Commerce extérieur : Peut-on tourner le dos à l’Union européenne ?
La querelle diplomatique entre le Maroc et l’Union européenne fait désormais planer le spectre d’un revirement du Maroc au profit d’autres partenaires. Toutefois, la dépendance à la zone euro demeure une réalité difficile à dépasser.
La récente querelle entre le Maroc et l’Union européenne a donné des sueurs froides à beaucoup de monde. Le Maroc, irrité par les attaques incessantes concernant son intégrité territoriale exprimées dans le cadre des institutions européennes, avait manifesté son ras-le-bol, menaçant même de se détourner de l’Europe pour explorer d’autres partenariats. Une option qui inquiète certains pays européens. C’est notamment le cas de l’Espagne, dont la récente visite du ministre des Affaires étrangères, Alfonso Dastis, fait écho aux récentes déclarations de Aziz Akhannouch concernant l’application de l’accord agricole.
Par ailleurs, le commissaire européen à l’Environnement, aux affaires maritimes et à la pêche, Karmenu Vella, qui a pris part à la cérémonie d’ouverture de la 4e édition du salon Halieutis a déclaré que «le Maroc et l’Union européenne (UE) œuvreront pour le renforcement de leur partenariat en vue de construire des relations plus fructueuses et plus intenses à l’avenir». Au cours de sa visite, le commissaire européen a tenu des entretiens avec les responsables marocains, notamment au sujet de l’accord de pêche. «Nous avons décidé d’augmenter la fréquence de nos rencontres et de voir le développement et le partenariat pour l’avenir», a déclaré Akhannouch à la presse, à l’issue de ses entretiens avec le commissaire européen.
Dépendance
Le Maroc dispose-t-il vraiment d’une marge de manœuvre face à un géant commercial comme l’Union européenne? Du point de vue des échanges extérieurs, le commerce avec l’Europe est d’une importance capitale pour le royaume. En 2015, le commerce avec l’UE représentait environ 25% du total des échanges commerciaux du Maroc. La France et l’Espagne sont d’ailleurs les deux principaux fournisseurs et clients du royaume. Le commerce avec ces deux pays avoisinait respectivement 7% et 6% du total des échanges. Bien plus, la dépendance économique du Maroc vis-à-vis de l’UE est telle que dès que les pays du vieux continent sont touchés par la crise, les implications sur la balance commerciale, les IDE, le PIB et autres indicateurs macroéconomiques se font automatiquement ressentir. La crise de la zone euro avait d’ailleurs eu un sérieux impact sur le secteur du tourisme, les transferts des MRE ainsi que plusieurs industries telles que l’automobile et le textile, qui avaient enregistré une certaine baisse rythme.
En 2015, les exportations à destination de l’Union européenne ont atteint 128 MMDH, tandis que les importations se sont établies à 173 MMDH. Il est à noter que cette dépendance s’est particulièrement développée ces dernières années, le Maroc important de plus en plus d’intrants, de demi-produits et de biens d’équipements de l’Union européenne. Le commerce reste également très concentré sur l’Espagne et la France avec respectivement 49 MMDH et 44 MMDH d’exportations. L’import est évalué à 54 MMDH et 46 MMDH (voir tableaux). Malgré l’effort de diversification mené depuis le lancement de la stratégie Maroc Export Plus en 2009, l’ouverture sur de nouvelles destinations européennes comme le Portugal, l’Allemagne ou encore la Belgique et la Hollande n’a que modérément réussi, ce qui souligne une nouvelle fois le caractère structurel de la dépendance à l’Union européenne. Même constat du côté des investissements directs étrangers. Bien que le royaume ait quelque peu diversifié ses partenaires à ce niveau avec notamment une coopération plus étroite avec les pays du Golfe, il n’en demeure pas moins que les pays européens demeurent les principaux pourvoyeurs d’IDE pour le Maroc avec pas moins de 14,5 milliards d’euros en 2014, soit 5,5% des investissements européens destinés à l’Afrique.
Jeu à somme nulle ?
D’un autre côté, l’intérêt européen au Maroc est surtout d’ordre stratégique. D’abord, parce que le Maroc est l’un des rares pays à avoir réussi à intégrer la politique européenne de voisinage et à la développer jusqu’à obtenir le fameux statut avancé. Au regard de l’UE, l’exemple marocain est la preuve de la réussite d’une stratégie mobilisée depuis le début des années 90. Son échec porterait un coup dur au processus, surtout au moment où l’Union européenne planche sur le chantier stratégique d’un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). Par ailleurs, le royaume joue un rôle déterminant dans la coopération sécuritaire et dans le cadre de la politique migratoire européenne. Plusieurs projets d’accords entre le Maroc et l’UE sont sur la table, notamment des accords sur la gestion des crises, le partage d’information, le partenariat sur la mobilité et la facilitation des visas et le volet culturel et scientifique. La diplomatie des deux parties s’est donc particulièrement activée suite au communiqué du département de l’Agriculture en ce début février, faisant planer le doute sur l’avenir du partenariat. Dès le lendemain de cette déclaration, le ministre délégué aux affaires étrangères, Nasser Bourita, s’était déplacé à Bruxelles pour s’entretenir avec la Haute représentante pour les affaires étrangères Federica Mogherini. Une position conjointe avait d’ailleurs été exprimée à l’issue de cette réunion, placée sous le signe de l’apaisement.
L’Union européenne a d’ailleurs tenu à préciser que sa position à l’égard de la question du Sahara n’avait pas changé et qu’elle ne ménagera aucun effort pour renforcer le partenariat avec le Maroc. Quelques jours plus tard, c’est l’ambassadeur du Maroc auprès de l’UE, Ahmed Reda Chami, qui s’est exprimé au sein du Parlement européen, soulignant que des chantiers importants sont ouverts dans le cadre du partenariat construit de longue date entre le Maroc et l’Union européenne. Plus récemment, c’est le ministre de l’Agriculture marocain en personne qui a joué la carte de l’apaisement, affirmant que les deux parties regardaient désormais vers l’avenir. Le ministre a souligné l’importance d’une «compréhension des positions des uns et des autres pour qu’on puisse construire des relations plus fructueuses et plus intenses encore à l’avenir».