Primeurs et agrumes : Le Maroc saisit enfin l’opportunité russe
Les exportations d’agrumes ont atteint environ 200.000 tonnes sur le marché russe, soit une augmentation de 20% alors que les primeurs acheminés sont de l’ordre de 117.000 tonnes avec une augmentation de 50.000 tonnes par rapport à la campagne précédente, principalement grâce à la tomate.
L’augmentation des quantités exportées vers le marché russe, notamment des agrumes et primeurs profite-t-elle de l’embargo alimentaire sur la Russie et l’absence provisoire de produits turcs, ou s’agit-il de facto d’une relation de cause à effet due aux mesures structurelles adoptées par les professionnels marocains ? Du côté de l’Établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations (EACCE), qui a participé, du 12 au 15 septembre, avec une trentaine d’entreprises, au Salon «World Food Moscow», ces questions sont à relativiser. Certes, le Maroc est arrivé à grignoter des parts de marché grâce à cette conjoncture économique, mais aussi à son effort commercial et sa production en croissance.
Néanmoins, il ne faut pas nier que le marché russe, considéré comme un débouché traditionnel, en particulier pour les producteurs-exportateurs d’agrumes a fait l’objet, il y a deux années, de plusieurs interventions, surtout après la refonte des statuts de l’EACCE. «Le principal souci de l’établissement est la qualité. Au-delà de la question des volumes, on est intransigeant sur ce critère qui a été aussi renforcé par d’autres mesures, notamment l’institutionnalisation des comités de coordination par filière avec l’implication des producteurs-exportateurs et la veille stratégique en fonction des comportements des marchés, en plus du renforcement des normes phytosanitaires par l’ONSSA», explique Najib Azzouzi, secrétaire général de l’Établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations (EACCE) dont les statuts ont été révisés avec de nouvelles prérogatives, notamment la promotion des exportations et la veille stratégique.
Du côté de la profession, malgré que le marché russe alimentaire est porteur, son accès demeure difficile puisqu’il recèle des risques liés essentiellement aux impayés, d’où la nécessité de sécuriser au préalable le paiement. «Avant le départ de chaque bateau, on garantit le paiement à hauteur de 80% de la marchandise et on essaie progressivement de mettre en place une société en Russie. Aujourd’hui, on se contente d’une représentation qui s’occupe de la qualité des produits arrivés en plus du recouvrement juridique et de la veille commerciale», explique Taquiedine Cherradi, PDG du groupe Matysha et Lymouna, qui opère sur le marché russe. En plus de la question des impayés, c’est la diminution des marges et la dévalorisation du rouble qui posent également problème au sein de ce marché. «Nous sommes condamnés à être présents sur ce marché pour suivre cette montée en volume afin de diminuer les charges, notamment le transport et l’emballage qui sont parfois onéreux par rapport à la valeur du produit et on attend aussi la possibilité de la convertibilité du rouble au dirham, laquelle permettrait de dépasser cette parité euro/dollars, qui dès la flambée de ce dernier fait que le pouvoir d’achat russe est affecté», ajoute Cherradi. En termes de concurrence, surtout pour les agrumes, «le Maroc qui maintient d’excellentes relations avec la Russie a fait plus de 200.000 tonnes alors que la Turquie et l’Égypte ont respectivement fait 500.000 et 240.000 tonnes durant la campagne précédente», précise Tariq Kabbage, co-manager du groupe Fresh fruit.
