Retraite : «La généralisation peut sauver le système»
L’Institut CDG et la Chaire Prévoyance & Retraites de l’Université Internationale de Rabat organisent la 4e édition du forum des retraites, aujourd’hui vendredi, sur le thème «La généralisation de la couverture sociale, un investissement générateur de croissance. Coût de l’extension versus coût de la non-extension». Entretien exclusif avec Abderrahim Oulidi, directeur scientifique de la Chaire Prévoyance & Retraites.
Les ÉCO : Cette conférence coïncide avec le bras de fer entre les syndicats et le gouvernement sur la réforme de la retraite, quel est son enjeu ?
Abderrahim Oulidi : La conférence qui se tient aujourd’hui est le forum de retraites de la CDG qui est à sa quatrième édition. Ce qui signifie qu’il y a eu d’autres éditions qui traitaient de la même problématique qui est l’élargissement de la sécurité sociale auprès des indépendants. Ceux qu’on appelle les TNS (Travailleurs non salariés). À l’époque, il n’y avait pas encore de loi, on en parlait et discutait. Désormais, la loi, encadrant cet aspect, existe et est au niveau du Parlement pour adoption. Cette édition qui coïncide avec la sortie de la loi ne se prononcera jamais sur l’aspect politique, mais sortira avec des recommandations d’ordres technique et scientifique. En effet, il faut qu’il y ait une réforme et celle-ci doit être accompagnée, d’autant plus qu’elle ne sera pas la seule, il y en aura d’autres qui vont suivre. Par exemple, la France a connu cinq réformes, comme ils ont un système assez rigide, ils n’ont pu faire à chaque fois que des réglages paramétriques comme celui qu’on est en train de faire, mais ce genre de solutions ne résout pas le problème. On le sait aussi à travers les projections. Cette réforme va stopper, un peu, l’hémorragie de la CMR, mais dans 5 à 6 ans il faut encore réformer ce régime.
Le forum a donc pour but…
Désormais, la loi, encadrant cet aspect, existe et est au niveau du Parlement pour adoption. D’ailleurs, il y a encore des réglages que le royaume n’a pas encore discutés et qui ont été relevés hier, lors d’un workshop réunissant plus de 56 professionnels des différentes caisses marocaines. Par ailleurs, l’autre message que l’on souhaite passer, c’est qu’il y a d’autres réformes corrélées. La retraite et la santé ne sont pas deux organes complètement dé-corrélés de ce qui se passe dans l’emploi. Si la CMR souffre aujourd’hui, c’est parce qu’il y a moins d’auto-emplois. La croissance n’est pas là, et quand il n’y a pas de croissance, il y a un impact sur le taux de chômage, ce qui touche les cotisants. Comme il s’agit d’un régime par répartition, il y a une non-viabilité financière.
Compte tenu de l’évolution de la population marocaine avec plus de personnes âgées , le régime par répartition est-il viable ?
Un régime par répartition seule n’est pas viable. Il se base sur le principe que les cotisants d’aujourd’hui paient la retraite d’aujourd’hui. Tant qu’il n’y a pas assez de salariés, le problème est posé. Toutefois, il faut souligner que le régime, tel qu’il est au Maroc, n’est pas encore mature, et il se peut qu’il ait de jours glorieux devant lui si l’on réussit l’extension. Indépendamment de ce paramètre, et compte tenu des projections réalisées, le modèle à lui seul n’est pas viable. Il faut proposer d’autres produits aux cotisants, éventuellement par capitalisation, qui peuvent être obligatoires ou facultatifs, pour le compléter. Selon les projections du HCP, on a moins de 10% de la population actuellement, âgée de 65 ans et plus. En 2040 on en aura 25%. Dans cette perspective, le régime peut-il être soutenable ? La réponse est non. Ne serait-ce que pour le problème de la démographie, le régime par répartition, tel qu’il est conçu, ne marchera pas. L’autre question qui se pose, est la suivante : Est-ce qu’on va continuer à apporter uniquement des réglages paramétriques, comme baisser le taux de cotisation, relever l’âge, etc… jusqu’à quand. Il faudra réaliser des études pour ne plus prendre des décisions dans
l’urgence.
La solution de fusionner les régimes, dans quelle mesure est-elle réalisable ?
Je ne vais pas répondre à cette question, car je n’ai pas fait des études là-dessus, mais ce que je peux dire, c’est, comment il faut procéder.Je ne vais pas répondre à cette question, car je n’ai pas fait des études là-dessus, mais ce que je peux dire, c’est, comment il faut procéder. Ce qui va se faire, c’est unifier les régimes en deux pôles : public et privé. Il s’agit d’ailleurs, de la deuxième réforme attendue. Avant de la mettre en œuvre, il faut régler les hétérogénéités entre les différents régimes. Il faudra les faire converger sans toucher les acquis, tout en sachant si l’on va tirer vers le haut ou vers le bas. C’est-à-dire quand on va fusionner deux caisses, est-ce que l’on va opter pour le régime qui était le plus généreux pour le généraliser à l’ensemble des cotisants ou on va choisir l’inverse et faire perdre aux cotisants leurs avantages pour les aligner sur un régime moins généreux. Le choix dépend de l’économie du pays, car on ne va pas demander à l’État de couvrir toute la population active et tirer les régimes vers le haut ; la question du financement se pose dans ce cas de figure.
Au-delà de l’organisation de ce rendez-vous, quel est le rôle de la chaire Prévoyance & Retraite ?
Comme vous le savez, la chaire est logée à l’UIR, comme partenaire académique et a comme partenaires économiques, la CDG et le HCP. Son financement émane principalement de la CDG et son rôle réside en la création du débat, mais aussi la réalisation des études pour accompagner les transformations attendues. En effet, la question du coût de l’extension et celui de la non-extension n’est pas une simple question et la chaire a pour mission d’y répondre en réalisant des études.
Des intervenants étrangers ont été invités. Est-ce pour s’enquérir des expériences proches de celle du Maroc ?
-Il n’y a pas que des experts internationaux, il y a aussi des intervenants marocains. Le choix de ces experts a pour objectif de sortir avec une vraie feuille de route et profiter de leurs expériences et peut-être même de leurs erreurs aussi. L’Europe ne nous ressemble pas par ce qu’elle compte des régimes matures, mais nous pouvons apprendre de son histoire. La France, qui a adopté une réforme similaire dans les années 80, réalise des réglages à peu près chaque décennie. Nous avons aussi invité des experts d’Amérique Latine, ainsi que de la Hongrie avec laquelle il y a quelques ressemblances, et qui ont réussi à régler le problème de l’informel ou encore au Brésil, qui affiche aujourd’hui des taux de couverture assez élevés.