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Loi-cadre de l’éducation : Vers une école publique payante?

Levée de bouclier des syndicats face à une disposition du projet de loi-cadre du chef de gouvernement qui propose le paiement de frais d’inscription à l’école publique. Les PPP dans l’éducation devront entrer en jeu, de crainte que l’école publique perde ses valeurs égalitaires.

Êtes-vous prêts à passer à la caisse, lors de la rentrée scolaire de vos enfants à l’école publique? La majorité des Marocains afficheront sûrement un air ahuri à l’idée de devoir encore débourser de l’argent pour inscrire leur progéniture dans des établissements scolaires étatiques. Et bien, la fin de la gratuité dans l’école publique est loin d’être une improbable. En effet, le projet de loi-cadre portant réforme de l’enseignement, soumis par Abdelilah Benkirane fin juillet dernier au Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) pour avis, comporte bien cette mesure, dénommée «frais d’inscription» sans plus de détails, chose qui a suscité l’ire des syndicats. Lors de sa réunion des 21 et 22 de ce mois, dans son siège flambant neuf, le Conseil d’Omar Azziman a été confronté à une levée de boucliers syndicale contre une mesure présentée à l’origine comme un vecteur «d’expression des valeurs de la solidarité nationale». Et voilà que l’école publique, face à ces maux multiples et flirtant avec la faillite, sollicite la participation des citoyens. Ils étaient au moins quatre syndicalistes à voter contre le projet de loi-cadre pour cette raison principalement. Le consensus tant attendu autour d’une réforme impliquant tout le monde, loin des ego et des guerres de tranchées, n’a donc pas été au rendez-nous.

Qui doit payer?
Contacté, Allal Belarbi, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement (CDT), est catégorique: «nous avons voté contre ce projet de loi-cadre qui cherche à abolir la gratuité de l’enseignement au Maroc». Pour lui, les familles paient d’ores et déjà des frais d’assurance, des frais liés aux associations de parents d’élèves et d’autres encore. Ce serait injuste, continue-t-il, de les alourdir avec des frais d’inscriptions qui peuvent augmenter de manière exponentielle d’une année à l’autre. En effet, si ce projet de loi-cadre est adopté, il sera imposable à tous, gouvernement et parents d’élèves. Mais ce sont ces derniers qui risquent de payer le lourd tribut d’un système éducatif incapable de se mettre à niveau malgré plusieurs passages en salle de réanimation. En effet, tout le monde se rappelle le Plan d’urgence de l’éducation qui a sollicité des milliards de dirhams, sans résultats probants. En atteste la crise actuelle qui a atteint son paroxysme lors de cette rentrée scolaire chaotique marquée par des classes de 50 élèves voire plus et une pénurie sans précédent en enseignants. Soit dit en passant, le nombre d’enseignants dans le public, qui rétrécit comme une peau de chagrin, sera encore aggravé par le départ en retraite de 100.000 enseignants entre 2014 et 2020. Face à cette problématique, le ministère des Finances a donné son visa pour seulement 5.000 postes dans l’enseignement dans son projet de loi de Finances 2017.

8 MMDH perdus dans le décrochage
Le CSEFRS a donc émis des réserves sur ce projet de loi-cadre. Selon nos sources, il aurait recommandé le lancement d’une étude pour déterminer qui sont les Marocains ayant les moyens de payer des frais d’inscription à l’école publique. En d’autres termes, il s’agit de passer au ciblage. Toutefois, selon Belarbi, l’administration marocaine n’a pas les moyens d’effectuer une telle étude; s’y ajoute le fait que ceux qui ont les moyens inscrivent leurs enfants dans des écoles privés. Le syndicaliste propose une alternative, à savoir la rationalisation des dépenses de l’éducation nationale. C’est effectivement le sujet qui fâche, sachant que 10% du budget de fonctionnement du ministère de l’Éducation nationale est happé par le phénomène à la peau dure qu’est le décrochage scolaire. Entre 2009 et 2013, l’abandon scolaire a coûté 8 MMDH au budget de l’État, ce qui est énorme. Et nul n’est sans savoir que le décrochage scolaire constitue la pépinière de chômeurs de demain. «Nous ne voulons pas que l’école marocaine devienne une source de tension sociale comme l’est aujourd’hui le chômage», explique Belarbi. Toujours en liaison avec ce souci financier qui semble prendre toute réforme de l’éducation en otage, le projet de loi-cadre propose le passage aux PPP pour pouvoir lever les fonds nécessaires. Dans cette configuration, le privé sera omniprésent et fera valoir ses droits pour tirer profit de son partenariat avec l’État. Or, il est de notoriété publique que, dans plusieurs pays y ayant recours, les PPP visent plus à réduire les charges de l’éducation dans le budget de l’État que de développer le système éducatif. Plus encore, il a été constaté que le coût de l’enseignement a augmenté suite aux PPP, contrairement à la volonté de départ.

L’ADN de l’école en péril
En effet, il y a deux ans, les sirènes du désengagement étatique de l’enseignement mais aussi de la santé se sont fait entendre. Le gouvernement avait tâté le pouls d’une telle éventualité en ouvrant grand les portes aux PPP dans ces deux secteurs. Le désengagement de l’État n’est pas un vice en soi. Cependant, en l’absence d’institutions fortes capables de défendre les intérêts du contribuable et la saine concurrence, comme le Conseil de la concurrence qui, depuis plus de deux ans, est en stand-by, la partie n’est pas gagnée. La nouvelle mode des PPP conviendra-t-elle à une éducation qui perd en qualité d’année en année alors que, par le passé, elle produisait l’élite du pays avec peu de moyens? Il y a aussi d’autres considérations qui entrent en jeu, à savoir le principe d’égalité des chances qui constitue l’ADN de l’école publique. Il serait bafoué si le privé prenait les rênes du secteur. «Les PPP provoqueront un changement radical dans le système éducatif marocain dans la mesure où l’éducation ne sera plus unifiée et unifiante. Ce sera le préambule à une société de classes», regrette Belarbi.

Pour les observateurs avertis, proches de la réalité de l’école marocaine, la vraie problématique est loin d’être matérielle et financière. Selon eux, il est temps pour le Maroc d’avoir une vraie volonté politique pour dépasser les mauvais rendements de l’école. Ils proposent d’apprendre des expériences des pays les mieux classés au niveau mondial en matière d’éducation. Ceci, tout en conservant la spécificité ainsi que l’ancrage social et culturel de l’école marocaine.   


Le regret d’Azziman
Dans son allocution d’ouverture de la 10e session du CSEFRS, Omar Azziman a regretté que l’éducation aux valeurs aux droits de l’homme et à la citoyenneté inscrite dans la Vision 2015-2030 peine à s’ancrer dans les comportements. «Les comportements d’incivilité persistent comme le non-respect de l’autorité, de la discipline, du bien public, de l’environnement, comme persistent au sein même des établissements scolaires et dans leur périmètre immédiat des comportements de harcèlement et de violence», a tonné le président du conseil. C’est la raison pour laquelle l’éducation aux valeurs est inscrite avec force dans le plan d’action du conseil 2016-2017. Il s’agit en fait de promouvoir une discipline au sein de l’école à même d’offrir les conditions optimales d’un bon apprentissage pour l’enseignant comme pour l’élève. En fait, c’est par là qu’il va falloir commencer pour que l’étudiant puisse lui-même se prendre en charge et se responsabiliser pour devenir le citoyen de demain, respectueux de sa société.



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