«Il faut que cela devienne obligatoire de communiquer sur le risque climat»
Vous avez été désignée Ambassadrice pour les négociations climatiques, lors de la COP21, pour parachever l’accord conclu à Paris en décembre 2015. Comment se sont déroulés les préparatifs ?
Vous savez, réduire les émissions à effet de serre et pousser les parties prenantes à aller vers des systèmes plus adaptés au changement climatique ne pouvait pas dépendre seulement des gouvernements. Les changements de perceptions du problème ainsi que des solutions devaient se faire de manière globale. La démarche adoptée, hormis cette prise de conscience, a permis de créer une interaction positive entre ces différentes parties prenantes. Elle a généré à la fois une émulation positive et une autoconviction. En économie, on appelle cela les anticipations rationnelles. Du coup, le fait qu’autant d’entreprises globales et autant de villes expriment leur volonté d’agir et comment le faire, encourageait les gouvernements à être plus ambitieux et plus sérieux.
Quel était le rôle du gouvernement ?
Nous ne pouvons pas nous contenter d’une décision qui n’implique que les gouvernements, sachant que les négociations se font au niveau des ministères de l’Environnement avec le peu d’influence qu’ils ont sur l’ensemble de leurs gouvernements. Il fallait donc générer des prises de conscience et des décisions de façon horizontale, impliquant l’ensemble des membres des gouvernements. C’est ce qui s’est passé à Paris. Il y a eu vraiment un phénomène d’emballement positif alors que ce n’était pas gagné d’avance. Deux choses, en effet, étaient très incertaines. D’une part, tout le monde avait peur d’un échec même un mois avant la COP21. D’autre part, beaucoup d’acteurs, notamment les villes, les régions et les entreprises pensaient que cela ne marcherait pas et qu’ils ne comptaient pas là-dessus. Autrement dit, on pensait qu’on n’avait pas besoin d’un accord. Il y avait à la fois un manque d’appétit pour un accord de la part des acteurs non gouvernementaux qui n’y croyaient plus et la peur du gouvernement qu’on n’aura pas plus, tout en se disant qu’il faut faire en sorte d’avoir un minimum pour être sûr d’y arriver. Ce contexte n’était pas bon. Et cela été tout un travail pour changer l’histoire.
Croyez-vous que ce sera la même chose pour la COP22 ?
Je suis persuadée que pour la COP22, c’est la même chose. D’ailleurs, j’ai l’impression que le gouvernement et les acteurs marocains pensent tous maintenant de la sorte. J’ai entendu des déclarations de différents responsables disant que la COP de Marrakech est une COP où il y a autant d’acteurs non gouvernementaux que de responsables gouvernementaux.
Qu’en est-il de la question du financement ?
La finance a été un sujet complètement mineur et surtout traité uniquement sous l’angle de l’aide au développement. Aujourd’hui ça a complètement changé de nature. Le fait qu’on ait eu cet article (article 6 de l’Accord de Paris, ndlr) qui souligne la nécessité de réorienter la finance, a marqué un tournant. C’était évidemment une surprise mais en même temps, nous étions préparés puisque beaucoup de discussions avaient été menées dans ce sens. En fait, tout comme il fallait avoir une énergie propre ou une agriculture qui doit changer de méthode, il fallait que la finance se réinvente.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la COP22 ?
Je pense que cette dynamique horizontale doit être maintenue. Certes, ce n’est pas facile parce que les différentes parties prenantes n’avancent pas à la même vitesse – c’est quand même des lieux de décision très fragmentés et très différents – et c’est pour cela que de la COP22, j’attends peut-être deux choses. D’une part qu’on assigne très clairement au gouvernement la responsabilité de faire l’assemblage, puisque les changements s’opèrent dans chaque pays. D’ailleurs, le Maroc est bien placé pour y contribuer amplement de par sa qualité de pays en développement disposant d’un cadre politique public solide et clair. L’idée est que les entreprises prennent des initiatives, mais s’assurent que les gouvernements les soutiennent. Le soutien des gouvernements étant là, les entreprises s’interrogent désormais au sujet des questions de financement. Ma seconde attente est justement qu’au niveau des finances, de nouveaux instruments financiers soient développés, de nouvelles régulations mises en place et de nouveaux engagements pris. Il faut aussi créer une habitude, la reddition des comptes et que la démarche de cette reddition soit précisée.
Dans quelle échéance peut-on voir la finance pleinement impliquée ?
Je pense que cela se fera par étapes, puisque ce chantier est un peu fragmenté, puis il y a la question de l’intégration du risque climat dans l’évaluation du risque des portefeuilles et des actifs. On aura un premier rapport des travaux de la Financial stability board cette année, devant éclairer la question. Par ailleurs, même si du côté des gouvernements, ce ne sera pas facile étant donné que dans le G20 il y a quand même beaucoup de pays exportateurs de pétrole, en parallèle les agences de notation l’intégreront. Idéalement, il faut que cela devienne obligatoire de communiquer sur le risque climat. Les agences de notation fourniront l’effort en demandant des informations de toute façon. De plus, hormis le risque climat, il faudrait que nous arrivions à cette standardisation des obligations vertes. Il existe aujourd’hui des chartes, mais il faut développer un référentiel plus précis.
Vous envisagez de lancer deux initiatives au cours de la COP22…
Il y a deux initiatives sur lesquelles je veux insister. L’une concerne ce partenariat autour des contributions nationales, ce qu’on appelle les NDC partnership, et qui sera lancée le 15 novembre à l’initiative de plusieurs pays, dont particulièrement la coopération allemande. La seconde initiative, dont le lancement est prévu le 17 novembre en début d’après-midi, explique de quelle manière les pays agiront pour se décarboner progressivement. 16 grandes villes se sont déjà engagées, mais la plupart des villes vont s’engager définitivement en décembre prochain, ce qui nous permettra de communiquer un message au Congrès des villes prévu en décembre à Marrakech. De même, plus de 2.500 entreprises sont d’accord et, concernant les pays, nous travaillons actuellement sur la liste les concernant.