Entretien. Dr Youness Ahallal : “Le robot ne fait rien de lui-même, tout est dirigé par le chirurgien”

Dr Youness Ahallal
Expert en chirurgie robotique
Longtemps perçue comme futuriste ou réservée à une certaine élite, la chirurgie robotique s’ancre progressivement dans les pratiques médicales au Maroc. Dr Youness Ahallal, pionnier de cette pratique, en analyse les promesses et les défis.
La chirurgie robotique est-elle facilement acceptée par les patients ou existe-t-il des blocages psychologiques, voire des difficultés à convaincre certains d’entre eux ?
La plupart des patients qui viennent vers nous sont déjà convaincus par la technologie, soit par leurs propres recherches, soit parce qu’ils sont adressés par des confrères qui croient en ses résultats. Mais il reste essentiel de communiquer largement pour dissiper les éventuelles appréhensions. Les patients doivent comprendre que le robot ne fait rien de lui-même, que tout est dirigé par le chirurgien, et que les résultats sont scientifiquement démontrés depuis une vingtaine d’années à l’échelle internationale.
Y a-t-il une différence notable entre le coût supporté par le patient pour une chirurgie robotique et celui d’une chirurgie conventionnelle ?
Oui, la différence est notable. Le tarif global d’une chirurgie robotique est environ le double de celui d’une intervention conventionnelle. Cela s’explique principalement par les instruments utilisés, qui sont des consommables spécifiques avec une durée de vie limitée (chaque pince robotisée est utilisable seulement dix fois avant d’être jetée).
Ce coût des consommables pèse lourdement dans la tarification finale, qui s’élève en moyenne à environ 70.000 dirhams, contre environ la moitié pour une intervention classique. L’assurance maladie, elle, rembourse actuellement environ 20.000 dirhams, laissant un reste à charge important pour le patient.
Ne faudrait-il pas plutôt sensibiliser prioritairement les médecins, afin qu’ils puissent prescrire ces interventions robotisées, plutôt que de cibler directement les patients, qui ne sont pas nécessairement en mesure d’évaluer eux-mêmes l’indication médicale ?
La communication et la sensibilisation se font effectivement à deux niveaux. D’abord, auprès de la communauté médicale, où j’interviens personnellement lors de nombreux congrès nationaux – cette année, j’ai participé à une vingtaine de rencontres pour présenter cette technologie à mes confrères urologues. J’ai été agréablement surpris par leur intérêt croissant pour la chirurgie robotique.
Bien sûr, toute nouveauté peut susciter initialement des résistances, mais cela n’a pas été un frein majeur au Maroc. Le deuxième niveau concerne effectivement le grand public, d’où l’importance cruciale des médias pour diffuser l’information au plus grand nombre.
Enfin, nous organisons régulièrement des workshops de formation intensive destinés spécifiquement aux chirurgiens marocains. Par exemple, en urologie, plus d’une centaine d’urologues sur les quatre cents que compte le pays ont déjà bénéficié d’une formation approfondie sur simulateur, durant deux jours complets d’immersion au bloc opératoire.
Justement, comment s’effectue concrètement la formation à cette technologie pour les chirurgiens ? Existe-t-il un diplôme officiel ou un cadre réglementaire précis pour pratiquer la chirurgie robotique au Maroc ?
La formation se déroule en plusieurs étapes très précises. D’abord, le chirurgien commence par une formation d’environ cent heures sur simulateur. Ensuite, il doit être accompagné durant environ deux ans par un expert qualifié, un «mentor» ou «proctor», afin d’acquérir l’expertise nécessaire.
Actuellement, il n’existe pas encore de diplôme officiel ni d’encadrement réglementaire spécifique de cette formation au Maroc. Néanmoins, au sein de notre groupe, nous exerçons un contrôle interne rigoureux. Je peux garantir que chez Oncorad, aucun médecin n’est autorisé à utiliser la chirurgie robotique s’il n’a pas été formé, évalué et validé selon les standards les plus exigeants.
Vous avez réalisé en novembre une opération de téléchirurgie entre Casablanca et Shanghai. Quelle solution avez-vous privilégiée pour garantir une connectivité optimale sur une distance aussi importante ?
Pour la téléchirurgie réalisée entre Casablanca et Shanghai, la connectivité était assurée par une fibre spécialisée, dédiée spécifiquement à la chirurgie robotique. L’enjeu principal était la latence, autrement dit le délai entre l’ordre donné par le chirurgien à Shanghai et l’exécution de celui-ci à Casablanca, sur une distance de 12.000 km.
Nous avons dû tester plusieurs routes réseau pour garantir la latence la plus faible possible. Cette fibre spécialisée a été mise à disposition par notre partenaire opérateur téléphonique, qui nous a accompagnés dans cette aventure pionnière.
En dehors du coût purement financier, quels sont les autres bénéfices importants de la chirurgie robotique pour les patients ?
Les bénéfices de la chirurgie robotique ne se limitent pas uniquement aux aspects économiques directs. Il existe des bénéfices majeurs sur le plan qualitatif et humain. Par exemple, pour certaines chirurgies comme celle de la thyroïde, elle permet une absence totale de cicatrices visibles, ce qui évite le traumatisme psychologique d’une cicatrice au niveau du cou.
Pour les cancers de la prostate, elle préserve la continence urinaire et les fonctions sexuelles, garantissant ainsi une qualité de vie postopératoire optimale. Cette préservation de l’intégrité physique et fonctionnelle est particulièrement importante dans notre contexte culturel et sociétal. Elle contribue à améliorer considérablement l’expérience globale des patients.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO