Accord de pêche : Le Maroc joue sur la séparation des pouvoirs
La reconduction de l’accord anime les débats entre les juristes européens car c’est la première fois que la CJUE se prononce sur un accord conclu par l’UE et plusieurs considèrent qu’elle n’en a pas la compétence. Les professionnels européens de la pêche plaident pour la reconduction.
La guerre en coulisses bat son plein au Luxembourg où siège la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Mardi 27 décembre, la juridiction va en effet rendre un arrêt crucial dans le futur des relations entre le royaume et l’UE. En janvier dernier, l’avocat général Melchior Wathelet avait en effet conclu en janvier dernier que «l’accord de pêche entre le royaume du Maroc et l’Union européenne ne pouvait s’appliquer à la région contestée du Sahara», poussant ainsi les magistrats du siège à adopter son avis. Ainsi au-delà des retombées socio-économiques d’un tel accord, c’est tout le symbolique de souveraineté qui se joue et une bonne partie de la communauté des juristes européens s’interrogent sur la pertinence d’une telle procédure. «L’affaire concerne une question soumisse par un tribunal britannique à la CHUE suite à une plainte d’un groupe de pression soutenu par la Polisario. Il faut noter que c’est le première fois que le tribunal de l’UE est saisi d’une question concernant les accords internationaux de l’UE», explique Jeanne Laperrouze, ancienne conseillère politique au Parlement européen dans une chronique parue dans EUobserver. Elle rappelle par ailleurs que «malgré le vide juridique créé par le statut international de la région, il est injustifiable que la CJUE se substitue au Conseil de sécurité en redéfinissant une situation très complexe». Pour Jean Yves de Cara, professeur émérite à la faculté de droit de Paris Descartes et Science Po Paris, qui s’est prononcé dans une interview publiée sur le site de l’Observatoire d’études géopolitiques (OEG) n’a tout simplement «pas compétence à se prononcer sur la validité d’un accord au regard du droit international. Pire, il va même jusqu’à considérer qu’en demandant à la Cour d’invalider l’accord de pêche, l’avocat général introduit «un facteur de déstabilisation du droit international et des relations internationales» Sur les colonnes du journal espagnol La Razon, Romualdo Bermejo, professeur de droit international à l’université de León a abondé dans le même sens en estimant que, dans ses conclusions, l’avocat général de la CJUE «n’a pas abordé la question avec l’impartialité et la hauteur que requiert sa fonction». L’expert espagnol, qui est revenu dans sa tribune sur l’historique de la question du Sahara et le processus onusien de règlement du conflit, a fait observer que «le plus surprenant dans les conclusions de l’avocat général c’est qu’il a occulté le fait que la question du Sahara est entre les mains de l’Organisation des Nations Unies, seule compétente en la matière».
La realpolitik face aux groupes de pression
Au-delà de la question purement juridique, les arguments en faveur de la reconduction de l’accord sont légion dans les milieux économiques. Réunie la semaine dernière à Dakhla, la Commission mixte Maroc-Union européenne des professionnels de la pêche a, dans un communiqué relayé par les médias espagnols, souligné que l’actuel accord garantit le respect du droit international et des droits de l’homme et a été bénéfique pour les deux parties, notant qu’en plus des bénéfices économiques, son impact est également positif d’un point de vue social et environnemental, sans oublier ses résultats directs sur le développement aussi bien des infrastructures que des activités scientifiques et technologiques visant à garantir la durabilité des ressources halieutiques. Cité par les médias espagnols, le secrétaire général de la Confédération espagnole de la pêche (CEPESCA) et co-président de la commission mixte, Javier Garat, a relevé que cet accord a démontré «son efficacité pour l’exploitation durable des ressources et son importance vitale pour quelque 126 bateaux de pêche européens». «Contrairement à ce que prétendent certains groupes de pression qui servent des intérêts politiques évidents, cet accord est clairement bénéfique pour le développement socio-économique de la population de différentes provinces du Maroc», a-t-il affirmé dans sa déclaration aux médias espagnols. Il est à rappeler que les ministres de l’Agriculture et de la Pêche des 28 États membres de l’Union européenne réunis en Conseil, lundi à Bruxelles, ont donné mandat à la Commission européenne pour négocier un nouvel accord de pêche avec le Maroc. L’accord actuel qui arrivera à expiration le 14 juillet prochain est entré en vigueur en 2014 pour une durée de 4 ans. Il donne à la zone de pêche atlantique du royaume aux navires européens en échange d’une contrepartie financière de 30 millions d’Euros par an financés par l’UE et 10 millions d’Euros comme contribution des armateurs.