Agences de voyage : Faut-il retirer le projet de loi Haddad ?
Ecarté à la dernière minute de l’agenda parlementaire, le projet de loi régissant les agences de voyages suscite une vive colère au sein de la profession. Une réunion d’urgence devrait avoir lieu hier au ministère de tutelle, en présence de la FNAVM déjà fragilisée par des querelles intestines.
Les prochains jours seront décisifs pour les agences de voyage du Maroc. La Commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants devrait entamer ce mardi 20 juin le débat sur le projet de loi régissant la profession. Ce projet avait été déposé au Parlement début février dernier par l’ex-ministre du Tourisme, Lahcen Haddad, après avoir obtenu le feu vert du Conseil de gouvernement en septembre 2016. Mais le projet a soudainement disparu de l’agenda de ladite commission. Car entre-temps, les professionnels sont montés au créneau pour alerter le gouvernement et sensibiliser le nouveau ministre de tutelle, Mohamed Sajid, ainsi que la secrétaire d’État chargée du tourisme, Lamia Boutaleb. Les agents de voyage sont unanimes à dénoncer les nouvelles dispositions de ce projet de réglementation, même si le climat au sein de leur instance représentative à l’échelle nationale est sérieusement envenimé. En effet, l’actuel président de la Fédération nationale des agences de voyage du Maroc (FNAVM), Mohamed Amal Karioun, est vivement contesté par ses pairs. «La profession est aujourd’hui affaiblie sous l’effet de la fracture que connait la fédération», déplore Othman Chérif Alami, président de l’Association régionale des agences de voyage de Casablanca-Settat. Cette dernière, composée de 250 agents, s’est mobilisée au cours de ce mois de ramadan et a organisé un conseil d’administration «spécial» auquel a pris part un responsable du ministère de tutelle en tant qu’observateur. «À l’issue d’un débat très riche, le Conseil d’administration a décidé à l’unanimité de demander au gouvernement de retirer cette loi qui n’est pas du tout adaptée aux enjeux et aux perspectives de notre profession», lance Chérif Alami.
La licence B au cœur des critiques
La priorité étant au maintien de l’intérêt général, querelles associatives mises à part, le président de la FNAVM partage les mêmes préoccupations. Il n’est pas question de laisser passer cette loi qui, rappelle-t-il, « a été élaborée dans la précipitation rien que pour tenter de faire pièce à une proposition de loi similaire déposée en avril 2016 par le groupe USFP de la Chambre des conseillers». Mohamed Amal Karioun s’offusque contre l’approche unilatérale de l’ex-ministre du tourisme, Lahcen Haddad. Avant de disséquer le caractère infondé des 30 articles formant la nouvelle loi, les agents de voyage déplorent d’abord et avant tout l’absence de concertation. Voulant rompre avec la méthode Haddad, la nouvelle équipe ministérielle en charge du tourisme a décidé de se mettre à l’écoute des professionnels. Vendredi 16 juin, la FNAVM a reçu un courrier du département du Tourisme l’invitant à une réunion ce lundi 19 juin vers 14h. Une première prise de contact qui ne peut être que salutaire. Elle aura au moins le mérite d’installer le dialogue jusqu’ici absent au sujet d’une réglementation cruciale censée révolutionner le métier de l’agent de voyage au Maroc. Parmi les principales critiques formulées par les agents de voyage figure celle relative à la mise en place de deux licences sous prétexte de faciliter l’accès à la profession.
D’une part, une licence A attribuée aux agences à la fois productrices et distributrices de voyages, exerçant le métier à titre exclusif. D’autre part, une licence B dédiée aux agences n’exerçant le métier qu’à titre accessoire et qui ne font que distribuer les produits des agences détentrices de la licence A (sans avoir fixé la moindre exigence, ni local ni qualification professionnelle). Les agents de voyages voient dans cette classification, en particulier la licence B, une forme de libéralisation sauvage et dangereuse car, à leurs yeux, elle ouvre la voie à une commercialisation à plus grande échelle des produits touristiques. Bureaux de tabacs, stations de services, papeteries, banques, crémeries, quiconque pourrait vendre « les voyages», ce qui expose le consommateur à un niveau élevé de risque d’arnaque, loin de tout contrôle préétabli, remettant in fine la crédibilité de la profession dans son ensemble. Voilà pourquoi les agents en exercice rejettent formellement l’idée d’adoption de ce projet même si le ministère tient à les rassurer en ayant l’intention de verrouiller les clauses conflictuelles au niveau des décrets d’application. «Nous souhaitons le retrait de cette loi qui reste insuffisante. Nous proposons la mise en place d’un Code du tourisme qui englobe tous les métiers : bazars, hôtels, restaurants, guides, agents de voyage, musées», suggère le président de la FNAVM. Les prochaines semaines diront s’il saura convaincre le ministère de l’opportunité du retrait du projet de Haddad!
Othman Chérif Alami
Président de l’Association régionale des agences de voyage de Casablanca-Settat
Libérer c’est bien. Mais nous voulons que ce soit dans la rigueur, en privilégiant la montée en puissance du conseil au profit du consommateur marocain. Dire que le réseau de distribution est une priorité, cela relève du pléonasme et c’est prématuré d’en parler. Par contre, dans le contexte actuel, une nouvelle loi devrait apporter une fiscalité attractive pour que nous puissions nous exporter et ramener plus de touristes. Les mastodontes du tourisme mondial réalisent près de 75% des réservations auprès des hôteliers au Maroc!»