec laquelle le gouvernement algérien souhaitait contrer l’essor de l’automobile au Maroc ne déstabilise pas les orientations stratégiques nationales. Interpellé sur la teneur des aveux de Sellal, Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, n’y prête aucune valeur. «Nous nous occupons de notre propre économie… et c’est déjà très prenant», réagit-il.
En effet, les efforts déployés par l’État pour l’émergence d’une industrie automobile forte et compétitive ont été intenses ces dernières années. Aujourd’hui, il s’avère que les choix opérés par le royaume en ont fait un marché stratégique pour les équipementiers automobiles mondiaux.
«Le Maroc est le premier constructeur automobile de la région MENA et le deuxième du continent africain. C’est un point stratégique pour notre secteur, tant par sa localisation que par son engagement dans un plan d’accélération industrielle, développant un écosystème automobile où plusieurs fournisseurs espagnols se sont déjà implantés», faisait valoir Sonia López, présidente de la Commission du commerce extérieur de l’Association espagnole des fournisseurs automobiles (SERNAUTO), lors d’un webinaire organisé récemment.
L’écosystème automobile marocain compte aujourd’hui plus de 300 acteurs nationaux et internationaux dont la production dépasse les 450.000 unités/an, pour plus de 80 MMDH de chiffres d’affaires à fin 2019. À l’horizon 2023, la capacité de production annuelle prévue tournera autour de 700.000 unités/an.
Selon un récent rapport de l’agence Fitch Ratings, «le Maroc a obtenu le résultat le plus élevé en termes de croissance de la production automobile, soit 83,9 points sur 100».
L’exemple du succès de Renault Maroc a certainement incité les dirigeants algériens à parier sur le développement d’une industrie locale, remplaçant au passage les importations par une production nationale. Le hic est que cette industrie s’est développée dans le but de monter des automobiles en kits, sans véritable intégration. Il s’agit des fameux Kits CKD, pour Completely Knocked Down «produits non assemblés» et SKD pour Semi Knocked Down, «produits assemblés partiellement». Ces kits sont importés avec des droits de douane plus faibles que les véhicules finis. Seulement, la construction Made in Algeria n’a pas décollé. Malgré les implantations des constructeurs Renault, Daimler et Hyundai en 2017, la production locale peine à atteindre 40.000 unités. Idem avec l’arrivée d’autres marques dont Volkswagen et Kia, qui ne permettent pas à la production locale de dépasser les 100.000 unités. En effet, le pays n’a pas su développer un écosystème autour des constructeurs implantés. Au Maroc, les deux constructeurs automobiles Renault et PSA ont tissé autour d’eux un réseau de sous-traitants et fournisseurs de pièces (câblage, amortisseurs, jantes, systèmes de transmission…), ce qui tire vers le haut le taux d’intégration. Au niveau de l’usine Renault à Tanger, le taux d’intégration dépasse les 50%. Pour ce qui est de l’unité PSA à Kénitra, le taux d’intégration tourne autour de 60%.
Pour Abdelghani Youmni, économiste et professeur de gestion publique, mais aussi consultant en évaluation des politiques publiques et intelligence économique, l’on peut diversement interpréter les propos de l’ancien chef de gouvernement algérien. Cependant, elles convergent toutes vers «la myopie des dirigeants algériens» en matière de progrès et de développement de ce vaste pays, deux fois plus grand que le Maroc, quatre fois moins dense et beaucoup plus riche en matières premières. Fin 2019, l’Algérie a été classée à la 159e place dans le Doing Business alors que le Maroc pointait à la 53e place.
«Nous pensons que face au choix d’une intelligence économique marocaine d’émergence, de résilience et d’attractivité des chaînes de valeurs industrielles s’oppose le choix algérien idéologique caduc de la destruction et des coups bas, afin de malmener le leadership de son voisin de l’Est et du Sud. Le but étant de militer pour déstabiliser et mener une guerre en sourdine contre le Maroc, et même parfois à visage découvert, pour le harceler en permanence dans son inconditionnelle intégrité territoriale», soutient Youmni.
Et d’ajouter que l’Algérie n’a jamais accepté, pour des raisons idéologiques, de se réformer, de procéder à l’ajustement structurel de son économie, à l’indispensable libéralisation financière afin de crédibiliser sa monnaie, de moderniser son système bancaire et d’assainir son système fiscal, puis de sortir des bulles inflationnistes à répétition.
Par ailleurs, la volonté du Maroc a toujours été plus forte que les crises, le royaume ayant fait le choix de l’économie libérale à laquelle ont été injectées des doses de progrès social, c’est un modèle proche de nos voisins sud-européens. Le royaume est aussi un partenaire privilégié de l’Union européenne, ses réformes sont en phase avec son statut avancé. Ce n’est pas le cas de l’Algérie, dont l’économie repose sur la rente des hydrocarbures et la création de la valeur ajoutée sur la seule consommation des ménages contre des importations subventionnées. Rappelons aussi que l’Algérie refuse toujours d’intégrer l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’accélérer les négociations avec l’Union européenne sur la zone de libre-échange alors que le Maroc est membre de cette organisation et du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) depuis 1987 et 1995.
Modeste Kouame / Les Inspirations Éco