Finance climatique : comment concilier développement et transition écologique ?
Le financement des projets climatiques, remis sur la table lors de la dernière prise de parole publique d’Abdellatif Jouahri, fait face à un dilemme complexe : concilier les impératifs du développement avec ceux du climat.
Le verdissement de l’économie exige, en théorie, des pollueurs d’adopter des modes de consommation responsables tout en réduisant au maximum leur empreinte carbone. Mais la mise en œuvre pratique dépend avant tout – et vu l’état d’avancement du secteur – de la capacité à canaliser des investissements. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’une économie verte exige des mécanismes de financement qui lui sont propres.
Lors de sa dernière sortie médiatique, le wali de Bank Al-Maghrib a soulevé un point critique qui gangrène les rouages de la machine climatique. «Vous me demandez si le volume de financement prévu du côté du secteur privé pourra être assumé… Vu la situation actuelle, il y a des points d’interrogation pour atteindre les objectifs fixés», a fait savoir Abdellatif Jouahri.
Déséquilibre flagrant
En effet, l’état des lieux brossé par la stratégie nationale du financement climat fait état d’un important déséquilibre dans l’allocation des ressources financières destinées à la lutte contre le changement climatique. Selon une récente étude (intitulée “Stratégie de développement de la Finance Climat à l’horizon 2030”) émise conjointement par les acteurs du marché financier (ministère de tutelle, Bank Al-Maghrib, ACAPS, AMMC…), l’analyse des flux de financement climatique au Maroc entre 2011 et 2019 révèle que les fonds proviennent majoritairement de sources publiques, tandis que la contribution du secteur privé ne représente que 25 à 30%. Cette proportion reste bien en deçà des niveaux observés dans d’autres pays de la région MENA et des économies comparables, où le financement privé approche les 50%. Ce faible ratio s’expliquerait selon un certain nombre d’experts par la différence entre les horizons de placement des projets à connotation climatique et les impératifs économiques à court terme.
«Le développement durable se projette sur des horizons moyen-long terme, contrairement à l’économie qui exige un effort d’investissement porté sur le court terme», observe Omar Benaicha, CEO Afrique & Moyen-Orient de Certi-Trust Sustainability Solutions.
Le gouverneur de BAM admet en ce sens qu’il faudrait soulever régulièrement cette problématique pour éviter un décalage entre les priorités économiques immédiates et les enjeux climatiques. Toujours est-il que, dans le contexte actuel, une large part des engagements financiers mondiaux demeure inaccessibles aux économies en développement.
«De plus en plus de pays en voie de développement ont émis des réserves, craignant que les sommes allouées au climat soient détournées vers le développement», fait valoir Abdellatif Jouahri lors du dernier point de presse tenue par la Banque centrale.
En effet, en 2023, si les fonds dédiés à l’adaptation représentaient moins de 30% des flux financiers climatiques globaux, ce chiffre reste largement inférieur aux besoins des pays en développement comme le Maroc, qui, selon les estimations de l’ONU, nécessitent des financements d’environ 70 milliards de dollars par an pour faire face aux impacts immédiats des phénomènes climatiques extrêmes.
«Ces investissements peuvent très bien profiter au développement à condition que ces projets soient “climate friendly”, comme le financement d’un parc éolien ou d’une centrale solaire», commente Benaicha.
Marché étanche
Le développement de la finance climatique au Maroc reste confronté à des obstacles notables. À ce jour, les émetteurs de green bonds sont essentiellement des acteurs institutionnels. Cette étanchéité du marché constitue un frein majeur pour le développement d’une finance climatique inclusive.
À l’exception d’initiatives comme celle d’Attijariwafa Bank, qui vient de lancer le Fonds africain d’efficacité énergétique (FAEE), en partenariat avec Econoler, la plupart des banques commerciales se contentent de distribuer des dispositifs mis en place par des institutions supranationales.
Parmi ces mécanismes figure, par exemple, la ligne de crédit Morsef d’un appui technique de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). À l’unanimité, les observateurs s’accordent à dire que les projets climatiques gagneraient à être repackagés pour attirer davantage d’investisseurs potentiels. Cela implique la mise en place d’un modèle économique rentable, appuyé par une législation adaptée.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO