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5 questions en suspens

Le ministre de l’Économie et des finances, Mohamed Boussaïd et le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, tiennent conjointement ce jeudi à Rabat un point de presse consacré à la réforme du régime de change. Quatre jours après l’entrée en vigueur de la flexibilité et de la nouvelle bande de fluctuation du dirham, beaucoup d’interrogations restent en suspens. Les autorités monétaires doivent faire preuve de transparence, il y va de l’efficacité et surtout de la crédibilité de la réforme. Voici cinq questions auxquels Boussaïd et Jouahri devront absolument répondre, à commencer par l’énigme à résoudre du report décrété in extremis fin juin 2017.

1-Que s’est-il passé le jeudi 29 juin 2017 ?
Reconnaître ses erreurs est une marque de courage et une preuve d’intelligence. Les deux hommes sont d’abord attendus pour dévoiler les coulisses du report sine die de la réforme du régime de change. Il doit y avoir une raison valable qui justifierait l’annulation in extremis du point de presse conjoint de Jouahri et de Boussaïd, programmé initialement jeudi 29 juin 2017. Boussaïd doit sortir de son silence et dire la vérité, toute la vérité aux Marocains. Fallait-il laisser le wali révéler la date de migration vers le nouveau régime à deux mois du jour J ? Jouahri a-t-il empiété sur les prérogatives du gouvernement en communiquant le planning de la réforme ? Le chef de gouvernement, Saadeddine El Othmani, était-il autorisé à dévoiler l’étendue de la future bande de fluctuation du dirham (5%) lors de l’interview télévisée du samedi 1er juillet ? Puis, que s’est-il passé depuis la fameuse soirée du mercredi 28 juin (la décision du report a été communiquée vers 22h) ? Pourquoi le contact entre le wali de BAM d’un côté et le chef de gouvernement, voire même l’argentier du royaume de l’autre a-t-il été suspendu au moment où les deux parties avaient besoin d’accorder leurs violons et parler le même langage, surtout lors des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, là où l’absence de Boussaïd a été remarquée ? Ou bien s’agit-il juste d’un duel d’ego où chacun veut s’approprier la réforme, comme certains veulent le faire croire ?

2-Quel sera le sort des spéculateurs ?
Lors de son dernier point de presse (mardi 19 décembre 2017), Jouahri a affirmé que le dossier des «spéculations des mois de mai et de juin 2017» n’est pas clos et s’est montré favorable à une présentation ne serait-ce qu’indicative des conclusions de la mission d’inspection diligentée par les services de l’Office des changes, sans avoir à divulguer l’identité des contrevenants. En sa qualité de ministre de tutelle de l’Office des changes, Boussaïd est invité à faire preuve de transparence et à communiquer les résultats de l’enquête. La sincérité et la franchise sont de nature à inspirer confiance à la réforme du régime de change. Quand bien même l’on se cacherait derrière l’alibi procédural selon lequel les résultats des investigations de l’Office dirigé par l’ancien gendarme de la Bourse de Casablanca, Hassan Boulaknadal, seraient frappés par la confidentialité, l’opinion publique nationale et internationale a du mal à oublier cet épisode douloureux, digne du conte «Ali Baba et les 40 voleurs». Faut-il rappeler qu’à l’issue de la réunion trimestrielle du Conseil de BAM, mardi 20 juin 2017, le wali Jouahri avait accusé les banques d’avoir servi à leurs clients une somme conséquente de devises (près de 45 milliards de DH) sous forme d’opérations de couverture à terme contre le risque de change : les opérateurs économiques, avec la complicité des banques, auraient spéculé sur une éventuelle dépréciation de la valeur du dirham à la veille de la réforme dont le démarrage était prévu début juillet. De deux choses l’une, ou bien le wali s’est trompé en accusant à tort les banques d’avoir livré des devises sans commune mesure avec le sous-jacent économique qui justifierait ces opérations, auquel cas le wali doit présenter ses excuses au secteur bancaire. Ou bien il s’agit de mouvements spéculatifs constatés en totale infraction avec la réglementation. En effet, si l’Office des changes décide d’engager une procédure judiciaire, la sanction peut aller jusqu’à atteindre six fois le corps du délit, ce qui pourrait apporter une manne budgétaire non négligeable au Trésor public.

3-Y-a-t-il eu vraiment une étude sur l’impact de la réforme ?
Lors de son passage télévisé sur les ondes d’Al Aoula et 2M, samedi 1er juillet 2017, El Othmani avait justifié le report de la réforme par un besoin d’études complémentaires, notamment pour mieux cerner l’impact de la flexibilité sur le pouvoir d’achat des citoyens. Or depuis cette annonce, de l’avis même de BAM qui se charge des aspects techniques de la réforme, aucune étude n’a été commanditée par le team El Othmani. Il faut dire que la réforme du régime de change est intervenue sans avoir à mobiliser un gros effort analytique de la part des institutions publiques (Direction des prévisions économiques et financières au ministère des Finances, HCP, CESE, etc). En l’absence d’études produites par les organismes officiels, l’on peut se demander d’où le gouvernement a puisé son discours rassurant quant aux impacts probables de la flexibilité sur l’économie. À moins qu’il s’agisse de documents estampillés «confidentiel» gardés à l’abri du commun des mortels.

4-Comment faire baisser les tarifs des instruments de couverture ?
Face à l’élargissement de la bande de fluctuation de la cotation du dirham (de 0,3% à 2,5%), les entreprises exposées aux variations du change, notamment celles actives sur les marchés de l’export et de l’import, seront obligées d’utiliser les instruments de couverture contre le risque de change. «Auparavant, la fixité du dirham contre son panier de devises donnait l’impression erronée de l’absence de risque de change, d’où une sous-utilisation des solutions de couverture contre le risque de change. Cependant, la dépréciation de devises tierces contre le dollar et l’euro (Naira nigériane par exemple) nous rappelle que ce risque de change existe. Désormais, du moment le dirham pourra évoluer plus fortement, cette perception des risques devrait évoluer. Il y aura donc une incitation plus forte à utiliser des instruments de couverture contre le risque de change, parmi lesquels l’assurance-crédit», prévient l’assureur-crédit Euler Hermes dans un communiqué publié mercredi 17 janvier. Sauf que le coût de ces solutions de couverture, commercialisées en majeure partie par les banques, est jugé cher par les opérateurs du commerce extérieur. Au moment où l’on parle d’une éventuelle révision à la hausse des marges sur commissions revenant aux banques, le ministre Boussaïd et le wali Jouahri doivent trouver la réponse idoine à la problématique d’accessibilité des instruments de couverture, en particulier pour les TPE et les PME. Cela dit, la baisse des prix passe inéluctablement par l’introduction du libre jeu de la concurrence entre établissements bancaires. En effet, la pratique dominante à ce jour interdit aux opérateurs de négocier le prix de la couverture auprès de sa banque de choix et les oblige à passer par la banque domiciliatrice de la transaction commerciale. Enfin, sur le terrain de la fiscalité, Boussaïd est invité à partager le travail mené par la Direction générale des impôts (DGI) en vue d’adapter la TVA au développement des instruments de couverture contre le risque de change.

5-Où en est le projet d’instruction générale des opérations de change ?
Il est admis que les achats à terme de devises non adossés à des opérations de commerce extérieur sont considérés comme des infractions à la réglementation de change. Or il se trouve que certaines pratiques tolérées aux yeux des banques ne le sont pas de l’avis de l’Office des changes (tunnels d’options par exemple). «Nous allons bientôt nous réunir avec le GPMB et l’Office des changes pour préciser les règles une bonne fois pour toute», avait affirmé le wali en décembre. Sachant que rien ne justifierait l’impunité d’un acte spéculatif, le point de presse de ce jeudi donnera aux deux responsables l’opportunité d’évoquer le contenu de ces réunions et des décisions et recommandations qui en auront découlé. L’occasion également pour Boussaïd d’informer sur l’état d’avancement du projet d’instruction des opérations de change. Opérée par l’Office des changes, la mise à jour de la réglementation de change est fin prête depuis juillet dernier et n’attendait que le feu vert de l’argentier du royaume. Il s’agit d’un document de 236 pages et composé de 212 article (contre 425 pages et 807 articles dans l’ancienne version remontant à 2013). La nouvelle instruction générale a le mérite d’introduire une certaine ouverture dans l’utilisation des instruments de couverture. Ainsi, au lieu d’adosser la couverture, opération par opération, comme le stipule l’instruction de 2013, celle de 2018 installe le principe de l’adossement à l’activité de l’opérateur bénéficiaire. L’on s’attend également à tolérer la compensation des positions débitrices et créditrices dans le dénouement de ces opérations de couverture. Aussi, la couverture contre les risques de fluctuation des prix des produits de première nécessité, jusqu’ici limitée aux produits exportés et importés, sera élargie aux produits «importés et stockés». Les banques seront également autorisées à proposer à leurs clients une combinaison d’instruments dans le cadre d’une même opération de couverture, une pratique jusqu’ici interdite par l’Office des changes. Enfin, contrairement à la réglementation de 2013 limitant l’accès des opérations de couverture aux seules personnes résidentes, la nouvelle instruction prévoit de l’étendre aux non résidents quand il s’agit de couvrir le risque de change lié aux transferts de revenus, des produits de cessions, de liquidations des investissements et des remboursements d’avances en compte courant d’associés.

 


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