Partant de ce constat, le Maroc est classé en 3e position tandis que d’autres pays comme le Pakistan exportent avec des volumes conséquents, mais au-delà des volumes exportés, c’est la question du prix, régi par l’offre et la demande qui est primordial du point de vue de plusieurs professionnels marocains. «Nous avons un produit particulier qui est la clémentine avec ses différentes variétés et une production en croissance, mais les prix peuvent être mauvais au mois de décembre à cause de la concurrence alors que les exportateurs marocains n’ont pas beaucoup de marchés devant eux à part le marché russe, qui absorbe la majorité des exportations agrumicoles», explique Kabbage. Ce n’est pas tout : aujourd’hui le secteur est marqué par une atomisation de certains exportateurs et un éclatement de l’offre marocaine, qui fait que chaque station de conditionnement exporte toute seule avec une suroffre sur le marché russe. C’est pourquoi, il faut poser la question : exporter plus, mais à quel prix, s’interroge toujours Kabbage qui a donné l’exemple de la saison agrumicole 2013-2014 malmenée par la concurrence maroco-marocaine ? Pour les oranges où le Maroc a baissé ses exportations, la concurrence est également forte surtout de la part de l’Égypte et de la Turquie, qui sont proches du marché avec l’acheminement de grandes quantités. «Le Maroc a levé complètement la main sur l’orange, et en tant que pépiniériste, on a vendu cette année beaucoup de clémentines et moins d’oranges», annonce Kabbage.
Par ailleurs et selon les statistiques de l’Établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations (EACCE) arrêtées du 1er septembre au 17 juillet, les exportations d’agrumes ont atteint un tonnage de l’ordre de 524.000 tonnes, soit une augmentation d’environ 15% par rapport à la période de la saison précédente. Par marché, l’UE s’est accaparé la part de lion avec 214.000 tonnes durant la même période précitée. Elle est suivie du marché russe avec 200.000 tonnes, soit une augmentation de 20% alors que le marché nord-américain, notamment le Canada et les États-Unis ont respectivement cumulé 57.000 et 33.000 tonnes. S’agissant des primeurs, les exportations ont dépassé cette année la barre d’1,42 millions de tonnes, soit une augmentation de l’ordre de 17%. Dans le détail, c’est le marché communautaire européen qui capte le gros lot alors que les producteurs-exportateurs ont acheminé cette année au marché russe près de 117.000 tonnes avec une augmentation de 50.000 tonnes par rapport à la campagne précédente, principalement grâce à la tomate qui a cumulé sur ce marché 112.000 tonnes et à moindre mesure le poivron et les pommes de terre. Pour les produits de la mer, le Maroc a exporté près de 700.000 tonnes dont 63% destinés à l’UE, soit 295.000 tonnes tandis que l’Afrique subsaharienne et l’Asie ont respectivement capté 13 et 10%. Le reste, à savoir le marché russe, a généré 24.000 tonnes principalement grâce au poisson congelé et à la farine de poissons à hauteur de 15.000 et 8.000 tonnes.
Tarik Kabbage
Co-manager du groupe Fresh Free
Si on veut bien vendre, il faut un bon équilibre sur les marchés et maintenir la qualité. Et si on veut également arbitrer, il faut disposer de plusieurs débouchés commerciaux pour la production marocaine. Notre groupe a développé le marché américain qui a absorbé cette année près de 40.000 tonnes, mais nous attendons toujours le déblocage de la situation en raison de la question de la cératite. Le Maroc a également une position forte sur le Canada, malgré la concurrence de la part de la Chine. Il y a d’autres marchés qu’il faut voir, notamment l’Amérique latine en plus de l’Afrique subsaharienne avec des réglementations qu’il faut lever de la part de l’État surtout en ce qui concerne l’aspect phytosanitaire».
Taquiedine Cherradi
PDG du groupe Matysha et Lymouna
Aujourd’hui, il faut arriver à suivre deux choses essentielles : être constant dans la qualité et les envois, mais aussi sur le plan des ventes en acceptant de commencer la saison à partir de septembre et de la finir en juin pour une meilleure rentabilité. On peut augmenter les volumes de l’ordre de 20% si on arrive à sécuriser avec des assurances marocaines les produits marocains. En effet, 80% des transactions se font par des intermédiaires qui travaillent sur un turn-over et sur la valeur de la marchandise reçue, lesquels ne sont pas appuyés par des banques publiques russes. Si les exportateurs marocains viennent s’installer en créant des sociétés en Russie, le contact sera direct avec la grande distribution et les grossistes. Cependant, le volet juridique bloque toujours».