Impayés bancaires : le marché des créances en souffrance fin prêt
Annoncée comme imminente, la création d’un marché dédié aux créances en souffrance vise à mieux contenir ces actifs toxiques, dont l’encours global culmine à 94,8 milliards de dirhams à fin 2023. Ce niveau d’exposition pèse sur la qualité des actifs bancaires et limite la capacité des banques à financer l’économie.
Le Maroc s’apprête à franchir un cap décisif avec l’instauration prochaine d’un marché secondaire des créances en souffrance. Depuis septembre, lors d’un point de presse, le gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, en avait esquissé les contours, précisant que le projet atteignait sa phase ultime, et qu’il était «prêt à être soumis au chef du gouvernement pour son inscription dans le circuit d’adoption». Un chantier structurant, fruit de trois années d’efforts concertés entre les différents acteurs, selon le gouverneur de la Banque centrale.
Un encours de près de 95 MMDH
Cette dynamique s’inscrit dans un contexte marqué par une détérioration continue des créances en souffrance qui pèsent lourd sur le paysage bancaire.
Selon le rapport de Bank Al-Maghrib sur la stabilité financière, leur encours a atteint 94,8 milliards de dirhams en 2023, en hausse par rapport aux 89 milliards enregistrés en 2022. Ces créances, qui représentent 8,7% de l’encours total des crédits bancaires, traduisent une fragilité persistante du tissu économique, notamment chez les ménages et les entreprises privées. Les entreprises non financières privées affichent un ratio de créances en souffrance de 12,9%, tandis que celui des ménages s’élève à 10,3%.
Ce phénomène, attribué en partie aux répercussions prolongées de la crise sanitaire et aux tensions inflationnistes, affecte la qualité du crédit et freine les capacités des banques à financer l’économie réelle. Cette situation découle principalement de la contraction des crédits accordés aux entreprises non financières privées, lesquelles concentrent une part importante des créances en souffrance.
Sous l’effet combiné de la baisse des prix des matières premières et d’un désendettement progressif post-pandémique, la dynamique de refinancement s’est affaiblie, accentuant la pression sur les bilans bancaires. Les ménages ne sont pas en reste. Le ralentissement des crédits à la consommation et à l’habitat, deux secteurs essentiels pour les particuliers, reflète une demande en berne. Par ailleurs, leur capacité de remboursement demeure affaiblie par une inflation persistante, bien qu’elle s’affiche en net repli.
«Bad bank»
En cela, la mise en place d’un marché secondaire dédié à ces créances pourrait constituer une solution structurelle. En complément, certaines voix plaident en faveur de la création d’une banque de défaisance, communément appelée «Bad bank», pour mieux contenir ces actifs. Cette entité permettrait d’isoler les actifs compromis afin d’assainir les bilans bancaires.
D’ailleurs, dès 2019, Bank Al-Maghrib avait initié des discussions sur la faisabilité d’un tel dispositif. L’objectif est double : renforcer la stabilité financière tout en optimisant le recouvrement des créances douteuses en s’appuyant sur une gestion spécialisée. Ceci dit, sa mise en place demeure complexe, tant qu’elle nécessite une gouvernance rigoureuse, un financement adapté et une valorisation précise des actifs transférés. Si elle venait à se concrétiser, une telle mesure pourrait agir en complément du marché secondaire des créances, en renforçant le dispositif global de gestion des impayés.
En attendant, la création d’un marché secondaire pour les actifs compromis est perçue comme un levier stratégique pour alléger les bilans des banques, améliorer leur rentabilité et renforcer leur capacité à financer le tissu économique. Consciente des enjeux, Bank Al-Maghrib a renforcé son arsenal pour encadrer efficacement la gestion des créances douteuses. Cet outil s’inscrit dans une série de mesures adoptées par la Banque centrale afin de garantir une gestion rigoureuse des risques.
Parmi eux figure par exemple l’intégration de scénarios de choc dans les stress tests, prenant en compte les fluctuations des taux d’intérêt ou les impacts climatiques. Une démarche proactive qui illustre la volonté de BAM d’anticiper les vulnérabilités systémiques et d’adopter des outils adaptés aux défis émergents. Et, si les ratios de solvabilité et de liquidité des banques marocaines restent largement au-dessus des seuils réglementaires, avec un ratio moyen de solvabilité de 15,5 % sur base sociale, les créances douteuses demeurent une épine dans le pied du secteur bancaire. Leur résolution passera par un cadre institutionnel renforcé et une dynamique économique capable de restaurer la confiance et de relancer le financement de l’économie réelle.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO