Éco-Business

Entretien. Dr Saïd Guemra : “Noor III ne représente pas plus de 1,36% de notre production électrique”

Dr Saïd Guemra
Expert en management de l’énergie

L’arrêt prolongé de Noor III interroge sur la viabilité de la technologie solaire à concentration (CSP) et ses implications pour le mix énergétique du Maroc. Au-delà de l’impact limité sur l’approvisionnement en électricité, cet épisode révèle les fragilités d’un modèle technologique confronté à la baisse continue des coûts du photovoltaïque et de l’éolien. Le Dr Saïd Guemra, expert en management de l’énergie, analyse les conséquences de cette mise à l’arrêt et les enseignements à en tirer.

Quelles répercussions l’arrêt prolongé de Noor III a-t-il entraînées ?

Je crois que cette question doit être abordée de manière plus générale, pour ses implications à l’échelle nationale.  L’arrêt d’une centrale électrique, est toujours une source d’inquiétude, on se souvient de l’arrêt  de nos deux centrales à gaz, Dieu merci, nous avons réseau très résilient, qui a pu faire face à la perte de plus de 800 MW, dans ce cas de figure, il s’agit de 150 MW qui est la puissance de Noor3, et qui reste une énergie intermittente.  En 2023, tout le solaire a contribué pour 5.1% de notre électricité nationale, et 1.6% de notre mix énergétique, durant la même année.  Toute proportion gardée, Noor 3 représenterait 1.36% de notre production électrique nationale.  On ne dispose pas des productions électriques par centrale solaire, mais d’après ces projections, Noor 3 produiraient dans les environs de 570 GWh/an estimée, soit un facteur de charge de 43%.  L’ensemble de ces données montrent que l’absence du réseau de Noor 3 n’impacte en aucun cas les performances du réseau, du point de vue de la satisfaction de la demande, et de la flexibilité du réseau national.

En terme de bilan pertes et profits, la perte globale due à l’arrêt de la centrale en Mars 2024, a été de 509.5 MDh, Masen étant à 25% du projet, assume donc une perte de 127.37 MDh.  L’électricité est vendue à Masen par Acwa au prix de 1.42 Dh/kWh, et revendue à l’ONEE à 0.85 Dh/kWh, soit une subvention de 0.57 Dh/kWh.  Si la production annuelle de Noor 3 est bien de 570 GWh/an, ce qui signifie un cout évité pour Masen de 325 MDh, soit un gain de 197.63 MDh/année d’arrêt de la centrale, ou encore 1.3 MDh/MW a l’arrêt. Pour toute les quatre centrales 560 MW, cela represente 728 MDh, ce qui n’est pas loin du montant du déficit contenu dans le rapport du CESE, qui le situe à 800 MDh/an. Au final, nous sommes dans la situation paradoxale, moins de production solaire, moins de déficit pour Masen.  La seule fois, ou le Maroc gagne, c’est quand le projet est à l’arrêt, ou moins de soleil !

Quid des implications stratégiques pour l’approvisionnement en électricité ?

Noor 3 ne represente pas plus de 1.36% de notre production électrique.  Sur le plan de la sécurité électrique, et suite à l’arrêt de cette centrale, aucune réduction de charge, ou délestages partiel n’ont été effectuée par ONEE, qui sait gérer des situations plus graves, l’arrêt de nos deux centrales à gaz.  Si on admet que Noor 3 injecte 50% de son électricité dans le réseau, et 50% pour le stockage, soit 75 MW, il faut savoir que notre pointe électrique nationale est de de 7 310 MW (enregistrée le 11 Aout 2023).  La contribution de Noor 3 à la pointe nationale n’est donc que de 1%, pour ne pas dire rien.  Selon cette hypothèse de 50% de stockage, Les station Noor 1/2/3 avec stockage, totalisent une puissance de 510 MW, si l’ensemble de ces stations stockent 50% de leur production, elles vont intervenir pour 255 MW, ce qui représente 3.5% de la pointe nationale, très peu significatif !  L’argument de stockage pour faire face à la pointe électrique, est vraiment très faible. Que ce soit au niveau énergie, ou au niveau puissance, aucun problème technique ne se pose pour l’approvisionnement du pays en électricité.  Même si la contribution de Noor 3 est très faible, il faut noter qu’elle représente 1.36%, c’est toujours une perte au niveau de la part des renouvelables dans notre mix électrique, qui s’est situé à 22.7%, qui doit être rattrapé d’une manière ou d’une autre.

Quel avenir envisagez-vous pour la technologie solaire à concentration (CSP) ?

La centrale américaine Ivanpah, qui est la plus grande centrale CSP au monde, avec 392 MW, similaire a NOOR 3, va fermer dans les mois qui suivent, en raison d’une multitude de pannes, et la non atteinte du niveau de production attendu, et bien évidement un manque de rentabilité.  Je pense qu’il faut tirer les bonnes conclusions de l’échec de cette technologie, qui n’a été retenu par aucun développeur de l’hydrogène, ils sont tous sur un mix éolien-photovoltaïque.  Je pense pas que cette technologie puisse rivaliser avec les couts du kWh proposés récemment par les grands projets photovoltaïques et éoliens, dans les 0.13 Dh/kWh, et moins, et ce n’est pas au Maroc de chercher à améliorer cette technologie pour la rendre rentable.  Nous avons d’autres préoccupations pour développer des technologies plus viables.

Les technologies solaires à tour avec stockage sont-elles viables à long terme ?

L’exemple du projet américain, et celui de Noor 3, doivent nous permettre de conclure quant à l’avenir de cette technologie.  Quelque part il faut un partage des pertes du Maroc pour ce projet. Le déficit selon le CESE est de 800 MDh/an du projet solaire Noor dans sa globalité.  Nous devons impérativement revenir aux technologies prouvées : Eolien et photovoltaïque, on ne peut pas nous plus, se permettre des solutions à haut risque, comme l’éolien en mer.  Nous avons un plan de transition énergétique, qui a eu des retards, et le ministère de la transition énergétique tente de rattraper le retard cumulé durant 15 ans, avec plus de 1000 MW à installer par an, pour qu’on puisse naviguer sur la bonne trajectoire à 2050, soit 50% d’énergie renouvelable intermittentes, et donc on ne peut plus se permettre des technologies qui vont retarder l’atteinte de cet objectif.  La question se pose également au niveau de la production de l’hydrogène marocain, ou les investissements sont bien plus importants que les renouvelables, on n’a plus le droit à l’erreur.

Cette technologie a-t-elle encore un avenir au Maroc ?

On voit bien que cette technologie est loin d’être viable, je ne pense que des ajustements techniques vont permettre de rendre cette technologie exceptionnelle.  Si le stockage pose problème, ces centrales peuvent fonctionner sans stockage, nous aurons la même quantité de kWh, qui sera injectée en totalité le jour.  J’ai bien lu dans un document que le Maroc avait un programme solaire de 2000 MW, majoritairement CSP, je crois qu’avec 510 MW de CSP, nous avons évité le pire.

Quels enseignements tirer de cette expérience ?

C’est comme si vous achetez une voiture pour quelques années, avec un défaut de fabrication, et que vous espériez parcourir un certain nombre de km qui n’a jamais été atteint.  Il faut faire avec, pour ce qui reste du contrat.  N’oublions pas que nous avons des sites éoliens des meilleurs au monde, avec plus de 62% de facteur de charge, il en est de même pour le photovoltaïque, ces deux énergies sont complémentaires dans le sud du Maroc, et qu’il va falloir mettre toutes nos énergies pour exploiter ces sites, et remonter la part des renouvelables dans notre électricité : c’est objectif primordial.  Nous devons industrialiser ces deux énergies, avec les projets hydrogène, nous avons un grand espoir de réaliser l’intégration industrielle des turbines, des électrolyseurs, avec une importante baisse des couts du kWh, qui seront des énergies renouvelables pour le réseau marocain, mais aussi des énergies de production de l’hydrogène à des couts très compétitifs : Offre Hydrogène du Maroc qui fait de l’intégration industrielle, une grand priorité.  Les projets hydrogène du Maroc s’inscrivent parfaitement dans la logique d’une course qui peut aboutir à 1 $/Kg hydrogène bien avant 2050.  C’est l’enseignement qu’on peut tirer de notre expérience avec le CSP, nous devons impérativement revenir à la maitrise des technologies qui vont nous permettre d’avancer plus vite dans notre transition énergétique.

A.I / Les Inspirations ÉCO



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